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Fenêtres sur le passé

1932

Le Relecq-Kerhuon

La veuve du député Isnard assassinée

Auguste Isnard

Homme politique français né le 22 décembre 1856 à Philippeville (aujourd'hui Skikda, en Algérie) 

 décédé le 6 novembre 1919 à Bordeaux (Gironde).

 

Fils d'un déporté politique à la suite du coup d’État de 1851, avocat à Bordeaux puis à Brest.

Député du Finistère de 1898 à 1906,

siégeant au groupe radical-socialiste.

Secrétaire de la Chambre de 1902 à 1904.

Il s'intéresse surtout aux questions

de marine militaire et au port de Brest.

Source : Détective décembre 1932

La Solitaire

 

— Mme Isnard est morte ! Mme Isnard est morte !

 

La nouvelle, en moins d'une heure, a fait le tour du pays.

 

Elle a même gagné Brest.

 

Mme Isnard !... Il y avait longtemps que ce nom n'était plus prononcé.

 

La veuve de l'ancien député de la première circonscription de Brest avait, jadis, joué un rôle important dans la vie mondaine de la vieille cité bretonne.

 

Puis le destin, au visage changeant, l'avait enfin recluse dans sa villa du Relecq-Kerhuon.

 

On l'avait oubliée peu à peu.

 

Et voici que sa mort la remettait au premier plan de l'actualité.

 

Dans l'esprit de bien des gens, qui, jadis, l'avaient connue, fréquentée, des souvenirs nombreux se levèrent :

des souvenirs qui avaient un parfum attendrissant d'avant-guerre ;

des souvenirs où passaient des femmes aux chevelures vaporeuses, aux chapeaux immenses,

et dont les robes compliquées balayaient le trottoir.

 

Mme Isnard !...

 

Elle n'était alors que la petite Lucie Canet, dont les parents tenaient boutique rue de Siam, à Brest.

 

Une jolie fille, au visage rond de Bretonne, pas farouche pour deux sous,

qu'on voyait danser le dimanche dans les bals-musette qui avoisinaient les casernes.

 

Un jour, elle disparut.

— Elle travaille à Paris, dirent ses parents. Drôle de travail...

 

C'étaient surtout les cabarets et les beuglants de Montmartre que fréquentait la fillette.

Elle avait une voix acide, une frimousse éveillée, la jambe leste.

 

Elle trouva rapidement un emploi de chanteuse de café-concert.

 

On la vit alors en robe pailletée, les bras gainés de longs gants noirs,

roucouler la romance au tourlourou en bordée, scander la chanson grivoise

à coups de sous-entendus et de gestes égrillards.

 

La salle était pleine de l'épaisse fumée des pipes, du rire gras des consommateurs

et des allées et venues des garçons.

 

Un soir, la chanteuse vit à l'écart un jeune homme qui la regardait en souriant.

 

Il était mince, élégant, vêtu d'un habit et portait tube sur l'oreille.

 

Lucie Canet cligna de l'œil vers le séduisant spectateur.

Celui-ci se mit à rire.

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Quelques minutes plus tard, il était dans la loge de l'actrice,

un bouquet de fleurs à la main.

 

Il se présenta : — Isnard !

 

Le jeune amoureux tint lieu d'habilleuse.

 

Puis il emmena sa nouvelle conquête souper

dans un cabaret à la mode...

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Et Lucie Canet sut si bien faire que, quelques mois plus tard, elle épousait le jeune député de Brest.

 

Une nouvelle vie commençait.

C'était fini des loges sales d'actrice, fleurant le savon à bon marché, la sueur acide et le linge douteux.

 

Lucie sut s'adapter à sa nouvelle condition.

 

Ayant été, tour à tour, vendeuse dans la boutique obscure de son père, chanteuse de beuglant et cocotte en renom, elle sut jouer le rôle de la grande bourgeoise.

 

Elle donnait des réceptions dans ses vastes appartements de Brest, lançait la mode, accueillait les artistes régionaux.

 

Mais Isnard se lassa.

 

Il n'avait épousé la petite chanteuse que pour ce qu'elle apportait d'imprévu et de pittoresque dans sa vie de petit bourgeois.

 

Assagie maintenant, elle n'avait plus de ragoût pour lui.

 

Il se sépara d'elle.

Mme Isnard se retira dignement dans la petite villa

du Relecq-Kerhuon, à 8 kilomètres de Brest.

 

C'était une maison très coquette,

ayant l'allure d'un petit castel breton.

 

Un joli parc, soigneusement entretenu, entourait la bâtisse

de granit, prodiguant ses rosiers multicolores,

ses géraniums éclatants et la masse ombreuse de ses sapins

et de ses genêts.

 

Isnard mourut.

 

Sa femme avait vieilli.

 

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Celle qui avait été autrefois l'alerte danseuse des cabarets montmartrois, celle dont les admirateurs encerclaient

de deux doigts la cheville mince et fine, celle dont les danseurs aimaient à faire ployer entre leurs mains la taille

de souple roseau, était devenue une femme lourde et sans grâce, aux jambes boudinées, à la taille épaissie.

 

Des amis ?... Il ne lui en restait plus guère.

 

Les heures fortunées étaient passées depuis longtemps.

 

C'est à peine si la veuve du député de Brest parvenait à joindre les deux bouts avec la maigre pension de son mari.

 

Elle avait dû se séparer de son jardinier.

 

Le parc, en friche, prit bientôt l'aspect d'une petite forêt vierge.

 

Les ronces envahirent les massifs de rosiers ; le chiendent mangea le gazon des pelouses ;

les arbres, non taillés, enchevêtrèrent leurs branches.

 

Puis ce fut le renvoi de la cuisinière.

 

Mme Isnard fit elle-même son ménage.

 

Mais bientôt la poussière envahit la maison.

 

Les planchers moisirent, les rideaux tombèrent en charpie, la tapisserie des fauteuils crevés laissa passer le crin.

 

Mme Isnard élevait des chiens, des lapins, des poules, des canards ; les bêtes étaient ses seuls amis.

 

Elles avaient établi domicile dans le vaste salon, dans la salle à manger et jusque dans la chambre

dont elles souillaient les draps de lit.

 

Vêtue de sa plus belle robe, la vieille femme descendait chaque matin au village y faire ses provisions,

puis regagnait sa villa pour y poursuivre sa vie solitaire.

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Source : La Dépêche de Brest 1 décembre 1932

 

Depuis vendredi dernier, personne, au Relecq-Kerhuon, n'avait vu Mme Isnard veuve de l'ancien député de Brest,

Lucie-Marie Canet, 76 ans, vivait dans l'isolement depuis la mort de sa belle-sœur survenue il y a quelques années.

 

En dehors des visites qu'elle faisait à ses fournisseurs, elle ne sortait jamais.

 

Sa maison, une sorte de grande villa située au fond d'un Jardin et en bordure de la voie ferrée,

tout près de la gare du Relecq-Kerhuon, avait sans doute jadis été pleine d'agréments ;

mais depuis longtemps il n'en était plus de même.

 

L'immeuble, en pleine décrépitude, offre l'aspect d'une maison abandonnée.

 

Les boiseries du double escalier d'accès portent profondément les marques du temps.

 

Une aile plaquée à gauche sur la façade au long des deux étages ne paraît plus offrir la moindre sécurité,

en dépit de quelques réparations que l'on n'a guère songé à dissimuler dans l'ensemble.

 

Quant au jardin, où l'on remarque encore de beaux palmiers, il a pris, il y a beau temps, l'aspect d'un fourré.

Les herbes ont envahi toutes les allées.

 

Les arbres ont emmêlé leurs branches et les ronces en ont fixé l'union.

 

On savait que Mme Isnard vivait là en compagnie d'une vingtaine

de pigeons et dans l'admiration d'un poste de T. S F.

qu'elle ne se lassait pas d'écouter.

 

Cependant, sa surdité l'avait décidée à faire l'acquisition

d'un poste plus puissant dont elle s'entretenait volontiers
avec les personnes qu'elle approchait.

