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Fenêtres sur le passé
1929
Images de Brest : Dancings
article 6 sur 8
Source : La Dépêche de Brest 14 novembre 1929
Il y a un amateur de dancings.
C'est généralement un jeune homme à habitudes, qui — où qu'il aille passer sa soirée (au café devant une belote,
au cinéma, au théâtre) — échouera fatalement à l’Ermitage ou à la B. M., sur le coup de minuit.
C'est l'heure où cet affamé de plaisirs, où ce noctambule impénitent commence à vivre.
La nuit, avec sa poésie, cet allégement qu'apporte la fraîcheur des étoiles, est le climat idéal de son imagination.
Il lui est physiquement impossible de se mettre au lit
à neuf heures du soir, avec un roman.
Se trouve-t-il empêché par quelque obligation de famille,
le voilà maussade, presque désespéré, comme ces enfants fautifs que l'on prive, par représailles, d'un cinéma promis
toute la semaine.
Et sitôt libre, il accourt, plus joyeux que jamais.
Volontiers, il se passerait des vacances qui le privent
de son opium quotidien, qui l'éloignent de son cher dancing.
Et pourtant ce jeune homme travaille toute la journée.
Mettons qu'il soit dans les affaires : huit heures de bureau, de téléphone, de paperasseries ou des kilomètres en auto.
Il a réglé son genre de vie, rogné son temps de sommeil au strict nécessaire (six heures au dire des Latins).
Une expectative frémissante l'aide à brûler la journée monotone.
Que trouve-t-il donc au dancing de si rare ?
Des amis d'abord, un peut-être (et ça suffit, si l'ami mérite ce nom).
Des amis qui ont les mêmes goûts que lui et qui l'entretiennent dans sa passion nocturne.
Le spectacle d'une foule dont il a depuis longtemps discerné les éléments.
La considération du patron, les petits soins du garçon, le sourire de bienvenue des danseuses,
les confidences de la préposée au vestiaire.
Le sentiment que s'il n'était pas là, quelque chose d'essentiel peut-être manquerait, qu'il joue un rôle modeste
dans cet ensemble, qu'il fait en quelque sorte partie du personnel, voire du mobilier, qu'il concourt à une harmonie.
Et il tiendra jusqu'au bout, jusqu'à des deux ou trois heures du matin,
tant que le jazz jouera ou le phonographe qui lui succède.
Partir avant la limite lui semblerait une désertion.
Et puis, peut-être espère-t-il obscurément quelque miracle,
« ce quelque chose de nouveau » après quoi gémissait Baudelaire
et qui tient notre amateur en haleine ?
Qui sait si, au dernier moment, ne va pas surgir la femme de ses rêves,
qui tombera d'un coup amoureuse folle de lui et qui l'emmènera vivre
dans un conte de fées !
Chasseur jamais las de son affût.
Maintenant, il s'intéresse sans doute aussi à la danse et telle soirée
sera « sympa » (sympathique ) ou morose, selon qu'il trouvera à danser.
Les attractions ont lieu vers minuit, à l'heure de la sortie des spectacles, à l'heure aussi où nombre de gens,
sentant passer le fameux « marchand de sable », s'apprêteraient à s'en aller si une curiosité plus forte
que le sommeil ne les retenait momentanément.
Il s'agit d'entendre un chanteur ou une diseuse, d'admirer une danseuse ou un modeste ballet.
Ces exhibitions ne sont pas toujours de premier ordre.
Pour une Suzy Mérindol ou un Arsé, vous rencontrerez dix chanteurs qui n'ont guère plus de voix que vous et moi
et qui suppléent à cette carence vocale par l'audace des couplets.
Quelquefois le patron a le bon esprit de les faire taire.
Ils ne restent guère longtemps.
Pour une « Sarita, étoile roumaine », danseuse pleine de brio et d'entrain, danseuse cultivée, vous en trouverez dix qui n'ont que des notions rudimentaires des finesses de leur art.
Il est vrai, que beaucoup de spectateurs n'en demandent pas tant.
Que la femme soit jolie ;
qu'elle ait des jambes bien moulées ;
qu'elle sache, dans un tourbillon, révéler de dessous affriolants,
et l'on ferme les yeux sur certaines maladresses,
sur des pointes mal exécutées ou des attitudes gauches.
J'ai cité des noms d' « artistes » ; mais je ne prétends pas que ce soient les meilleurs qui aient paru à la B. M. ou à l'Ermitage.
Simplement, je les ai vus à l'œuvre et ils ont tenu l'affiche
assez longtemps : ce qui est un critérium sérieux.
Suzy Mérindol possède certainement une plus jolie voix que Mistinguett.
Maintenant, elle n'a pas des jambes aussi spirituelles ;
elle n'a pas le sens de l'intrigue ni le génie des affaires ;
elle n'a pas su se créer un type, lancer une manière.
Voilà qui explique suffisamment toute la distance de la B. M. aux « Folies ».
Le tout n'est pas d'avoir des moyens ; il importe de les utiliser, de les développer.
Arsé, à l'Ermitage, n'obtint pas un moins vif succès.
Une voix agréable, sans plus, un peu fatiguée ;
une physionomie avenante ; la silhouette classique du chanteur mondain ;
un melon plein de ressources ;
une canne étourdissante de verve ;
du bagoût et un « abattage » remarquable.
Il n'en faut pas davantage pour charmer le public
et se faire bisser tous les soirs.
Mais où ce chanteur triomphait, c'est dans son répertoire réaliste.
Il entrait en piste avec un foulard rouge autour du cou, la casquette avachie sur l'œil gauche, le col du paletot remonté, un mégot pendu à sa lippe dédaigneuse, le regard mauvais, les mains menaçantes,
perpétuellement occupées à retenir un « grimpant » récalcitrant.
L'accent du faubourg nous transportait au bal musette avec Nénette,
dans ces bouges où l'accordéon scande la valse célèbre, la valse « poisse », la Valse des voyous.
(À suivre.)
L'IMAGIER.