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Fenêtres sur le passé

1932

Le double crime de Kéravilin en Guipavas
 

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L'armoire avait été saccagée.

 

Le second lit de la chambre avait été fébrilement fouillé.

 

La nouvelle de ce double crime se répandit aussitôt.

 

À dix heures du matin, dans Brest,

on savait déjà qu'aux portes de la ville, à Kéravilin,

deux vieillards avaient été férocement assassinés

dans leur chaumière.

 

Kéravilin ... Un petit village d'une vingtaine d'âmes,

accroché au flanc d'un coteau.

 

L'endroit est connu sous le nom du « Vallon ».

 

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Photo - Détective

 

Source : Détective 31 mars 1932

Brest (de notre correspondant particulier).

 

Le secret du vallon

 

De son pas traînant, Marie-Jeanne Calvez, une vielle lavandière quinquagénaire, arrivait comme d’habitude

pour commencer sa journée chez sa patronne, Mme Auffret.

 

Il était huit heures du matin.

 

Le ciel gris et bas laissait prévoir la pluie et Marie-Jeanne hâtait le pas.

En arrivant, elle poussa la porte de la buanderie et entra dans la pièce encore sombre à cette heure.

 

Elle avançait, à tâtons, lorsqu'elle heurta une forme allongée sur la terre battue.

 

Elle se pencha et reconnut sa patronne dont la tête et le côté droit baignaient dans l'eau tiède encore du puisard

où l'on coule « la buée ».

 

Vivement, Marie-Jeanne prit dans ses mains tremblantes la tête de Mme Auffret.

 

Elle ne put réussir à déplacer de ses bras débiles le corps inerte de sa patronne.

 

Alors la pauvre vieille appela les voisins à l'aide.

 

Mme Collin, une voisine, accourut et comprit tout de suite qu'un drame affreux venait de bouleverser

cette paisible demeure.

 

Elle pénétra en toute hâte dans la maison.

 

Sur le lit, M. Auffret, un vieux retraité de l'Arsenal, réformé à 100 %, était étendu.

 

Son cou portait des traces violacées de strangulation.

Au fond de la crevasse taillée à même la chair graniteuse du sol breton, coulent les ruisseaux murmurants

qui alimentent les quatre lavoirs du village.

 

On entend, de loin, le bruit des battoirs se mêler aux babillages des lavandières en coiffes blanches.

 

C'est là, tout près, dans une maison blanchie à la chaux, que vivaient les époux Auffret.

 

Ils avaient une réputation de gens aisés.

 

On leur prêtait une fortune s'élevant de 40 à 50.000 francs.

 

Malgré cela, Mme Auffret, âpre au gain, très économe, travaillait du matin au soir, prolongeant, le mardi,

sa journée très tard pour « couler sa buée », comme on dit ici.

 

Ce soir-là, elle veillait donc comme d'habitude, à la lueur tremblante d'une bougie.

 

Il faisait, dehors, « un temps de chien ».

 

Le vent faisait grincer la porte de la buanderie et par les jointures soufflait dur dans la pièce remplie

des vapeurs de la lessive bouillante.

 

Que s'est-il passé, alors ?

 

On suppose que l'assassin a tout à coup surgi dans la buanderie,

tandis que les aboiements furieux du chien de garde s'élevaient dans la plainte du vent.

Lavoir-Keravilin - photo Emmanuelle Leco

Lavoir Kéravilin - Photo Emmanuelle Lecourt

Est-ce un inconnu, pour Mme Auffret ?

 

Il ne lui laisse pas le temps, en tout cas, de se ressaisir...

 

Il lui prend la gorge et lui plonge la tête dans l'étroit puisard

où il maintient la pauvre femme jusqu'à ce qu'aucune fibre

de son être ne tressaille.

 

Il éteint la bougie et passe dans la maison.

 

M. Auffret dort déjà.

 

Il est malade : le cœur, les poumons, rien ne va plus.

 

La machine est usée.

 

L'assassin n'aura aucun effort à faire.

 

D'une main, il étreint la gorge décharnée du vieillard.

 

De l'autre, il étouffe sur sa bouche le dernier cri de détresse.

 

Un ou deux tressaillements, le corps se détend.