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Mais, avec les éloges qu'elle faisait de ses pigeons, qui mangeaient à sa table,

c'étaient là les seules confidences auxquelles elle se livrait.

 

À moins de raisons majeures, nul ne pénétrait chez elle.

 

Et bien qu'elle fût encore valide, on émettait l'avis, dans le voisinage, en raison de son âge,

qu'un jour on la trouverait morte dans son logis.

 

La bizarrerie de son existence, un état mental quelque peu débilité, accréditaient cet avis.

 

Disparition

 

Vendredi, coquettement vêtue comme de coutume, Mme Isnard avait fait visite au bureau de tabacs

tout proche de Mme Penvern, où elle prenait son journal.

 

Après avoir joyeusement bavardé, elle s'en fut chez Mme Le Gall, boulangère route de Guipavas.

 

Elle prenait là son pain et y recevait sa correspondance, afin de n'avoir pas, à son domicile,

la visite de Mme Théoden, qui exerce les fonctions de facteur auxiliaire.

 

Connaissant ses manies et afin de ne pas l'irriter, Mme Théoden consentait à déposer là le courrier

et Mme Le Gall acceptait de recevoir les fonds qui lui étaient adressés, par la poste.

Mme Isnard vivait d'une pension que lui avait laissée son mari,

du produit d'un bureau de tabacs et de quelques rentes.

 

C'est ainsi que vendredi, vers 10 h. 30, Mme Théoden

avait remis pour elle à Mme Le Gall une somme de 476 francs représentant une part de sa pension.

 

Ayant reçu cette somme avec son courrier,

Mme Isnard reprit la route de sa maison et ne reparut plus.

 

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Le lendemain matin, un entrepreneur de couverture qui avait, il y a quelque temps, réparé son toit,

se rendit chez elle afin d'obtenir le règlement de sa facture.

 

Les portes étaient closes.

 

Vainement, il y frappa.

 

Ses appels demeurèrent sans réponse.

 

Il n'insista pas, mais fit part de sa surprise à un commerçant du Relecq.

 

Les jours se succédaient sans qu'on vit reparaître Mme Isnard.

 

L'inquiétude naissait.

 

Morte au milieu de ses pigeons

 

Déjà, il y a environ deux ans, Mme Isnard était de la même façon demeurée sans sortir.

 

Les voisins s'en étaient émus et avaient pénétré dans son jardin.

 

Mais ils se trouvèrent en présence de la septuagénaire très bien portante, qui les accueillit avec une certaine fraîcheur.

 

Cependant, cette fois, on ne l'avait pas vue depuis plus de quatre jours.

 

Mme Penvern, accompagnée de Mme Lecot, se décida, mardi, à aller s'enquérir de l'état de santé de leur voisine.

 

Elles franchirent le portail de bois qui ferme la propriété au fond d'une ruelle, suivirent l'unique sentier du jardin,

en bordure duquel une brouette vermoulue subit l'assaut des herbes,

et se heurtèrent à la maison hermétiquement close.

 

Leurs appels, comme ceux du couvreur qui les avait précédées, demeurant sans réponse, elles s'en furent.

 

L'inquiétude à présent semblait pleinement se justifier.

 

C'est ainsi qu'on en vint à faire appel à M. Ollivier, adjoint au maire.

 

Hier matin, vers 10 h. 15, le représentant de la municipalité s'en fut, en l'absence du maire,

accompagné de M. Pierre, garde champêtre, vers la mystérieuse maison.

Inutilement ils frappèrent aux portes,

sans succès ils appelèrent.

 

Tout était fermé, à l'exception d'une sorte de soupirail ouvert sous l'arche du double escalier et éclairant un réduit

en sous-sol, communiquant directement avec la cuisine,

où se tenait le plus souvent la disparue.

 

À cette cuisine, on accède du jardin par une porte-fenêtre

à volets métalliques.

 

Ces volets étaient clos et maintenus par une targette

à rabattement.

 

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Ils cédèrent à la pression des visiteurs qui, ayant franchi la porte basse et descendu les trois marches

qui permettent d'atteindre le sol en terre battue, se trouvèrent dans la place.

 

Pauvre cuisine que celle-là.

 

Au centre, une table épaisse encombrée de pommes, de plats et d'objets les plus divers,

parmi lesquels un sac à main.

 

À gauche, un fourneau surmonté de casseroles.

 

Il fait bien sombre en ce lieu et M. Ollivier comme M. Pierre ne distinguèrent tout d'abord

que les corps de quelques pigeons étendus morts sur le sol.

 

D'autres, vraisemblablement réduits par la famine, se traînaient péniblement.

 

Enfin, tout au fond, derrière la table, ils aperçurent un corps étendu, dissimulé sous un manteau.

 

C'était celui de Mme Isnard.

 

Le visage, découvert, était maculé de sang, d'un sang coagulé et noirci par le temps.

 

En hâte, on fit appel à M. le docteur Normand, qui ne put que constater que depuis longtemps tout soin était inutile.

 

Ligotée et assassinée

 

La brigade de gendarmerie de Landerneau fut avisée du fait.

 

Peu après, l'adjudant Emzivat, chef de brigade, accompagné des gendarmes Douarinou et Celineau,

se rendaient sur les lieux et commençaient leur enquête.

 

M. Saladier, juge de paix à Landerneau, vint les y rejoindre.

 

Puis ce fut le parquet : MM. Legros, procureur de la République ; Le Meur, juge d'instruction ;

Lang, capitaine de gendarmerie ; le docteur Teurnier, médecin légiste ; Lamy, greffier.

 

En pareilles circonstances, si l'on tient à relever des empreintes, il ne faut agir qu'avec les plus grandes précautions.

 

C'est ce que l’on fit.

 

Et l'on put constater que Mme Isnard avait eu la boite crânienne enfoncée,

qu'elle portait en outre des coupures au-dessus de l'arcade sourcilière, sous le menton et près du cou.

Son corps reposait sur le dos.

 

Ses mains, ramenées sur la poitrine,

étaient solidement liées à l'aide d'une bande d'étoffe.

 

Les jambes étaient également ligotées.

 

L'assassin s'était servi pour cela des fils de prise de courant

de l'appareil de T. S. F.

 

Le coup fait, il avait gagné le réduit voisin, fermé la porte de communication et s'était enfui par le soupirail ouvert sous l'escalier.

Du jardin, il lui était aisé de gagner la voie du chemin de fer

par les brèches de la haie vive qui l'en sépare.

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Photo : Détective

Les mobiles de l'assassinat

 

On se perd en conjectures sur les mobiles de cet assassinat.

 

Mme Isnard, en dépit de l'étrangeté de son caractère, vivait avec tous en bonne intelligence.

 

On ne lui connaissait aucun ennemi.

 

Le vol? On a pu constater que le sac à main posé sur la table était vide, mais on n'a guère poussé plus loin les investigations pour ne pas effacer les empreintes que les spécialistes relèveront aujourd'hui.

 

Mme Isnard avait pour chambre une pièce du 1er étage.

 

Comme dans la cuisine, tout y est pêle-mêle, mais il n'apparaît point encore que ce fut une conséquence des recherches pratiquées par l'assassin.

 

En effet, ceux qui, par hasard, ont déjà visité l'immeuble en ont rapporté le souvenir que le désordre du mobilier était permanent.

 

Ce matin, les relèvements d'empreintes pourront être faits par les représentants de la brigade mobile de Rennes, appelés d'urgence.

 

Puis les recherches seront reprises avec toute la minutie désirable.

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Source : La Dépêche de Brest 2 décembre 1932

 

La journée commença par une alerte.

 

Mercredi soir, après les premières constatations de la gendarmerie et du parquet, on avait fermé la porte-fenêtre

qui permet d'accéder directement du jardin à la cuisine, puis étayé les volets de fer au moyen d'une planche.

 

Le soupirail placé sous le double escalier et permettant d'aérer le réduit voisin de la cuisine était demeuré ouvert.

 

C'est par là, pensait-on, que le criminel s'était enfui.

