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Chroniques d'un monde paysan à jamais disparu
Louis Conq de Tréouergat raconte ...
 

Source : "Les échos du vallon sourd" de Louis Conq - Brud Nevez

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Remerciements à Lucien Conq

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Temps de guerre à Tréouergat

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Les occupants, que j'avais un peu oubliés, s'agitaient aussi beaucoup dans la région.

Voilà que du côté de Prad an Nenger, ils se mirent à niveler des plateaux de bruyère et d’ajonc-ras pour installer un camp d'aviation.

Des pistes furent tracées en un rien de temps. Ils installèrent aussi des baraques-bureaux et même un semblant de tour de contrôle.

Tous ces ouvrages à peine terminés, ils alignèrent une douzaine ou deux d'avions qui n'étaient en fait que des maquettes en bois grandeur nature : de faux avions de chasse, soigneusement recouverts de filets de camouflage.

Mais les quelques gars de chez nous maintenant dans la R.A.F. ne se laissèrent pas duper par ce grossier stratagème.

Aussi vinrent-ils sans trop tarder bombarder le camp-fantôme avec des bombes en bois !

Dès lors, prirent rapidement fin les grands travaux du Nenger.

La bonne farce fut bien sûr commentée à tous les échos du pays léonard, avec force éclats de rire.

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Par la suite, les hommes furent réquisitionnés pour aller faire des trous dans les dunes, en bordure de mer, de Saint Pabu jusqu'au Conquet.

Que de temps gaspillé !

Tandis que les yeux du surveillant allemand étaient sur les gars, on faisait semblant de travailler avec cœur.

Mais dès qu'il tournait le dos, les pelles s'arrêtaient d’elles-mêmes.

Les requis discutaient alors entre eux, appuyés dignement sur leur manche de pelle, pour lui donner « le sein ».

Surpris ainsi, c’était de grands gestes de reproches et des hurlements.

Le travail reprenait : l'un tirant la terre du trou, l’autre l'y repoussant plus ou moins généreusement.

 

C'est ainsi que fut réalisé, avec un peu de la sueur des hommes de Tréouergat, le gigantesque Mur de l'Atlantique qui devait si bien nous protéger tous : tant nous- mêmes que les Allemands !

Et mettre à l'abri du débarquement et de la destruction toute notre terre bretonne.

Chaque fois qu’un navire de guerre allemand venait à Brest, nous avions droit à des feux d'artifice. Quand le Bismarck, le Prince Eugène, le Gneisnau, ou encore quelque chenapan de la base sous- marine était mouillé dans notre belle rade du bout du monde, aussitôt la R.A.F. venait leur rendre visite, parfois en plein milieu de la journée, mais le plus souvent en pleine nuit.

Et la fête nocturne pouvait durer un bon moment.

 

Des projecteurs croisaient leurs faisceaux lumineux dans le ciel noir, balayant le firmament à la recherche des bombardiers, pour que les canonniers de la D.C.A. puissent ajuster leur tir.

Des mitrailleuses lourdes crachaient bruyamment de beaux chapelets multicolores de balles traçantes.

Les aviateurs, eux, lâchaient des fusées éclairantes afin de localiser exactement leurs cibles.

Parfois, ce n'était qu’un minuscule avion qui passait au ras de nos talus, en direction de Brest.

Sans doute apportait-il des paquets de lettres à quelque poste restante, ou bien venait-il simplement déposer une bombette sur telle maison remplie comme une ruche d'officiers hitlériens, en train de faire la noce.

Sa mission accomplie, le petit coucou reprenait le chemin du retour, toujours en rase-mottes, à l'abri des radars, échappant ainsi aux Allemands.

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Les garçons de la classe 42, la mienne, furent désignés pour le S.T.O., le service du travail obligatoire dans les usines d'Outre-Rhin.

En échange, il était convenu que les Allemands, animés d'un grand esprit de cordialité, libéreraient un certain nombre de nos prisonniers.

Évidemment, personne ne le crut et chacun d’entre nous chercha à se camoufler.

Mais quelles représailles risquions-nous sur nous-mêmes et sur nos familles !

Tout était à craindre.

Alors, rester à proximité des siens pouvait paraître assez risqué, du moins si une recherche sérieuse était entreprise.

Mieux valait donc partir assez loin, ensuite on aurait le temps de voir venir.

Les gendarmes eux-mêmes, qui devaient nous arrêter, nous donnèrent discrètement l'ordre :

« Éloignez-vous de notre chemin ! »

Et personne ne nous vit plus.

 

Nous étions partis, Laurent et moi, avec Jean, trouver l'oncle de ce dernier qui était Économe au Grand Collège du Likès à Quimper.

Il nous casa dans un endroit loin des « Chleus », dans des fermes peu distantes l'une de l'autre : Laurent alla au Lech, tandis que Jean et moi, nous fûmes affectés à Lanzay, en plein pays du Porzay.

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