 

Il y a une victime de plus dans la petite maison.

 

Mais c'est là tout ce qu'on sait, ou plutôt ce qu'on suppose.

 

Un mystère à peu près complet plane sur l'horrible tragédie.

 

Autour des victimes, rien de suspect n'a pu être relevé,

si ce n'est de très vagues traces de pas.

 

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Photo - Détective

Et c'est sur ces minces indices que l'enquête s'est engagée, menée par MM. Cunat et Gosquer,

de la brigade mobile de Rennes.

 

Pendant dix jours, les choses n'avancèrent guère.

 

On arrêta des vagabonds, des repris de justice ; un voisin fut lui-même un instant soupçonné.

 

Puis plus rien.

 

Dans cette terre où le mystère fleurit comme le genêt sur les landes,

une nouvelle énigme viendrait-elle chanter la nuit son funèbre « Soniou » dans les imaginations paysannes ?

 

Après l'affaire Cadiou, après l'affaire Seznec, y aura-t-il sur le territoire fameux de la commune de Landerneau

un mystère de Kéravilin ?

 

Dix jours après, les gendarmes Le Goff et Carie découvraient en trois endroits différents

une somme de 17.960 francs.

 

La première partie du magot était renfermée dans une boîte de fer placée sous un chaudron, près de la cheminée.

On découvrit 76 francs dans un porte-monnaie placé dans une boîte de vermicelle.

 

Enfin 15.800 francs dans une cassette recouverte d'une toile cirée.

 

Tout l'argent des victimes n'avait donc pas été la proie de l'assassin, ou des assassins.

 

Un ou deux hommes ?

 

Un voisin vient de déclarer que le soir où le crime a été commis, exactement 10 h. 30,

deux hommes qui pouvaient venir du hameau se sont disputés sous ses fenêtres.

 

Cette dispute venait-elle du fait que les assassins n'avaient pu découvrir l'argent des époux Auffret ?

 

Des bruits invraisemblables circulent, mettant le village dans un état d'anxiété tel que certains vivent,

depuis le soir du drame, des nuits hallucinées.

 

R. MÉMORET

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Source : Chronique Brestoise 2 avril 1932

 

La tragédie de Kéravilin

 

Rien de nouveau à Kéravilin.

 

Voilà bientôt un mois que le double assassinat des époux Auffret a été commis.

 

Jusqu'à ce jour, il n'a pas été relevé une seule piste sérieuse.

 

L'enquête activement menée par la police mobile a permis de situer le drame.

 

C'est tout.

 

La « Maison du Moulin » gardera-t-elle son secret ?

 

Le mardi 8 mars, jour de grand travail au village des buandiers Auffret.

 

Deux bandits connaissant et les lieux et leurs victimes surgissent dans la buanderie,

alors que Mme Auffret est occupée à plonger son linge dans la lessiveuse :

ils la poussent, elle tombe la tête dans l’eau bouillante, elle est maintenue ainsi.

 

La malheureuse victime n'a même pas le temps d'appeler au secours !

Elle meurt.

 

Les bandits montent au premier étage, où M. Auffret malade depuis plusieurs mois, est endormi.

 

Ils l'étranglent.

 

Leur coup fait, les assassins qui connaissaient l'aisance

des époux Auffret, vont prospecter la maison du haut en bas.

 

L'armoire est fouillée.

 

Mais, précipitamment, troublés par un bruit insolite sans doute, les bandits interrompent leur odieux et macabre travail, boivent un verre de Banyuls, et prennent la fuite...

 

Le chien Titan hurla.

 

C'est tout.

 

Puis l'inconnu !..

 

Une personne du village a bien entendu une discussion

la nuit du drame, mais n'a pu retenir le signalement

des deux hommes.

 

Certains croyaient tenir un des coupables

et s'acharnèrent sur lui.

 

Il fut même appréhendé.

 

On dut le relâcher

 

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Photo - Détective

Puis en perquisitionnant à la maison Auffret, on découvrit d'abord 17.000 francs,

puis 27.500 francs en bons de la Défense Nationale, cachés dans le matelas du lit.