 

Or, hier matin, on remarqua que la planche qui assujettissait les volets de fer avait été déplacée

et que le soupirail du réduit était clos : on l'avait barricadé à l'intérieur avec des bâtons.

 

On en conclut d'abord que seul l'assassin avait pu se risquer à cette dangereuse visite nocturne,

vraisemblablement poussé par la nécessité de faire disparaître un objet oublié qui eut pu permettre de le découvrir.

 

Mais on ne tarda pas à apprendre qu'au cours de la nuit les gendarmes Abguillerm et Kerspern,

de la brigade de Landerneau, effectuant une ronde, avaient pénétré dans la maison

et en avaient ainsi fermé les issues.

 

Empreintes

 

Mercredi soir, les délégués de la brigade mobile de Rennes, MM. Le Gall et Le Poulennec, inspecteurs principaux ; Prinborgne et Cosquer, inspecteurs, arrivaient à Brest.

 

Après avoir pris contact avec le Parquet, ils se rendaient à Kerhuon.

Hier matin, ils procédaient aux premières constatations.

 

Tout de suite, ils entreprirent l'examen des objets

qui avaient pu conserver des empreintes.

 

Ils saisirent ainsi des bouteilles de bière et relevèrent

quelques autres traces.

 

Le corps de Mme Isnard, demeuré en la position première,

était toujours étendu sur le sol entre la table de la cuisine

et un bahut.

 

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Les mains, ramenées sur le ventre, étaient serrées aux poignets par une ficelle et les jambes étroitement liées

par le fil de prise de courant de l'appareil de T. S. F.

 

Mais ces liens offraient cette particularité qu'ils étaient maintenus non pas par des nœuds

communément pratiqués, mais par des nœuds plats comme en savent faire les marins.

 

L'arme du crime

 

On avait découvert dès le premier jour un marteau qui servait à l'intérieur de la cuisine à renforcer

la fermeture de la porte-fenêtre.

 

Mais c'est vainement qu'on y chercha la moindre tache de sang.

 

Une hachette, près du fourneau, ne présentait non plus aucune maculature suspecte.

 

Cependant, en raison des blessures faites à la victime et de l'écoulement abondant du sang,

il y avait lieu de supposer que l'instrument dont s'était servi l'assassin devait être marqué.

 

On visita la cuisine, on fouilla le réduit voisin, mais sans succès.

 

Pendant cette fouille infructueuse, les pigeons de la disparue pénétrèrent dans la pièce

où ils avaient coutume de vivre avec elle, visiblement en quête de pitance.

 

Une bonne âme leur émietta une vieille miche de pain trouvée dans une lessiveuse...

 

Perquisition

 

Le vol avait-il été le mobile de ce crime sauvage ?

 

On savait que vendredi dernier, jour de sa disparition, Mme Isnard avait reçu une somme de 475 francs,

montant du trimestre de sa pension.

 

Or, elle n'avait pas d'argent sur elle et il n'y avait rien non plus dans le sac à main abandonné sur la table

de la cuisine.

 

Dans les autres pièces de l'immeuble, régnait un désordre inimaginable.

 

Papiers, linge, vêtements, tout était jeté pêle-mêle sur les planchers.

 

Des armoires ouvertes, des tiroirs arrachés témoignaient des recherches brutalement effectuées par l'assassin.

 

Toutefois, il apparaissait que ce dernier n'avait en somme guère modifié l'aspect ordinaire de cet intérieur

où tableaux, glaces, verrerie, vases, objets de toutes sortes formaient un véritable capharnaüm poussiéreux

et abondamment garni de toiles d'araignées.

 

Dans la chambre à coucher, un amoncellement de papiers et de linge en fort piteux état garnissait l'espace

compris entre le lit et la cloison.

Un patient examen permit de découvrir là un extrait de naissance certifiant que Mme Lucie-Marie Canet, veuve Isnard,

était née à Brest le 23 mai 1855.

 

Puis ce fut un acte de concession d'un bureau de tabacs,

un livret d'une caisse d'assurance mutuelle sur la vie.

 

Les inspecteurs trouvèrent encore des couverts en argent,

quelques bijoux sans grande valeur et enfin, dans une table de nuit, une liasse de titres de rente.

 

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Trois grandes malles occupaient, avec de nombreux ustensiles divers, une des pièces de l'entresol.

 

On les ouvrit, mais elles ne contenaient rien qui put aider les policiers.

 

On retourna longtemps l'invraisemblable fouillis qui encombrait toutes les pièces : on ne trouva pas un sou.

 

« Gare à celui qui voudrait m'attaquer ! »

 

On avait coutume, à Kerhuon, de mettre en garde Mme Isnard contre les dangers auxquels elle s'exposait

en vivant dans l'isolement.

 

Ah ! disait-elle confiante, gare à celui qui voudrait m'attaquer.

 

Je saurais bien me défendre.

 

Je l'égratignerais d'une telle façon qu'il en porterait de sérieuses marques.

 

Et pourtant, quelle résistance pouvait offrir cette septuagénaire à un assassin résolu ?

 

Elle possédait, disait-on, un revolver.

 

On ne l'a point retrouvé.

 

Par contre, à la tête de son lit, était appuyé un fusil de chasse.

 

Mais il n'était pas chargé.

 

Sous son matelas était dissimulé un long couteau à découper, sur le secours duquel

elle devait sans doute compter en cas d'agression.

 

L'autopsie

 

Dans l'après-midi, le parquet de Brest, représenté par MM. Legros, procureur de la République ;

Le Meur, juge d'instruction ; le docteur Teurnler, médecin légiste ; Lamy, greffier, revenait dans la tragique maison.

 

M. le capitaine de gendarmerie Lang, l'adjudant Emzivat et les gendarmes de la brigade de Landerneau

s'étaient mis à la disposition des magistrats.

 

M. Ollivier, adjoint au maire de Kerhuon, ainsi que le garde-champêtre Pierre, étaient présents.

 

Sous les arbres du jardin, où une porte  avait été posée sur des tréteaux, afin de servir de table d'opération,

M. le docteur Teurnier procéda à l'autopsie.

 

L'opération révéla que la victime de ce drame portait des ecchymoses au bras gauche,

que le maxillaire facial gauche avait été complètement fracturé, l'œil crevé.

 

Sur le crâne, au-dessus de l'arcade sourcilière gauche, on relevait trois plaies parallèles longues de cinq centimètres.

 

Ces horribles blessures, qui ont sans doute été faites à l'aide d'un marteau présentant un côté tranchant

et une masse plane, témoignent de l'acharnement avec lequel l'assassin frappa sa victime.

L'estomac, empli de nourriture, permettait de voir

que la digestion étant à peine commencée,

Mme Isnard avait été tuée à la fin ou peu après son repas.

 

Mais il n'est guère possible de se prononcer catégoriquement en ce qui concerne le moment où elle fut ligotée.

 

En dépit de l'apparence très serrée des liens,

la peau n'était pas marquée.

 

En raison de son âge, on peut admettre qu'elle ne résista guère quand elle se vit dans l'impossibilité de se défendre

et ne fit pas de ces efforts qui impriment profondément

les liens dans les chairs.

 

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Photo : Détective

Cependant ses doigts sont couverts de sang coagulé, comme s'il lui avait été possible de porter ses mains

au visage après les premiers coups.

 

Ce que put être le drame

 

Ce que fut ce drame ?

 

Il est difficile de l'imaginer.

 

Certes, il fut horrible et l'on peut penser que l'assassin ligota tout d'abord sa victime.

 

Il y eut certainement une courte lutte, au cours de laquelle l'odieux personnage

arracha le collier de grosses perles fausses.

 

C'est ainsi que l'on retrouva l'un des grains profondément encastré dans le dos.

 

Puis, tenant Mme Isnard à sa merci, le criminel tenta par la violence de lui arracher des indications

lui permettant de s'emparer de l'argent.

 

N'obtenant pas les réponses désirées, ou craignant d’être dénoncé, il tua sa victime.

 

Inhumation

 

Une bière avait été apprêtée.

