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Chroniques d'un monde paysan à jamais disparu
Louis Conq de Tréouergat raconte ...
 

Source : "Les échos du vallon sourd" de Louis Conq - Brud Nevez

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Remerciements à Lucien Conq

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Temps de guerre à Tréouergat

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Tout le monde avait sa précieuse carte d'alimentation pour se procurer, tant qu’il y avait quelque chose, sa misérable ration de plus en plus dévalorisée.

Le café, on n’en trouvait plus un seul grain.

Comment faire le « rouzig » ?

En grillant de l’orge dans un chaudron, et en remuant jusqu'à ce qu’il devienne bien noir.

Le savon était aussi rare que maigre.

 

Quel travail supplémentaire pour nos filles à Kergonk !

Elles faisaient bouillir de la graisse de bœuf avec des feuilles de lierre, un peu de soude caustique et de la chaux.

Lorsque ce mélange était devenu une belle pâte, on la versait dans des moules où elle se solidifiait en refroidissant.

Puis on la découpait en morceaux, à la scie à bûches.

C'est avec ça et beaucoup d’huile de coude qu'elles arrivaient quand même à lessiver honnêtement notre linge sale.

Les souliers neufs avaient belle apparence, mais le cuir n'était que du carton bouilli, avec une belle semelle, mais en bois.

Il n'était pas question d’aller à la Foire de St Renan ou au Pardon de Saint Urfold, si on ne voulait pas revenir à la maison pieds nus.

Encore moins d’y aller à vélo.

Il n'y avait plus de chambres à air, ni de pneus.

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Pour obtenir une enveloppe, il fallait un papier : un « bon ».

Pour obtenir celui-ci, il fallait non seulement justifier de son bon droit, mais en plus, par exemple, une belle andouille pour le « préposé » au bureau du canton.

 

On rapporte qu’un jour ce brave homme fut gratifié de deux andouilles superbes entre toutes leurs consœurs.

Leur pelure était fumée selon toutes les règles de l’art charcutier, leur odeur augurait qu’elles seraient appétissantes.

La déception fut de taille, car le contenu dans les assiettes se mua en sciure de bois fort loin de la saveur divine de l’andouille de Tréouergat.

Par la suite, naturellement, notre homme se convertit totalement au seul lard fumé.

 

Très vite aussi, les filles de Traon Bouzar apprirent à faire lever la pâte et à cuire le pain de la semaine.

C’était un travail assez dur :

Nous étions sept à table tous les jours, il fallait donc une fournée hebdomadaire.

J'avais été mis à contribution pour retaper le vieux four d'Enez Rouz, et maintenant il fonctionnait convenablement au bénéfice de plusieurs familles.

Encore fallait-il y transporter la pâte et le bois, faire les boules, chauffer le four, le garnir ensuite à l'aide de la pelle à long manche.

De temps à autre, on y ajoutait quelques plats de far au four.

 

Bien que je fusse en retard sur mon âge, je grandis beaucoup à cette époque, et c'était un problème de me vêtir.

J'avais bien obtenu un « bon d'achat » mais ne trouvais rien de convenable en échange.

J'avais particulièrement besoin d'un pardessus pour dissimuler, durant l’hiver, mes vieux effets du dimanche.

Mais où trouver ce vêtement ?

Je me rendis à Brest avec mon papier, mais revins bredouille, bien qu'ayant essayé d'y mettre le prix.

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Alors, sur le conseil d’un camarade ayant expérimenté le procédé, je retournais voir mon marchand, et tout naturellement fis allusion à une éventuelle possibilité d'apporter un lièvre.

Ces mots eurent un effet magique.

Aussitôt, on me fit pénétrer plus avant à l'intérieur du magasin.

 Et de me baratiner.

« Nous autres, pauvres citadins, il nous faut bien vivre.

Vous êtes favorisés, vous, à la campagne.

Alors on essaie de se débrouiller : nous avons mis de côté quelques petites choses.

Apportez-nous donc un lièvre et nous trouverons quelque chose de très comme il faut. »

 

De retour, je me mis donc à tendre des collets : des coulants pour attraper quelque imbécile de lapin, comme le faisait si bien Laou.

Mais je n'avais pas de chance.

D'abord je pris un chat, dans les terres de Kerveret.

Bon à rien, bien sûr.

Quelques jours plus tard, c'était un assez beau lapin, mais malheureusement déjà fortement entamé par quelque prédateur avant que je vienne le chercher.

Puis, ça y est, dans le champ de Park-Lakoun-Traon, tout près de la ferme, je trouvais, non pas du tout le lièvre promis, mais un bon gros vieux mâle de lapin de garenne.

Aussitôt, je filais à Brest, sur mon « foutu » vélo, en espérant que mon précieux butin ne me serait pas « raflé » avant d'y être rendu.

Et surtout qu'on ne regarde pas de trop près mon « lièvre ».

Par bonheur, tout se passa le mieux du monde, et je revenais à la maison, fou de joie et de fierté avec, ficelé sur mon porte-bagage, un pardessus.

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