 

Un journal local, s'arrêta à une histoire d'ivrognes, et parce que quatre fêtards

avaient tenu des propos « compromettants » dans un bistro, la feuille se lança aussitôt sur cette piste.

 

Les quatre fêtards furent emprisonnés pendant 24 heures.

 

L’un des jeunes gens appartenait à une famille très honorablement connue à Brest.

 

Qu'il eût mieux fait de choisir d'autres fréquentations, certes, Mais de là à être traité d'assassin !!!

 

D'ailleurs, dès que la police mobile eût connaissance de l'affaire, elle fit relâcher les quatre jeunes gens.

 

Les jours passent.

Le mystère demeure toujours tout entier.

 

La tragédie Auffret demeurera-telle mystérieuse

comme les affaires Cadiou, Franck, Quéméneur

qui illustrèrent notre région en moins de vingt ans ?

 

Ce double crime restera-t-il impuni ?

 

Nous ne voulons pas le croire.

 

Les policiers ont un habile auxiliaire, qui un jour ou l'autre viendra les secourir : le hasard !..

 

C'est sur lui, comme sur l'adresse professionnelle des inspecteurs,

qu'il faut compter.

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Photo - Détective

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Source : Chronique Brestoise 23 avril 1932

 

Guipavas

 

LE DOUBLE ASSASSINAT DE KÉRAVILIN.

 

M. Le Meur, juge d’instruction, a entendu M. Jean Adelin, du village de Keravilin, qui a précisé

dans quelles conditions il fut victime, il y a trois mois, de sévices de la part du domestique de ferme Fily.

 

Sans l’intervention de Mme Adelin mère, celui-ci lui eût fait un mauvais parti.

 

Depuis l'arrestation de Fily, les langues se délient.

 

La crainte qu'il pouvait inspirer a disparue, et les renseignements qu'on fournit sur son compte

deviennent défavorables.

 

Les inspecteurs de la brigade mobile vont rentrer tous à Rennes.

 

Vraisemblablement plusieurs reviendront pour l'enquête, que l’absence d’aveu rend délicate.

 

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Source : Le Citoyen 11 août 1932

 

Guipavas - Après le drame de Kéravilin

 

Yves Fily, l'auteur présumé du double crime de Keravilin,

en Guipavas, qui, sur la demande de Me Masseron, son avocat, avait été soumis à un examen mental à l'asile d'aliénés

de Quimper, est revenu à Brest.

 

Le docteur Lagriffe, médecin-chef de l'asile,

conclut à son entière responsabilité.

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Source : La Dépêche de Brest 12 octobre 1932

 

Quimper, — Rarement affaire judiciaire aura apparu plus mystérieuse après une longue journée d'audience.

 

Rarement verdict aura été plus incertain.

 

À l'heure où va commencer la deuxième journée du procès, il est absolument impossible d'émettre

une opinion fondée sur autre chose qu'un sentiment intime.

 

À l'instant où les débats vont s'ouvrir, on observe qu'une foule plus considérable se presse

dans l'enceinte réservée au public.

 

Sans doute l'incertitude qui domine les débats est-elle pour quelque chose dans ce changement d'atmosphère.

 

Fily est semblable à ce qu'il était la veille.

 

Très calme et, dirait-on, comme absent...

 

À 13 h. 20 les débats commencent.

 

La déposition de M. LÉAL

 

M. Hervé Léal, 29 ans, cultivateur à Kéravilin, est appelé le premier à la barre et on attend beaucoup de sa déposition.

 

L'ancien patron de Fily explique qu'il considérait son employé comme un menteur d'habitude.

 

Le président. —. Était-il dépensier?

 

M. Léal. — Je n'ai rien remarqué à ce sujet.

 

Le président. — Le 8 mars, à quelle heure avez-vous soupé ?

 

M. Léal. — Vers 19 heures.

 

Le président. — Fily sortait le soir ?

 

M. Léal. — Oui, souvent, pour aller chercher du tabac.

Le soir du crime, Fily est bien sorti après dîner.

À son retour, sans question de ma part, il m'a dit qu'il était allé chez Salou faire sécher son pantalon.

 

On évoque ensuite la visite faite en janvier aux Auffret.

 

Puis on en revient au soir du crime.

 

Fily n'a pas dit à son patron qu'il avait posé ses collets.