 

Après l'autopsie, on y plaça le corps de Mme Isnard.

 

Et, vers 16 h. 30, le convoi, précédé du clergé, se dirigea vers l'église du Relecq-Kerhuon.

 

L'inhumation eut lieu, au cimetière de la commune, en présence de deux membres de la famille.

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Source : La Dépêche de Brest 3 décembre 1932

 

Robuste et très valide, malgré ses 77 ans, Mme Isnard avait coutume de dire en riant,

si parfois on s'inquiétait de son état de santé :

« Ne craignez rien, je ne mourrai jamais! »

 

Et si l'on parlait enterrement, elle disait :

« Pour moi, je veux que l'on ne se dérange pas. Personne derrière mon cercueil ! ».

 

L'infortunée, ce disant, ne se doutait guère que son vœu serait pleinement exaucé.

 

Hormis les deux représentants de la famille venus, l'un de Quimper, l'autre de Brest, personne ne suivit le convoi.

 

Il est vrai qu'on ne s'attendait pas, dans le voisinage, à une aussi rapide inhumation.

 

Les recherches

 

Les recherches ont été reprises, ce matin, avec activité par MM. Le Gall, Le Poulennec et Prinborgne,

inspecteurs principaux de la brigade mobile de Rennes.

 

Dans une enquête de ce genre, il convient tout d’abord de recueillir toutes les indications susceptibles

de permettre de suivre une trace.

 

Puis, après un minutieux examen, d’écarter celles qui ne peuvent être d’aucune utilité.

 

C’est à ce travail patient d’élimination que procèdent actuellement les inspecteurs avec le concours actif

de M. Pierre, garde champêtre.

 

Des résultats ont déjà été obtenus et l’on peut suivre avec confiance la marche de l’enquête.

 

La date du crime

 

Des premières dépositions reçues, on avait conclu que le crime remontait à la nuit de vendredi à samedi ;

mais les souvenirs se sont précisés et il faut admettre aujourd'hui que la victime périt tragiquement jeudi soir.

 

C'est mercredi que Mme Théoden, facteur auxiliaire, versa le montant du trimestre, de la pension à Mme Le Gall,

la boulangère, pour être remis à Mme Isnard.

 

Cette remise se fit au cours de l'après-midi.

 

Le lendemain jeudi, Mme Isnard revint, pour la dernière fois, chercher son pain chez Mme Le Gall.

 

Sa marchande de lait ne la revit pas non plus après cette date.

Le chemin suivi par l'assassin

 

On avait cru tout d'abord que le portail de bois qui

donne accès au jardin était généralement banal.

Des déclarations plus précises ont permis d'établir

qu'il n'en était rien.

 

Lorsque mardi, Mmes Penvern et Lecot inquiètes de n'avoir pas vu leur voisine depuis cinq jours, résolurent d'aller lui offrir leur aide et leur secours si elle était malade, elles ne tentèrent pas d'ouvrir le portail pour pénétrer dans la propriété.

 

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Elles traversèrent une usine en construction, contiguë, pour gagner la voie et franchir un portillon ménagé

dans la haie vive de clôture, à proximité de la maison.

 

Elles constatèrent à ce moment que tout était clos, à l'exception cependant d'une étroite fenêtre placée

sous le perron et ouverte sur le réduit communiquant avec la cuisine, où le drame s'était déroulé.

 

On sait comment, après avoir vainement frappé à toutes les portes et appelé sans obtenir de réponse,

elles s'en furent faire part de leurs craintes à M. Ollivier, adjoint au maire.

 

C'est également par le portillon de la voie que M. Ollivier et M. Pierre s'en vinrent, le lendemain, dans la propriété,

où ils firent la tragique découverte que l'on sait.

 

Ils purent alors constater que le portail d'entrée était demeuré fermé à clef à l'intérieur.

 

Il ne peut donc y avoir aucun doute : l'assassin a pénétré dans la propriété par le portillon donnant sur la voie ferrée, puis s'est introduit dans la maison par la fenêtre du réduit, qu'il utilisa encore pour fuir.

 

Attaque brusquée

 

Nous avons déjà dit que Mme Isnard était atteinte d'une surdité assez prononcée.

 

Pour écouter son poste de T. S. F., elle s'en approchait tout près et se servait de plus d'un appareil acoustique.

 

C’était là sa distraction favorite et elle prolongeait tellement les auditions qu'elle s'endormait parfois sur la table.

 

Écoutait-elle la musique ce soir-là ou lisait-elle ?

 

La deuxième supposition semble être la plus vraisemblable,

car tout près de son corps on a trouvé ses lunettes brisées.

 

Avait-elle entendu venir l'assassin ?

 

On ne le sait évidemment pas encore ;

mais il y eut tout au moins une courte lutte à en juger par le collier de perles arraché

que l'on trouva également près du cadavre.

Quel fut le montant du vol ?

 

On sait qu'après avoir commis son forfait, le criminel a longuement visité les diverses pièces de l’immeuble.

 

Mais qu’a-t-il pu voler ?

 

Les recherches faites dans la maison ont permis de découvrir en divers endroits des titres italiens et viennois, des chemins de fer autrichiens, deux titres et un carnet de rentes viagères ainsi qu’un titre

de concession de bureau de tabacs.

 

Sous le lit, on trouva un coffret de métal soigneusement fermé

et contenant des bijoux tels qu’une montre d’homme en or ;

des perles, des boucles d'oreilles, une barrette,

un pendentif et une chaîne d’or, des agrafes.

 

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Mercredi Mme Isnard avait reçu 475 francs, soit quatre billets de cent francs un billet de 50 fr. ;

deux billets de 10 et 5 francs.

 

Mais elle possédait certainement d'autre argent, puisqu'elle avait passé commande d'un nouveau poste de T.S.F.,

que l'appareil est actuellement en gare et qu'il allait lui être livré.

 

D'autre part, Mlle Le Bastard, sa parente, nous déclare :

« Elle avait l'habitude de cacher son argent en divers endroits et m'expliquait qu’en l’enveloppant dans des chiffons,

il était bien en sureté. »

 

« Vers le mois de septembre, elle m'avait fait voir un portefeuille bien bourré. »

« Ce sont des billets de mille, m'avait-elle dit, et je vais encore en toucher autant. »

 

Or, ce portefeuille, retrouvé sur le lit de la chambre, avait un lien de fermeture arraché

et ne contenait plus que quelques coupons.

 

D'autre part, quand elle avait payé l'appareil de T. S. F. qu'elle possédait,

elle avait puisé dans une boîte à gâteaux pour en sortir la somme nécessaire.

 

Mais c'est en vain que l'on a recherché cette boîte.

 

Enfin, une seconde montre d'homme, en or, qu'elle plaçait d'ordinaire sur la table de sa cuisine,

dans un écrin qui avait renfermé quelque médaille, a également disparu.

 

Des pistes

 

Diverses pistes sont actuellement suivies par les inspecteurs avec toute la prudence nécessaire en pareille occurrence.

 

Mlle Le Bastard nous dit, qu'il y a quelques semaines, sa parente avait été victime d'une agression

dans son propre jardin.

 

Un individu s'était jeté sur elle, mais il avait été mis en fuite par un petit chien qu'elle possédait alors.

 

« Ce chien m'a sauvé la vie! » déclarait Mme Isnard.

 

Mais quelque temps après, l'animal était éventré sur la route de Guipavas.

« À coups de couteau » ! soutenait la disparue, qui l'aimait tant qu'elle en fit tanner la peau.

 

Depuis cette époque, elle refusa obstinément d'adopter un nouveau chien.

Elle parlait aussi parfois d'un autre individu, qui pénétrait de temps en temps dans son jardin

pour lui demander l'aumône et qui simulait l'ivresse quand elle l'en chassait.

 

Mais tout cela est encore bien vague et ne retient l'attention des enquêteurs qu'à titre d'information.

 

Les nombreuses opérations de contrôle auxquelles ils doivent se livrer absorberont vraisemblablement

toute leur activité pendant quelque temps.

