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Fenêtres sur le passé
1888
Le parricide de Saint-Eutrope
Source : La dépêche de Brest 6 septembre 1888
Source : La dépêche de Brest 7 septembre 1888
Un parricide
Je vous ai annoncé hier que la justice s'était rendue à Saint-Eutrope, en Plougonven.
Voici quelques renseignements sur cette affaire, qui est appelée à un certain retentissement dans la contrée.
Le 13 août dernier, on trouvait dans l'étang de Rosampoul le cadavre de la nommée Gallouédec, née Hélary, cultivatrice, âgée de 69 ans.
Les constatations faites par le docteur Roger, de Plouigneau, étant en faveur d'un accident ou d'un suicide, on procéda à l'inhumation de la veuve Gallouédec, dans les délais prescrits par la loi ;
mais la justice fut bientôt au courant de certains propos qui circulaient dans la commune de Plougonven et qui indiquaient que la veuve Gallouédec avait été victime d'un crime.
On disait qu'elle vivait en très mauvaise intelligence avec son fils, Gallouédec (Jean-Etienne), âgé de 27 ans, que des querelles fréquentes éclataient entre la mère et le fils et que ce dernier, dans la nuit du 12 au 13 août, avait tué sa mère et avait ensuite jeté le cadavre dans l'étang de Rosampoul, pour faire croire à un accident.
La persistance de ces bruits a provoqué une descente de justice qui a eu pour résultat d'amener l'arrestation de Gallouédec (Jean-Etienne).
Une enquête très minutieuse et l'autopsie pratiquée par les soins de M. Barbanson, médecin légiste, auraient établi que la veuve Gallouédec a été étranglée, et l’inspection des poumons aurait démontré que la victime ne respirait plus quand on l'a précipitée dans l'étang.
Le médecin légiste aurait également constaté sur le corps diverses ecchymoses qui sembleraient indiquer qu'il y a eu lutte entre la victime et son assassin.
Gallouédec, qui a été écroué hier soir à la maison d'arrêt de Morlaix, n'a cessé d’opposer les plus vives dénégations aux charges graves qui pèsent sur lui.
Il est à remarquer que les constatations du docteur Barbanson ont en complet désaccord avec celles faites quelques semaines auparavant par son collègue de Plouigneau.
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Le parricide de Saint-Eutrope
Source : La dépêche de Brest 10 septembre 1888
Gallouédec (Jean-Etienne) a été conduit hier, à deux heures et demie, au cabinet de M. le juge d'instruction Jégou et a subi un long interrogatoire qui ne s'est terminé qu'à cinq heures.
C'est un homme d'une taille assez élevée, bien constitué et beau garçon.
Il s'était marié, il y a deux mois environ, avec une jeune fille dont la famille habite la commune de Ploujean.
L'étang de Rosampoul est distant d'environ deux kilomètres de la maison que l'assassin présumé habitait avec sa mère.
Contrairement aux bruits qui circulent à Morlaix, la veuve Gallouédec aurait été étouffée par une forte pression exercée sur les voies respiratoires, et non étranglée.
Quoi qu'il en soit, si, comme il y a tout lieu de le supposer, le crime a été commis à la ferme, il a fallu à l'assassin une audace incroyable pour oser transporter le cadavre à une aussi grande distance.
Gallouédec, jusqu'à ce moment, n'a cessé d'opposer les plus vives dénégations aux charges qui l'accablent.
L'opinion publique est très partagée et, en présence des divergences absolues qui se sont produites entre les docteurs Roger et Barbanson, on est tenu, pour ne pas entraver l'action de la justice, qui saura bien débrouiller cette ténébreuse affaire, à observer une grande réserve.
Remarque :
Denis (*), l'assassin qui fut guillotiné à Morlaix en 1878, était né à Saint-Eutrope et y avait perpétré son crime.
(*) À lire Denis, une exécution à mort à Morlaix : 1878 - Plougonven - Condamnation à mort et exécution -- Hier en Finistère (retro29.fr)
Source : La dépêche de Brest 15 septembre 1888
Les divergences absolues qui s'étaient produites entre les docteurs Roger, de Plouigneau, et Barbanson, de Morlaix, devaient attirer l'attention de la justice, soucieuse d'éclaircir cette ténébreuse affaire : aussi a-t-elle provoqué, samedi dernier, une contre-expertise, confiée aux docteurs Prouff, Peyron et Barret, major au 118e.
Ces trois praticiens se sont unanimement rangés à l'avis du docteur Roger et ont conclu à la non-culpabilité de Gallouédec.
Devant ces conclusions, le docteur Barbanson, tout en exprimant certaines réserves, s'est montré beaucoup moins affirmatif et a admis la possibilité d'une erreur de sa part.
Hier matin, en vertu d'une ordonnance de non-lieu de M. le juge d'instruction Jégou, Gallouédec a été remis en liberté, après une prison préventive de quelques jours, bien terrible pour ce jeune homme qui n'avait cessé de protester énergiquement de son innocence.