 

M. Léal. — Jamais il ne m'a dit qu'il posait des collets.

Fily couchait seul au rez-de-chaussée.

 

Le président. — Le 8 au soir, vous n'avez pas fermé la porte à clef ?

 

M.Léal. — Non.

 

Le président. — Il pleuvait, ce soir-là ?

 

M. Léal. — Oui, fortement, je crois.

 

Le président. — Fily était-il mouillé à son retour.

 

M. Léal. — Non, je n'ai pas remarqué.

 

L'ancien patron de Fily exprime l'opinion que ce soir-là le temps était fort peu propice pour poser des collets.

 

En quittant M. Léal, le 19 mars, Fily a dit avoir l'intention d'aller voir ses parents.

 

Dix jours avant, il y était déjà allé.

 

Le président. — Vous a-t-il demandé de l'argent ?

 

M. Léal. — Oui; je lui ai donné à peu près ce qu'il avait gagné.

 

Le 30 mars, à son retour, Fily était congédié.

 

Son patron précise qu'il était généralement « dur » à l'égard des animaux.

 

Le président. — Avez-vous remarqué que Fily portait une égratignure à la face au lendemain du crime ?

 

M. Léal. — Il en portait une, mais je ne peux pas préciser si cela se voyait avant ou après le crime.

 

Fily, après la sinistre affaire, resta ce qu'il était à son habitude.

 

Assez renfermé, il n'avait guère de camarades.

 

Me Le Coz. — Le soir du crime, combien de temps Fily est-il resté absent ?

 

M. Léal. — Une demi-heure ou trois-quarts d'heure.

Je n'ai pas regardé la pendule.

 

Le président. — Fily lisait-il ?

 

M. Léal. — Oui... les journaux que nous prenions.

 

L'audition de M. Léal a été suivie avec un intérêt marqué — et que l'on comprend bien — par l'inculpé.

 

M. Goulven SALOU

 

Rappelé à son tour, M, Goulven Salou, 33 ans, manœuvre, qui habitait Kéravilin  au moment du crime,

explique qu'il connaissait bien Fily.

 

Le soir du crime, Goulven Salou, lui aussi, faisait sa « buée ».

 

Dans la soirée, vers 18 heures, le témoin a vu M. Auffret monter le linge du lavoir chez lui.

 

M. Salou, après avoir fini son dîner, à 20 h. 15, a repris son travail.

 

Vers 20 h. 30, Fily est entré pour le voir dans la buanderie.

 

Le président. — Il pleuvait ?

 

M. Salou. — Oui, une brume épaisse.

 

Le président. — Fily était-il mouillé ?

 

M. Salou. — Oui., mais pas trop.

 

Le président. — Que vous a-t-il dit ?

 

M. Salou. — Qu'il faisait meilleur que dehors.

Il est resté à peine cinq minutes.

Il avait l'air un peu agité.

 

Le président. — Vous a-t-il parlé de collets ?

 

M. Salou. — Du tout. Il n'a pour ainsi dire fait qu'entrer et sortir.

 

Un juré — Fily avait-il l'habitude de passer chez vous le soir des « buées » ?

 

M. Salou. — Non, du tout...

 

Un juré. — Pour aller poser des collets, Fily passait-il par chez vous ?

 

M. Salon. — Oui, en prenant un chemin à travers champs.

 

Le président. — Fily, êtes-vous passé à travers champ ?

 

Fily. — Non.

 

Une discussion obscure s'engage alors sur le plan du village de Kéravilin,

dont la majeure partie des jurés ne connaît la topographie.

 

Le président. — Accusé, rien à dire ?

 

Fily. — ...

 

Le président à Salou. — Si Fily était resté dehors sous la pluie qu'il faisait, pendant une demi-heure, aurait-il été plus mouillé qu'il ne l'était en entrant chez vous ?

 

M. Salou. — Oh ! dame oui !

 

Le témoin explique qu'il faisait un temps détestable pour poser des collets.

Nuit noire. Pluie. Chemin malaisé, etc...

 

Me Le Cos. — Le bas du pantalon était-il mouillé ?