 

À moins qu'au cours de leurs recherches, ils n'obtiennent une indication qui leur permette de les aiguiller de façon plus précise et d'intervenir avec vigueur.

 

C'est ce que souhaite vivement la paisible population de Kerhuon, qui leur fait pleinement confiance.

Un assassinat au Relecq_Kerhuon _07.jpg

Source : La Dépêche de Brest 4 décembre 1932

 

Il apparaît de plus en plus que le vol commis par l'assassin de Mme Isnard fut plus important qu'on ne le supposait.

 

Mme Le Gall, la boulangère de la route de Guipavas, avait la pleine confiance de la disparue,

qui faisait remettre chez elle son courrier et ses mandats.

 

Chaque jour, Mme Le Gall avait sa visite et du fait que les versements postaux lui étaient confiés,

une certaine intimité s’était établie entre les deux femmes.

 

C’est pourquoi Mme Isnard, qui se montrait généralement très réservée en ce qui concerne ses affaires personnelles, se laissait aller volontiers à des confidences avec la boulangère.

 

« Bien que la question de ses finances, nous dit Mme Le Gall, ne m'intéressât guère, Mme Isnard m'en parlait souvent. »

 

« Le total de mes rentes, me disait-elle récemment, s'élève à 11.000 francs. »

 

« Je sais, en effet, que le bureau de tabac dont elle était titulaire lui rapportait une somme de 4.000 francs. »

 

« La pension que lui versait la Chambre des députés avait été élevée de 1.200 à 2.000 francs. »

 

« Les rentes qui lui étaient servies par une assurance mutuelle étaient de 1.900 francs. »

 

« Je sais qu'elle possédait un coffre dans une banque de Paris et que les coupons des titres qui s'y trouvent

n'ont pas été touchés depuis longtemps. »

 

« Au moment de la conversion de la rente 5 p. 100, elle s'en fut à Brest pour transformer en viager

pour 1.000 francs de titres. »

 

« Enfin, si le 23 novembre je lui ai transmis une somme de 475 francs, représentant un trimestre de son assurance-vie,

il y a cinq semaines j'avais eu à lui remettre un billet de 1.000 francs provenant de l'exploitation du bureau de tabacs. »

« Le poste de T. S. F., qu'elle possédait depuis quelques mois,

avait été payé 3.000 francs. »

 

« Pour en avoir un autre plus puissant en échange,

elle devait encore verser 1.200 francs. »

« Cette somme-là, elle l'avait certainement en sa possession,

puisque le nouveau poste est arrivé et qu'on devait procéder

à son installation ces jours derniers. »

 

« Elle était économe et me répétait souvent qu'elle voulait acquérir

du terrain à Paris pour y faire bâtir. »

 

« Aussi je suis persuadée que l'assassin a dû faire main basse

sur une somme assez rondelette.»

 

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La montre disparue

 

Nous avons signalé qu'une montre en or, qu'avait coutume d'apercevoir sur la table de la cuisine une parente

de Mme Isnard, avait disparu.

 

On pouvait croire qu'elle avait été portée en réparation chez un horloger et qu'elle y était demeurée.

 

L'enquête à laquelle nous nous sommes livrés sur ce point nous a révélé qu'il n'en est rien.

 

Chez l'horloger de Kerhuon, voisin de la demeure tragique, on se souvient fort bien de cette montre.

 

Il y a quelque temps, Mme Isnard était venue y faire placer un verre.

 

C'était une montre en or, de femme, mais assez grande et très lourde.

 

Deux clefs y étaient attachées à l’aide d'un ruban.

 

La disparue la portait dans son sac quand elle sortait.

 

Des précisions qui nous sont fournies, il résulte qu'il s'agit du sac à main jaune,

où elle enfermait également quelque argent, et qu'on a retrouvé vide sur la table de la cuisine.

 

Mme Le Gall, la boulangère, a également vu l'objet entre les mains de Mme Isnard.

 

« C'était, dit-elle, une fort belle montre, que la pauvre dame consultait souvent. » .

 

Les recherches actuellement faites permettront-elles de découvrir le bijou ?

L'enquête

 

MM. Le Gall, Le Poulennec et Prinborgne, inspecteurs principaux de la police mobile, poursuivant leur enquête

ont fait rechercher quelques personnages sans profession ni domicile fixe qui étaient susceptibles de fournir

quelques indications.

 

Hier matin, le garde champêtre Pierre Benoit parvenait à trouver l'un d'eux à Kerhuon et le conduisait à la mairie.

 

L'interrogatoire qu'il a subi a bien permis de relever quelques invraisemblances, mais rien de plus jusqu'à présent.

 

Un de ses amis a été rejoint à Brest, où il était venu chercher du travail.

 

Il a été également interrogé et l'on a pu noter des contradictions avec les déclarations faites par le premier.

 

Les inspecteurs procèdent actuellement aux vérifications nécessitées par ces déclarations et ont invité les deux personnages à se tenir à leur disposition.

 

De son côté, la brigade de gendarmerie de Landerneau ne demeure pas inactive.

 

Elle poursuit ses recherches et a entendu, elle aussi quelques individus dont les affirmations méritent examen.

Un assassinat au Relecq_Kerhuon _08.jpg

Source : La Dépêche de Brest 5 décembre 1932

 

Les enquêteurs ont, hier, reçu d'importantes déclarations confirmant en tous points les indications

qu'ils possédaient déjà.

 

Il semble à présent certain que les recherches ne seront pas demeurées vaines et que l'affaire va, sans tarder,

entrer dans la phase active.

 

Une piste des plus sérieuses est actuellement suivie ;

mais on comprendra, qu’en dépit des renseignements précis que nous possédons

et des constatations qu’il nous a été donné de faire, nous ne puissions aujourd'hui insister plus clairement

sans entraver la marche de la justice.

Un assassinat au Relecq_Kerhuon _09.jpg

Source : La Dépêche de Brest 6 décembre 1932

 

Un mandat d'arrêt est lancé contre un jeune homme de Kerhuon, sur lequel pèsent de lourdes présomptions

 

L'enquête se poursuivait, entraînant des recherches et des vérifications très longues.

 

Déjà une semaine s'était écoulée entre le moment du crime et celui de la découverte du cadavre de Mme Isnard,

et cela n'était point fait pour faciliter la tâche.

 

Quand on avait voulu fixer le moment où, pour la dernière fois, on avait aperçu la victime,

on avait constaté un certain flottement dans la mémoire des personnes entendues.

 

Elles avaient coutume de voir chaque jour Mme Isnard et cette visite quotidienne n'était point pour elles

un événement marquant.

 

C'est ainsi qu'on crut tout d'abord pouvoir fixer au vendredi 25 novembre sa dernière sortie.

 

Puis de nouvelles précisions ramenaient cette date au jeudi 24.

 

Enfin, on put établir que le versement des 475 francs de rentes viagères fait par Mme Théoden, facteur auxiliaire,

à Mme Le Gall, boulangère, puis par cette dernière à la destinataire, avait été effectué le mercredi 23.

 

C'est dans ces conditions qu'on avait fait remonter le crime à la soirée du vendredi, puis à la soirée du jeudi.

 

Mais des renseignements obtenus au cours de ces dernières journées permettent d'admettre

que le drame se déroula mercredi soir, peu après le dîner.

 

Les constatations faites au cours de l'autopsie n'infirment d'ailleurs en rien cette dernière hypothèse.

 

« Je ne veux pas qu'un innocent paie pour le coupable »

Samedi dernier, dans la matinée, comme on recherchait,

pour renseignements, quelques individus,

l'un d'eux fut prié de suivre M. Le Gall, inspecteur principal,

et M. Pierre, garde champêtre, jusqu'à la mairie de Kerhuon.

 

Le voyant passer ainsi encadré, un livreur, qui a coutume

de faire ses tournées dans cette région, se remémora brusquement les détails d'une certaine rencontre qu'il avait faite

la semaine précédente.