Quelques heures après, en serrant les mains d'un de ses amis, un garçon de magasin chez un des plus importants négociants de Morlaix, qui le félicitait d'avoir pu établir son innocence, il lui a adressé les paroles suivantes :
« Je suis heureux de ce que la justice ait reconnu son erreur, mais j’ai tellement honte de l'accusation qui pesait sur moi, que je ne sais comment marcher dans la rue, croyant que tout le monde me regarde. »
Gallouédec est immédiatement allé rejoindre sa jeune épouse (il est marié depuis moins de trois mois).
Puisse-t-il, dans l'affection de sa famille, trouver promptement l'oubli des souffrances qu'il a endurées !
Source : La dépêche de Brest 18 septembre 1888
Épilogue de l’affaire de Saint-Eutrope
J'apprends de source certaine que le parquet de Morlaix se serait enfin décidé à donner un remplaçant au docteur Barbanson.
Sans méconnaître les services que ce praticien a rendus à la justice, je dois à la vérité de constater que cette décision sera favorablement accueillie et qu'elle était même vivement attendue.
C'est le docteur Barret, un des trois médecins appelés à contrôler les affirmations du médecin légiste de l'arrondissement, qui serait désigné pour lui succéder.
À son défaut, on ferait appel à tour de rôle, et au besoin on requerrait, par voie de roulement, les médecins de notre ville, qui sont assez nombreux pour que ce service ne puisse, en aucun cas, leur être trop onéreux.
Voilà une première satisfaction donnée à l'opinion publique, satisfaction bien tardive, malheureusement.
Dans tous les milieux de Morlaix, on est unanime à reconnaître que dans l’affaire dite du « parricide de Saint-Eutrope », le docteur Barbanson a fait preuve tout au moins d'une légèreté bien coupable.
Aussi l'émotion a-t-elle été des plus vives.
On ne saurait oublier que les premières constatations, faites au moment de la levée du cadavre par la docteur Roger, de Plouigneau, étaient en formelle contradiction avec celles du médecin légiste.
Devant les conclusions catégoriques des trois médecins chargés de la contre-expertise, le docteur Barbanson, s'est, il est vrai, en partie rétracté, mais il n'en est pas moins certain que ce médecin légiste n'admettait pas facilement l'assistance d'un confrère dans les expertises les plus graves et qu'il n'hésitait pas, en toute occurrence et sans sourciller, à assumer les plus effrayantes responsabilités.
En médecine légale, suivant un principe généralement appliqué, le doute profite toujours à l'accusé.
Si Gallouédec ne s'était pas défendu avec une grande énergie, demandent une contre-expertise, que d'ailleurs le parquet reconnaissait nécessaire, il pouvait être guillotiné sur le rapport d'un médecin légiste.
Malgré soi, on rapproche ce fait du parricide de Plouigneau, pour lequel Hamon (*) a été condamné aux travaux forcés à perpétuité, et on ne peut oublier que dans cette affaire M. Barbanson était encore en désaccord avec le docteur Roger.
On se rappelle aussi cette histoire de la domestique de M. Nicol, la jeune Ursule Guillerme (*), récemment condamnée à cinq ans de réclusion, pour tentative d'empoisonnement sur l'enfant confié à ses soins.
Ce procès, dans lequel la déposition de M. Barbanson eut une influence considérable, produisit le double résultat de provoquer une souscription publique en faveur de l'accusée et une véritable émeute à la manufacture des tabacs, pour réclamer la révocation immédiate de M. Barbanson, qui était le médecin de la société des ouvrières.
(*) À lire : Hamon Jean Marie au bagne de Guyane
https://www.retro29.fr/hamon-jean-marie-plouigneau
(*) À lire : l’affaire de l’empoisonneuse de Morlaix, Ursule Guillerme
1888 - Une empoisonneuse à Morlaix | Hier en Finistère (retro29.fr)
Tout ce tapage va probablement recommencer pendant quelques jours, puis, comme de toute chose ici-bas, il n'en sera plus question.
Néanmoins, j'aime â croire que la justice en tirera un enseignement utile :
celui de ne confier des fonctions aussi importantes et aussi délicates qu'à des hommes d'un savoir incontestable, exempts de toute-légèreté.
Le médecin légiste est l'auxiliaire du magistrat, mais il remplit des fonctions tellement délicates, il a une responsabilité tellement grande, qu'il devrait avoir constamment devant les yeux cette pensée qu'il tient entre ses mains la vie et l'honneur des familles.
Combien il eût mieux valu, dans une affaire comme « le prétendu crime de Saint-Eutrope », commencer par où on a fini, c'est-à-dire en appeler à l'expérience de trois médecins, plutôt qu'à celle d'un seul !
Gallouédec n'aurait pas été maintenu en état d'arrestation ;
il n'eût pas supporté les souffrances qu'il a endurées dans sa courte et cependant trop longue détention, alors qu'il ne cessait de protester de son innocence.
Malheur à celui qui se voit enserré par les griffes de la justice.
Son innocence peut éclater un jour, mais, toute sa vie, quoi qu'il fasse, il restera exposé aux obsessions de toutes sortes, en butte aux attaques médisantes et calomnieuses.