 

M. Salou. — Oui... mais pas très.

 

Mme SALOU mère

 

Mme veuve Salou, blanchisseuse, mère du précédent témoin.

 

— Fily. dit-elle, n'est jamais rentré chez moi que le soir du crime.

 

Mme Salou précise que de chez elle on ne voit pas la demeure des Auffret.

 

Elle confirme ce qu'a dit son fils relativement au passage de M. Auffret vers 18 h. 30

et aussi à l'arrivée inopinée de Fily.

 

Mme Salou. — Il est entré chez nous comme un coup de vent.

Il m'a dit qu'il avait été posé des collets.

Il tombait de la petite pluie.

Fily était mouillé, mais pas « trempé ».

 

Le président. — Avait-il une égratignure à la joue ?

 

Mme Salou. — Oui, mais une petite « égratignure de rien.»

 

Le témoin ne peut pas préciser combien de temps Fily est resté en sa présence.

 

Le procureur. — Fily paraissait-il normal ?

 

Mme Salou. — Il était agité un peu.

Il m'a dit qu'on l'attendait pour dire la prière.

 

M. Léal est appelé à préciser que Fily est sorti vers 19 h. 30.

 

Le président. — Nous arrivons à une différence d'une heure.

 

M. Léal ne peut évidemment pas donner des précisions absolues.

 

Le président. — Fily, avez-vous bien regardé la pendule en sortant de chez M. Léal ?

 

Fily- — Oui.

 

Le président. — Et en rentrant ?

 

Fily- — Non.

 

Or, à l'instruction, il a dit à M. Cunat : « Quand je suis rentré, j'ai vu à la pendule qu’il était 20h 35.

 

Le président. — Vous avez bien dit cela ?

 

Fily – Non.

 

Le président. — Alors par cinq fois, il y a un commissaire de police et un juge d’instruction

qui ont écrit des choses fausses …

 

La discussion devient serrée.

 

Cette question de minutes est angoissante.

 

Le sort d’un homme se joue là-dessus.

 

Fily regarde les jurés au cours du duel qui met aux prises l’accusation et la défense.

 

Une suspension d’audience décharge un peu l’atmosphère de son électricité.

 

M. Olivier Adelin

 

Olivier Adelin, manœuvre, 43 ans, demeurant à Kéravilin, vient faire sa déposition.

 

Le témoin connaissait bien les deux victimes.

 

Il ne les avait pas vus le jour du crime.

 

M. Adelin. — J'ai eu une dispute avec Fily, quinze jours avant l'affaire.

 

Il m'a f... des coups de poing et de sabot.

 

J'ai appelé ma mère, sans quoi j'étais tué.

 

La dispute est venue à propos des collets.

 

Même que mon chat a été pris dedans.

 

Fily m'a pris au cou avec la main gauche et m'a serré « salement ».

 

J'ai porté la marque quinze jours.

 

Le président. — Fily, vous l'avez pris à la gorge ?

 

Fily. — Non, c'est pas vrai.

 

M. Adelin. — Pourtant, c'est vrai.

 

Me Le Coz voudrait faire préciser que le témoin a été condamné pour désertion en temps de guerre.

 

Le président en appelle à M. Léal pour obtenir des renseignements de moralité sur Adelin.

 

Aucune lumière ne jaillit de cette discussion.

 

Il y a du pour et du contre.

 

Le président. — Adelin, n'hésitez pas à vous rétracter.

Ce que vous avez dit est exact ?

 

M. Adelin. — Oui.

 

Mme ADELIN

 

Selon l'ordre habituel, Mme Adelin succède à son fils.

 

Elle confirme le récit qui vient d'être fait, et ajoute:

 

— Moi j'aimais mieux mon chat que les collets...

Fily avait jeté mon fils dans les « aronces ».

 

Le président. — Avez-vous vu Fily prendre Adelin à la gorge ?

 

Mme Adelin. — Oui, il le tenait à la gorge.

II a eu les marques pendant huit jours.

 

Le président. —. Vous dites bien la vérité ?

 

Mme Adelin. — Oui bien sûr... Oui Je l'ai vu...

 

M. le président. — Le prendre â la gorg» ?

 

Mme Adelin. — Mais oui. J'affirme.