 

La Forest Landerneau _01.jpg

Ces détails, qu'il avait jusqu'alors négligés, lui apparurent en ce moment comme pouvant avoir

une corrélation avec le drame.

 

Cela l'inquiéta tout le jour.

 

Tant et si bien que, le soir venu, il prit la résolution de faire part de ses soupçons à un agent de l'autorité.

 

Et il se présenta chez le garde champêtre :

« Je ne veux- pas, dit-il, qu'un innocent paie pour le coupable.

C'est pour moi une question de conscience et je dois vous faire savoir quelle étrange rencontre j'ai faite le jeudi 24 novembre. »

 

Un pull-over taché de sang

 

« Ce jour-là, l'itinéraire de ma tournée m'avait conduit à La Forest.

Il était près de midi quand j'entrai au débit Kerlann pour déjeuner. »

 

« Un individu que je ne connaissais pas s'y trouvait. »

 

« C'était un jeune homme d'une vingtaine d'années qui, pour manger, s'installa à ma table. »

 

« La conversation s'engagea tout de suite et, à la fin du repas, il m'offrit un digestif. »

 

« Comme il manquait de tabac, il m'accompagna vers le bourg en sortant. »

 

« C'est alors que je m'aperçus qu'il portait un pull-over taché de sang. »

 

Deux montres en or et des billets de banque

 

« Chemin faisant, il me fit des confidences. »

 

« Puis il m'exhiba une montre en or d'homme enfermée dans un écrin. »

 

« De la poche de son veston, il sortit une autre montre en or de femme et proposa de m'en vendre une 100 francs. »

 

« Comme je refusais, il me demanda si je ne connaissais pas un acquéreur possible. »

 

« Tu peux toujours les offrir, lui dis-je, à un horloger. »

 

« Oh ! je m'en arrangerai bien, dit-il, ces montres-là me viennent de mon grand-père. »

 

« D'ailleurs, pour le moment, je n'ai pas besoin d'argent, car j'en possède. »

 

« Je viens d'être libéré de la marine et j'ai là près de huit mille francs. »

 

« Ce disant, il me montrait un portefeuille qui, en effet, était bourré de billets de banque. »

 

« Dans une poche s'ouvrant sur le côté, je remarquais des billets de mille ou de cinq cents francs,

je ne pourrais préciser. »

 

En route vers Landerneau

 

« Au sortir du bureau de tabacs, il tint à m’accompagner

encore jusqu'au croisement de la route de La Forest

avec la route nationale. »

 

« Là nous entrâmes dans un débit où l'on vend également

des bicyclettes. »

 

« On consomma, puis on collationna d'une boîte de sardines. »

 

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« Il était environ 16 heures. »

 

« Un chauffeur de camion s'était joint à nous. »

 

« Mon compagnon lui demanda quelle direction il prenait. »

 

«  Je vais à Morlaix, dit l'autre. »

 

« En ce cas, si tu le veux bien, je vais monter avec toi sur le siège. »

 

« Ainsi tous deux disparurent dans la direction de Landerneau. »

 

« Depuis ce moment je ne l'ai plus revu. »

Sur la piste

 

Ces déclarations, on le voit, étaient d'importance.

 

M. Pierre se hâta d'en aviser les représentants de la police mobile, qui voulurent immédiatement obtenir confirmation.

 

Comme l'heure était trop tardive pour tenter de découvrir l'adresse du livreur, ils s'en furent chez Mme Kerlann.

 

La débitante se rappelait fort bien cette double visite.

 

À son mari, le jeune homme indiqué avait déclaré qu'il faisait son service dans la marine

et qu'il allait faire signer sa permission à Landerneau.

 

Il s'étonna bien de le voir aller en tenue civile accomplir cette formalité, mais ne prêta pas plus d'attention à ce détail.

 

Quant au livreur, Mme Kerlann le connaît fort bien puisqu'il vient tous les jeudis déjeuner chez elle.

 

Elle connaît également l'autre personnage qui habite Kerhuon et vint plusieurs fois chez elle.

 

Dimanche, MM. Le Gall, Le Poulennec et Prinborgne, inspecteurs principaux, réussissaient à joindre le livreur,

qui leur confirmait pleinement ses premières déclarations.

 

Dans la soirée, ils se rendaient à Landerneau et parvenaient, non sans peine,

à retrouver trace du passage du jeune homme au pull-over ensanglanté.

 

Il avait été embauché toute la semaine comme manœuvre dans une entreprise travaillant sur les quais.

 

Durant ce temps, il logeait chez Mme veuve T...

Libéralités inconsidérées

 

Le jeune homme arriva chez Mme T... le 23 ou le 24, dit-elle.

 

Il descendit du camion d'un marchand de vins de Morlaix

et demeura dans la maison jusqu'au 28 novembre.

 

Les dépenses qu'il y fit, il les régla en trois fois

et échangea des billets de banque.

 

Il possédait beaucoup d'argent et offrait à boire aux clients.

 

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C'est ainsi qu'un soir, après avoir payé deux litres de vin rouge, il tint à offrir une bouteille de mousseux.

 

Ces libéralités, il les expliquait en disant qu'il avait touché 1.200 francs sur son livret de la Caisse d'épargne.

 

Le lendemain de son arrivée, il fit voir deux montres en or :

une d'homme, qui était placée dans un écrin et une de femme.

 

« La première, disait-il, me vient de mon oncle et l'autre appartenait à ma grand-mère. »

 

Puis il déclara plus tard qu'il était allé chez un bijoutier pour faire réparer la dernière

et que ce commerçant avait tenté de l'acquérir.

 

«  Je ne pouvais pas la lui vendre, disait-il, car c'est un souvenir de ma grand-mère. »

 

Ce jour-là, il revint dans la journée chez sa logeuse en disant avoir perdu dans sa chambre une pièce en argent

sur laquelle était gravé le nom de son oncle.

 

On fit des recherches, mais en vain.

 

Un client de Mme T... lui a dit avoir rencontré ce personnage le 1er décembre, près du parc des sports

et avoir reçu de lui la confidence suivante:

« Depuis quinze jours j'ai dépensé 5.000 francs. »

 

Qu'est devenu cet inquiétant individu ?

 

Les inspecteurs ont établi qu'il dînait encore samedi dernier près de la gare de Landerneau ;

mais depuis cette date il a été impossible de suivre sa trace.

L'identité du suspect

Tout cela confirme pleinement les premières déclarations reçues.

 

Mais il restait à établir l'identité du jeune homme

au pull-over ensanglanté.

 

MM. Le Gall, Le Poulennec et Prinborgne,

qui avaient si rapidement suivi sa trace, s'en chargèrent.

 

Il ne fit bientôt plus de doute pour eux qu'il s'agissait

de Pierre Baranger, né à Kerhuon le 17 mars 1913.

 

Landerneau boulevard de la gare.jpg

Il habitait avec ses parents dans cette commune, rue de la Victoire, et avait pour eux, pendant un certain temps,

fait le transport de briques de mâchefer qu'il fabriquait.

 

Mais une fugue avait interrompu cette carrière.

 

Le 22 novembre, il avait enfin quitté ses parents en déclarant qu'il allait travailler à Morlaix.

 

Mandat d'arrêt

 

Nous avons déjà établi au cours de notre enquête qu'une parente de Mme Isnard avait remarqué chez elle,

sur la table de la cuisine, une montre d'homme, en or, qui était placée dans un écrin.

 

Un horloger de Kerhuon eut, d'autre part, l'occasion de placer un verre sur une montre en or de femme,

que la victime du drame lui avait apportée.

 

Mme Le Gall, boulangère, a constaté que sa cliente portait d'ordinaire ce bijou dans son sac à main.

 

Or, ces deux bijoux ont été volés.

 

On sait aussi que, le jour de l'assassinat, une somme d'argent importante a été enlevée.

 

Enfin cette pièce d'argent gravée que Baranger soutenait avoir perdue chez Mme T..., à Landerneau,

et qui, disait-il, portait le nom de son oncle, devait être une médaille ayant appartenu à M.Isnard.

 

Il n'est point nécessaire, par surcroit, de relever toutes les contradictions des confidences faites par Baranger

au cours de son voyage entre Kerhuon et Landerneau, non plus que l'imprudence de son attitude.

 

Tous ces faits concordants réunis et constituant une redoutable accusation, ont permis à M. Le Meur,

juge d'instruction d'inculper Baranger d'assassinat et de décerner contre lui un mandat d'arrêt.

 

Les recherches vont donc se poursuivre et M. Peyrousère, le distingué commissaire divisionnaire de la brigade mobile, va donc s'efforcer à présent, avec le concours intelligent et actif des inspecteurs principaux Le Gall, Le Poulennec

et Prinborgne, de compléter une tâche qui se présentait comme particulièrement difficile.

 

Rappelons, en terminant, le dévouement dont fit preuve en la circonstance le garde champêtre Pierre,

ainsi que l'activité déployée par la brigade de gendarmerie de Landerneau.

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Source : La Dépêche de Brest 7 décembre 1932

 

Le mandat d'arrêt lancé par M. Le Meur, juge d'instruction, avait attiré l’attention de toutes les forces policières

sur un but précis.

 

Cette fois, il ne s’agissait plus seulement de rechercher des personnages susceptibles de retenir des soupçons,

mais d'arrêter un individu parfaitement identifié dont on possédait le signalement, et inculpé d’assassinat.

 

La police, la gendarmerie, les gardes champêtres dirigeaient leurs investigations vers cet objectif nettement défini.

 

Les recherches portaient surtout sur Landerneau.

 

M. le capitaine Lang et ses gendarmes battaient le pays.

 

La police landernéenne faisait des recherches dans la ville.

 

Les inspecteurs de la police mobile n'abandonnaient pas, à juste titre, la trace du fugitif.

 

Toute la nuit fut patiemment employée à cette besogne.

 

Un coup de téléphone

 

Hier matin, vers 9 h. 30, M. Bonalet, commissaire de police de Landerneau, recevait un coup de téléphone.

 

On l'avisait qu'un individu qui, très vraisemblablement, était celui qu'on recherchait,

se trouvait à la briqueterie de M. Pasquier à Traon-Elorn.

 

Immédiatement, il partit, accompagné de l'agent Phily.

 

Il reçut là de telles déclarations que le doute n'était plus permis.

 

Un jeune homme, du nom de Baranger,

était venu offrir ses services le vendredi.

 

La main-d'œuvre ne faisait pas défaut à l'usine, mais comme

le personnage insistait, arguant qu'il était en chômage

et dépourvu d'argent, on consentit à l’employer

pour le prix de sa nourriture.

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Il était également sans logement et on lui en offrit un dans une dépendance de l'établissement, où il s'installa.

 

M. Bonalet se dissimula, avec l'agent Phily, près du bureau de l'usine, tandis que l'on attirait près d'eux Baranger

sous prétexte de lui faire exécuter un travail.

 

À son arrivée, MM. Bonalet et Phily se jetèrent brusquement sur lui et le ceinturèrent.

 

Baranger n'opposa aucune résistance.

 

Il demeura impassible, tandis qu'on lui passait les menottes, et se laissa conduire docilement

vers le commissariat de police.

 

«Je sais pourquoi vous m'arrêtez»

 

Chemin faisant, alors qu'on ne lui posait encore aucune question, Pierre Baranger crut devoir passer des aveux.

 

« Je sais pourquoi vous m'arrêtez, dit-il ; c'est moi qui ai tué la bonne femme ! »

 

Puis, placidement, Il poursuivit son chemin.

Au commissariat, on le fouilla minutieusement.

 

Il ne possédait plus les bijoux soustraits dans la villa, ni la moindre somme d'argent.

 

« C'est le besoin, dit-il, qui m’a poussé à commettre ce crime. »

 

« Mes parents m'ont chassé de chez eux et je me trouve sans ressources. »

 

Scène tragique

 

Dans le bureau de M. Bonalet, MM. les inspecteurs principaux Le Gall, Le Poulennec et Prinborgne

interrogent à présent Baranger.

 

Il pleurniche tout d'abord, déclarant qu'il regrettait son acte ; puis ce court moment de sensiblerie passé, il reprend de la voix, de l’assurance et parfois même de la gaieté.

 

Et c'est avec la plus grande simplicité qu'il retrace les détails de son forfait.

 

« Il était environ 19 h. 30, dit-il, le mercredi 23 novembre, lorsque je me suis glissé dans le jardin de Mme Isnard.

 

J'étais résolu à la supprimer pour m'emparer de l'argent qu'elle possédait.

 

Après avoir franchi le portillon qui donne accès de la voie ferrée à la propriété, et suivi la courte allée qui mène

à la maison, je vis que la fenêtre de la cuisine était éclairée.

 

La T. S. F. fonctionnait.

 

Je ne m'attardais pas à écouter le concert.

 

Je pris un morceau de bois qui se trouvait dans le jardin, avec lequel j'ai brisé l'une des vitres d'une petite fenêtre

qui se trouve sous le perron.

 

Ainsi je m'introduisis dans le réduit qui communique avec la cuisine.

 

Il me fut alors possible d'apercevoir Mme Isnard assise dans cette pièce devant son poste de T. S. F.

 

Je suis resté là un bon moment, puis je l'ai vue se lever et l'ai entendue disant :

« Il faut maintenant que je ferme ma porte. »

 

J'ai alors ramassé un bâton dans le réduit où je me trouvais dissimulé.

 

Elle alla vers la porte-fenêtre  de la cuisine, qu'elle ferma.

 

Puis, comme elle se dirigeait vers le réduit où j'étais, je lui ai porté un coup de bâton sur la tête.

 

Elle est tombée.

 

Comme elle criait, je lui ai serré le cou.

 

Enfin, je l'ai achevée à coups de talons de mes brodequins.

 

Ayant constaté qu'elle ne bougeait plus, je lui ai attaché les poignets avec un bout de ficelle qui se trouvait dans la pièce et les genoux avec le fil de prise de courant du poste de T. S. F., que j’ai arraché.

 

Cela fait, j'ai jeté son manteau sur elle.

 

Sur la table se trouvait un sac à main dont j'ai tout de suite fait l'inventaire.

 

Il y avait une somme de 435 fr. que j'ai empochée.

 

Près du deuxième poste de T. S. F., une montre en or de femme me tenta et je la pris.

 

Et j'ai commencé la visite de la maison.

 

Dans la chambre à coucher du 1er étage, j'ai tout fouillé.

 

J'ai découvert dans l'armoire une montre en or d'homme, que j'ai enlevée, ainsi qu'un collier de perles

qui était enfermé dans un petit sac et une médaille en argent sur laquelle était gravé le nom de M. Isnard, député.

 

Toutes les recherches que je fis ensuite dans les autres pièces de la maison sont demeurées sans résultat.

 

Il y avait là bien des objets, mais qui ne pouvaient qu'être encombrants pour moi.

 

Toutes ces investigations que je faisais en m'éclairant d'une bougie étant terminées vers 23 heures,

je repartis par la petite fenêtre du perron et je suis allé m'étendre sur de la paille près d'une ferme de Camfrout.

 

Au matin, je suis parti vers La Forest et me suis arrêté vers 11 heures chez Mme Kerlann, au Château.

 

Dans ce débit, j'ai consommé, puis j'ai déjeuné à la même table qu'un livreur.

 

Enfin, je me suis dirigé vers la route nationale où j'ai rencontré le chauffeur d'un camion de Morlaix, qui a bien voulu m'emmener à Landerneau.

 

Il était cinq heures du soir quand j'ai descendu chez Mme T...

 

Dans cette maison j'ai logé jusqu'au 28 novembre.

 

Le vendredi matin, comme je voulais me servir de la montre d'homme, je suis allé chez un horloger acheter une clef.

 

Le collier, je l'ai donné à une jeune fille que j'ai rencontrée avec son fiancé ; mais je ne la connaissais pas.

 

Je m'étais embauché vendredi dernier chez M. Pasquier, qui a fait acquisition d'une briqueterie à Traon-Elorn.