 

Le témoin, en dépit de ses 70 ans, se montre combatif.

 

Le soir du crime, Mme Adelin n'a rien vu, rien entendu.

 

Ses déclarations sont contraires en partie à celles faites aux gendarmes, le jour qui suivit le crime.

 

Le séjour en prison

 

Voici M. Émile Gagne, 43 ans, surveillant-chef de la prison de Quimper.

 

Il va parler de la scène qui s'est déroulée le 17 juillet au soir à la maison d'arrêt.

 

Le détenu Camus avait appelé à l'aide et avait déclaré que Fily « avait voulu l'étrangler. »

 

M. Gagne. — Le lendemain, Camus portait de fortes ecchymoses autour de la pomme d'Adam.

 

Fily nie avoir saisi son codétenu à la gorge.

 

Me Le Coz. — Peu importe.

 

Le président. — Si, tout de même, car si le fait Adelin est exact, cela ferait deux tentatives de strangulation.

Or, le docteur Lagriffe a parlé pour Fily d'un « automatisme du geste de strangulation ».

J'ajoute que deux codétenus ont déclaré :

«  Fily a saisi Camus à la gorge avec la main gauche. »

 

Ce détail est important, puisque on dit que vous êtes gaucher.

 

Vient ensuite M. André Paul, surveillant à la prison de Quimper.

 

Il confirme que Camus portait des ecchymoses à la gorge, deux au côté gauche du cou, une au côté droit.

 

Le président. — Ce qui implique l'usage de la main gauche.

 

Mme veuve Ségalen, 67 ans, cultivatrice à Prat-ar-Lan, en Plouider, a employé Fily à son service en avril dernier,

alors qu'il venait de quitter son ex-patron Léal.

 

Elle vient déposer que c'est Fily qui lui a demandé de l'embauche.

 

Le président. — Alors Fily, vous aviez l'intention de quitter votre patron ?

 

Fily. — Non.

 

L'audition du chef de l'identité judiciaire.

 

Voici un témoin capital : M. Ed. Œuvrard, chef du service de l'identité judiciaire.

 

Il a étudié les empreintes digitales relevées dans la maison du crime, entre autre sur une bouteille et sur un verre.

 

Quatre traces appartenant à Mme Auffret, et révélées sur la bouteille; une trace sur un verre.

 

M. Œuvrard. — Celle de l'inconnu.

On a reconnu que la trace appartient à Fily.

Il y a 11 points de concordance. Il s'agit de son index gauche.

 

M. Œuvrard explique aux jurés la valeur indiscutable des empreintes digitales

et s'engage dans une petite conférence fort instructive.

 

Ajoutons qu'on a analysé les empreintes de 19 personnes approchant la maison Auffret,

et celles des victimes elles-mêmes.

 

En dehors de la bouteille et du verre, on a examiné bien d'autres traces, mais rendues inutilisables.

 

Les 21 empreintes de comparaison furent tirées en dix exemplaires différents par personnes, soit 210 planches à examiner.

M. Œuvrard. — La trace vient de l'index gauche de Fily.

L'empreinte digitale apporte la certitude absolue.

L'empreinte digitale ne peut pas tromper.

 

Le président. —. Vous n'avez pas de doute sur l'empreinte.

C’est bien celle de Fily ?

 

M. Œuvrard. — Je n'ai aucun doute.

 

Le président. — Vous arrivez à nous dire que c'est Fily qui a touché le verre...

 

M. Œuvrard. — Avec l'index gauche.

 

Le président souligne à cet instant que Fily a toujours soutenu n'être jamais entré chez les Auffret depuis janvier.

 

Un silence impressionnant règne dans la salle.

 

L'inculpé demeure impassible.

 

M. Œuvrard. — Le verre est venu dans une boîte portant le sceau de l’instruction.

Il est arrivé intact.

Si quelqu'un d'autre avait touché le verre, eh bien j'aurais trouvé d'autres traces à côté de celles de Fily.

Tout simplement.

 

Un juré. — Pendant combien de temps l'empreinte reste-t-elle sur les objets ?

 

M. Œuvrard. — Des années si vous ne lavez pas l’objet.

 

Le président. — Je n'ai pas besoin d'attirer votre attention sur la gravité de vos déclarations.