 

C'est là qu'hier soir j'ai voulu aussi me débarrasser des montres en les jetant dans la fosse d'aisance.

 

Le collier de perles

 

Dans l'après-midi d'hier, on découvrait la jeune fille à laquelle Baranger avait fait cadeau du collier.

 

Elle ne fit aucune difficulté pour remettre ce bijou, qui n'a d'ailleurs pas grande valeur,

en déclarant qu'elle ne se doutait guère de sa provenance.

 

« C'est bien ce collier-là, a affirmé Baranger, que j'ai dérobé chez Mme Isnard. »

Vers le Bouguen

 

La nouvelle de cette arrestation s'était bien rapidement répandue à Landerneau.

 

Bientôt on se pressait en foule devant

le commissariat de police.

 

Patiemment, hommes, femmes et enfants attendaient

la sortie de l'assassin dont on voulait apercevoir les traits.

 

Il était près de 16 heures quand une automobile

s'arrêta devant l'immeuble.

 

Un assassinat au Relecq_Kerhuon _11.jpg

Photo : La Dépêche de Brest

Encadré de ses gardes, Pierre Baranger, les poings liés par les menottes, apparut.

 

Jeune homme de corpulence normale, vêtu très simplement, coiffé d'une casquette,

il hésita un instant sur le pas de la porte comme ébloui par la lumière du jour, puis prit place dans le véhicule.

 

Près de lui se placèrent MM. Le Gall, Le Poulennec et Prinborgne et le véhicule prit la route de Brest,

tandis que la foule, curieuse et muette, le suivait du regard.

 

À 16h30, le meurtrier, tête basse et menottes aux poignets, descendait du taxi et, encadré par les trois inspecteurs principaux de la police mobile, franchissait la grille du palais de Justice, devant laquelle  de nombreux curieux, maintenus par des agents cyclistes, l’attendaient.

 

Après avoir subi un premier interrogatoire de M. Le Meur, juge d'instruction, Baranger a été conduit au Bouguen.

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Source : La Dépêche de Brest 8 décembre 1932

 

Dans le public, on commençait à établir une relation entre le double crime de Keravilin (*)

et l'assassinat de Mme Isnard.

 

(*) A lire : Le Double crime de Keravilin

L'impatience aidant, comme on ne découvrait pas immédiatement le coupable, on en venait à soutenir

que les deux affaires devaient être imputables au même criminel ...

 

L'arrestation de Pierre Baranger, suivie de ses aveux, vint mettre fin à ces racontars,

dont la conclusion ordinaire était que, dans notre région, les criminels ont beau jeu.

 

Trop souvent, on néglige les difficultés de la tâche des enquêteurs.

 

Ils reçoivent tout d'abord des déclarations de toutes sortes auxquelles ils doivent certainement prêter attention,

mais qu'ils ne peuvent admettre que sous bénéfice d'inventaire.

 

En l'occurrence, on s'en est bien aperçu puisque tous les témoignages de la première heure concordaient

pour situer le crime de Kerhuon dans la nuit de vendredi à samedi 26 novembre.

 

« C'est le vendredi », avait dit tout d'abord Mme Théoden, facteur auxiliaire, que j'ai versé chez Mme Le Gall une somme de 475 francs pour Mme Isnard.

Après vérification, il fallut admettre que le versement avait eu lieu

le mercredi.

 

Les voisins, eux aussi, soutenaient avoir vu la victime le vendredi.

 

Puis ils tombèrent d'accord pour déclarer que c'était le jeudi.

 

Les enquêteurs devaient être influencés par ces affirmations.

 

Mais ils ne négligèrent pas cependant les révélations faites

par le livreur qui avait, ce même jeudi, rencontré Baranger

avec son chandail souillé de sang.

 

Les vérifications auxquelles ils procédèrent, ainsi que les aveux reçus après l'arrestation, ont démontré qu'ils avaient eu pleinement raison.

 

Dans la maison du crime

 

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Dans la propriété de Mme Isnard règne aujourd'hui un silence impressionnant.

 

Les pigeons qu'elle affectionnait tant continuent de virevolter autour de la maison.

 

Pour eux, sauf la pâture, qui leur était généreusement distribuée, il n'est rien de changé.

 

Ils roucoulent encore dans le jardin ; ils se promènent impassibles autour des cadavres de leurs congénères morts

de faim pendant la semaine qui précéda la découverte du crime ;

par une brèche taillée par les intempéries dans les volets de fer,

ils pénètrent encore dans la cuisine où leur maîtresse défunte les autorisait à manger dans ses propres plats.

 

Sur le sol, dans l'allée ombragée qui mène de l'immeuble au portillon donnant sur la voie,

des touffes de cheveux coupés au moment de l'autopsie que l'on pratiqua là, rappellent le drame.

 

Tandis que ses collègues Le Poulennec et Prinborgne procédaient à des vérifications dans la région, ce matin,

M. Le Gall, inspecteur principal de la police mobile, et M. Pierre, garde champêtre,

sont venus constater que les scellés apposés sur les portes étaient intacts

 

Le montant du vol

 

Pierre Baranger, sur qui l'on ne trouva pas un sou au moment de son arrestation,

a déclaré n'avoir volé chez sa victime qu'une somme de 435 francs, deux montres en or et un collier.

 

On sait, d'après la déposition d'une parente de Mme Isnard, que celle-ci avait coutume de dissimuler son argent

dans les coins les plus divers de sa maison et on peut admettre qu'il a jusqu'à présent échappé aux recherches

de l’assassin comme aux investigations des enquêteurs.

 

On croit, en effet, qu'elle possédait d'autres sommes que les 475 francs de rentes viagères reçus

le jour même du drame.

 

Un mois auparavant, elle avait encore reçu 1.000 francs de son bureau de tabacs, affirme Mme Le Gall,

qui lui servait d'intermédiaire avec la poste.

 

Quand elle avait acquis son poste de T. S, F., vers août, elle en avait payé le prix, 3.000 francs,

à son fournisseur en puisant dans une boîte à gâteaux où se trouvait beaucoup d'argent.

 

Cette boîte n'a pas été retrouvée.

 

Le livreur qui avait rencontré Baranger à La Forest, le lendemain du crime, assure lui avoir vu entre les mains

un portefeuille contenant des billets de 1.000 ou de 500 francs.

 

Or, on sait avec quelle précision les autres déclarations de ce témoin ont été confirmées par l'inculpé lui-même.

 

Celui-ci n'a-t-il d'ailleurs pas déclaré à un ouvrier de Landerneau le rencontrant près du parc des sports,

le 1er décembre, qu'il avait dépensé 5.000 francs en quinze jours !

 

Enfin, toujours à Landerneau, un autre témoin affirme avoir vu en sa possession une somme d'au moins 500 francs.

 

Il semblerait résulter de tout ceci qu'en ce qui concerne le montant du vol, Baranger a menti en affirmant

qu'il n'avait soustrait que 435 francs.

 

Une brigade de gendarmerie à Kerhuon

 

Le cynisme du jeune assassin, dont nous avons reproduit les déclarations, a particulièrement impressionné

la population de Kerhuon qui le connaissait.

 

Un forfait comme celui-là est bien de nature à causer de l'émoi.

 

Certes, on connaît l'activité et le courage de M. Pierre, garde champêtre, mais dans une commune aussi étendue, située aux abords de Brest, et où l'on note la présence d'une certaine population cosmopolite,

il lui serait utile de disposer de quelque concours.

 

Qu'un événement se produise à Kerhuon, comme la démonstration vient d'en être faite en cette affaire,

et il faut faire appel à la brigade de gendarmerie de Landerneau.

 

Il n'en est pas de plus proche.

 

Pourquoi ne pas installer une brigade à Kerhuon même, qui desservirait à la fois la commune de Guipavas, qui,

à cet égard, est également rattachée à celle de Landerneau,

et la commune de Plougastel dépendant de la brigade de Daoulas ?

 

La question mérite d'être examinée.

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