 

M. Œuvrard. — Parfaitement.

En mon âme et conscience, elle est de Fily.

Elle ne peut pas être d'un autre.

 

Fily. — Depuis janvier, Je ne suis pas entré dans la maison.

Je ne suis pour rien dans l'affaire.

 

On appelle M. Léal pour lui faire préciser dans quels verres il a bu en janvier avec Fily.

 

Impossible de préciser.

 

M. Œuvrard déclare que le liquide mis dans les verres aurait effacé les empreintes.

 

Le président. — Quel liquide y avait-il en Janvier dans les verres ?

 

M. Léal. — Un alcool.

 

M. Œuvrard. — Une empreinte de Fily aurait pu subsister une fois le verre vidé, mais à condition que ce verre

n'ait jamais été nettoyé.

Et encore elle eut été déformée et je n'eus pas pu la relever comme Je l'ai fait.

 

Le président indique que si on admet que le verre de Fily n'a pas été lavé depuis janvier,

il faut admettre que celui de M. Léal l'a été, puisqu'on n'a pas retrouvé de traces lui appartenant sur le second verre.

 

Un juré. — Le témoin saisit-il la gravité de son affirmation ?

 

M. Œuvrard.— En toute conscience, j'ai examiné une empreinte appartenant à Fily.

L'émotion a été portée à son comble par ces déclarations catégoriques d'un professionnel de haute valeur.

 

Suivent des dépositions faites par des témoins de moralité :

M. Bergot, cultivateur à Lescoat-Bian, en Plouider ;

M.Perrot, 65 ans, conseiller d'arrondissement à Lescoat, en Lesneven ;

M. Croguennec, 20 ans, tonnelier à Lesneven.

 

Les deux premiers témoins n'ont pas de mauvais renseignements à fournir sur la famille Fily.

 

Le troisième fait des déclarations moins favorables.

 

M. J.-M. Abiven, 50 ans, cultivateur à Prat-ar-Lann, en Plouider, et qui a employé Fily,

donne sur lui des renseignements assez bons, mais le représente comme menteur.

 

Mme veuve Jacq, intérimaire des postes à Tréflez, a connu la famille Fily de 1926 à 1929.

 

Elle indique, sans apporter de précisions, que les Fily n'avaient pas là-bas bonne réputation.

 

M. Jean Grignon, 52 ans, cultivateur à Tréflez, a eu Fily à son service pendant dix mois, en 1929.

Il l'estime comme un bon travailleur, dépensier « boudeur», un peu brutal.

 

M. François Le Corre, ancien maire de la commune de Tréflez, dit que les Fily ont été soupçonnés de vols de lait

et d'un vol de 1.000 francs.

 

L'enquête ouverte à ce propos n'aboutit pas, d'autant plus que la déclaration du plaignant était sujette à caution.

 

Voici enfin le trente-septième et dernier témoin, M, François Kerboul, cultivateur à Kergonec, en Plouédern.

 

Cest à lui que Fily vola, pour la revendre, une vache qu'il venait d'acheter au Folgoët.

 

Il explique dans quelles conditions il a été victime de l'accusé.

 

Ces dernières dépositions ont été absolument sans relief.

 

La suspension d'audience est accueillie par les jurés et par l'auditoire avec une satisfaction non dissimulée.

 

LE RÉQUISITOIRE

 

À la reprise des débats la salle d'audience est comble.

 

La parole est au procureur de la République, M. Genicon.

 

Celui-ci, avec une précision remarquable, n'omettant aucun détail, commence par exposer

dans quelles conditions le double crime fut découvert.

 

Il souligne ensuite les points capitaux du rapport de l'autopsie faite par M. le docteur Mignard,

puis situe l'heure du drame entre 19 h. 30 et 20 heures.

 

Le ministère public retrace ce que fut la marche de l'enquête,

puis étudie le rapport de M. Œuvrard qui apparait comme le pivot de son réquisitoire.

 

Ce rapport écrit, note qu'il est « extrêmement probable » que l'empreinte relevée dans le verre à liqueur

a été faite par l'index à Fily.

 

« S'il n'y avait eu que cette charge contre Fily, poursuit M. Genicon,

peut-être la chambre des mises en accusation eut-elle hésité.

Mais il y a autres chose ».

 

Le ministère public ramasse alors en faisceau serré, les mensonges et les variations successives de l'accusé

et les étudie minutieusement pour mettre en relief les points qui servent l'accusation.

 

M. Genicon reconstruit la scène de meurtre telle que, selon lui, elle a du se passer,

puis il examine la moralité de Fily et retrace son « curriculum vitae ».

 

Le procureur de la République ne réclame pas la peine de mort pour l'accusé,

il déclare qu'il admettra les circonstances atténuantes.

 

« Je ne réclame pas la peine capitale, dit-Il, parce qu'il n'y a pas de preuve absolue.

Mais j'ai la conviction entière, que Fily est le coupable ».

 

Il exhorte les jurés à faire leur devoir et termine en leur demandant de rapporter un verdict affirmatif.

 

LA PLAIDOIRIE

 

Fily ne s'est pas départi de son calme au cours du réquisitoire.

Me Le Coz va plaider avec pondération et une netteté capables d'ébranler bien des opinions incertaines.

 

Il explique que ce n'est même pas un familier de Kéravilin  qui a commis le crime.

 

Sans quoi, ce crime n'eût pas été perpétré entre 7 h. 30 et 8 h. 30 du soir, surtout un mardi,

jour où tous les habitants du village font la lessive.

 

L'éloquent avocat s'attache à montrer l'inanité et le peu d'importance des mensonges de Fily.

 

L'affaire des collets tout est là.

 

« Attitude humaine et normale, Fily a hésité plusieurs fois à donner l'explication véritable de sa sortie ».

Me Le Coz montre combien il était difficile pour son client de se souvenir avec une exactitude rigoureuse

de l'emploi de son temps le soir du 8 mars.

 

Et puis, si on en croit l'accusation, le double crime, la fouille de la maison, tout se serait passé en 23 minutes.

 

Cela, Me Le Coz ne le croit pas possible.

 

Le défenseur s'attache à démontrer que Fily a bien été poser des collets dans la soirée et qu'en bonne logique

on peut, avec l'emploi du temps invoqué, remplir une sortie, eut-elle même durée une heure.

 

Me Le Coz en vient à discuter la valeur des empreintes digitales relevées par les enquêteurs.

 

Et puis le soir du crime, les époux Auffret n'ont-ils pas reçu des visiteurs jusqu'à présent ignorés ?

 

Ou bien encore en admettant que l'empreinte relevée sur le petit verre soit celle de Fily,

peut-on être certain qu'elle ne remonte pas à la visite faite en janvier aux époux Auffret ?

 

Le défenseur de Fily estime qu'on a tracé un portrait bien sombre de son client.

 

Il rappelle la déposition de Mme Collin qui a déclaré que son chien avait aboyé entre minuit et deux heures.

 

Un autre témoin a entendu deux individus suspects discuter à 22 h. 30...

 

Enfin, à 21 heures, il y avait, d'après une première déclaration de Mme Adelin, de la lumière dans la buanderie Auffret.

 

Qui alors .a refermé la porte et éteint la bougie ?

 

II est impossible que ce soit Fily qui est rentré à 20 h. 30.

 

Me Le Coz s'adresse alors aux jurés d'une façon pathétique.

 

Il salue les deux victimes du drame et dit :

« Je vous livre la vie et la liberté de mon client.

Vous prononcerez un verdict d'acquittement complet ».

 

Le président demande alors à Fily s'il a quelque chose à ajouter.

 

Celui-ci, visiblement ému, dit à voix basse :

« Je ne suis pour rien dans l'affaire ».

 

LE VERDICT

 

Les jurés se retirent.

 

La délibération va durer trois quarts d'heure.

 

Par deux fois, le chef du jury fait appeler le président, l'avocat de Fily et le procureur de la République.

 

L'issue du procès est incertaine.

 

Finalement le jury répond « NON » à toutes les questions.

Le président rend l'ordonnance d'acquittement.

 

Fily, en apprenant sa libération ne se départit pas de sa calme indifférence.

 

Le mystère de Kéravilin subsiste !

 

P.-M. LANN0U.

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