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Fenêtres sur le passé

1939

Chez les expropriés de la Ninon

Chez les expropriés de la Ninon.jpg

Source : La Dépêche de Brest 9 février 1939

 

La robuste pelle à vapeur de la Société brestoise de travaux publics et maritimes a, sur ses chenilles,

franchi les décombres du mur de clôture de l’arsenal abattu, hier, sur une dizaine de mètres à hauteur

de l'emplacement du tunnel de La Ninon à présent disparu.

 

Elle évolue aujourd'hui sur la partie extrême du terrain exproprié par la marine entre le pied du glacis des fortifications de Recouvrance, la muraille qui longe les établissement maritimes de la Ninon et la route en corniche.

 

Nous avons exposé, il y a déjà plus de dix ans, et récemment encore ( lire article ), les conséquences de cette mesure provoquée par la nécessité de construire un troisième bassin de radoub en ces lieux.

 

Cela n’allait pas sans cause un sérieux émoi chez les propriétaires et les habitants de ce triangle .

 

L’approbation ministérielle des travaux remonte au 25 novembre 1936.

Cependant l’expropriation étant prononcée, la marine avait consenti à permettre l’occupation de tous les immeubles jusqu’au 7 février courant.

Ce délai de deux ans devait permettre aux occupants de chercher de nouveaux logements.

 

Certains s’y employèrent et déménagèrent.

Mais en dépit de la décrépitude des immeubles, ils tardaient pas à être remplacés par de nouveaux locataires acceptant d’évacuer les locaux à la date fixée.

La modicité des prix de location ne manquait évidemment pas de les attirer.

 

Le 7 décembre dernier, la mairie rappelait à tous qu’il ne leur restait que deux mois pour abandonner la place.

 

Nous avons dit, à ce moment, à quelles difficultés se heurtaient les expropriés.

Malgré la construction incessante d'immeubles nombreux, la crise du logement sévit toujours.

De plus les prix sont autrement élevés que ceux consentis dans ce quartier de La Ninon.

Enfin, les expropriés se succédant dans la visite des locaux vides, il en résultait une sorte de surenchère qu'ils ne pouvaient accepter en raison de la modicité de leurs ressources.

 

Il y avait ainsi 54 familles représentées par 104 adultes et 81 enfants.

Leur nombre s'est réduit depuis lors, mais bien des logements sont encore occupés.

 

La pelle à vapeur déblaie le terrain à grands coups de sa benne puissante.

Avec un halètement qui, parfois, se précipite, elle plonge, arrache, enlève.

Derrière elle, tout aussitôt, se pose une voie ferrée.

 

La voici dans le jardinet de l'ancienne maison des bains. Ici demeure encore une famille entière.

 

— Qu'allez-vous faire ?

— Je ne sais.

Mon mari vient de quitter le travail pendant deux jours pour tenter de trouver un logement.

Peine perdue, partout les mêmes réponses.

« Lorsque la pelle à vapeur atteindra notre maison, nous irons nous réfugier dans une autre plus éloignée

où il n'y a plus personne. Et puis... nous attendrons encore. »

Chez les expropriés de la Ninon - La pelle à vapeur.jpg

Tout près, le formidable engin semble s'ébrouer en soufflant sa vapeur.

Ses muscles d'acier se tendent, il se cambre sur ses chenilles puis dresse victorieusement sa benne débordante.

Un nouveau lambeau de terrain qui n'entravera plus son inexorable avance !

 

Cette situation, nous l'avons déjà dit, n'a été sans émouvoir la municipalité de Saint-Pierre-Quilbignon.

Évidemment cela dépasse le cadre de l'administration municipale, mais il y a là une question d'humanité que ne veut pas négliger M. Eusen, maire, pas plus que ses collègues.

 

Bien sûr, des engagements ont été pris ;

certes, la marine a consenti de larges délais, mais on se heurte à présent à un fait qui mérite l'attention.

Des enfants vont se trouver sans abri.

 

Avec un dévouement inlassable, M. Eusen a visité lui-même tous les quartiers, a frappé à toutes les portes,

mais ses efforts n'ont pas obtenu le succès qu'il désire.

Des familles nombreuses et dignes d'intérêt vont bientôt, dans quelques jours, se trouver sans toit.

 

Un groupement des expropriés s'est constitué, une pétition a été soumise, transmise, examinée, mais la solution n'est pas pour cela apparue.

 

La marine ne peut pas retarder des travaux de cette urgence et depuis longtemps devenus indispensables.

Elle va s'efforcer de ne faire évacuer les immeubles que par tranches successives,

mais en des délais forcément très rapprochés.

 

En attendant, les expropriés envisagent l'achat de wagons déclassés des chemins de fer départementaux.

Ne serait-ce pas toujours un abri !

 

D'autre part, la municipalité envisage de recevoir momentanément quelques familles dans l'immeuble acquis par elle rue Jean Jaurès en vue de la création prochaine d'une deuxième mairie.

 

Mais parviendra-t-on à abriter tout le monde ?

 

Voici une femme demeurée veuve avec six enfants à peu près démunie de ressources.

Des familles qui comptent trois et quatre enfants.

 

Une mère de huit enfants, dont le mari soldat d'infanterie coloniale, est actuellement au Maroc,

a tenté de trouver logement.

Mais on a refuse d'accueillir une pareille nichée !

 

Comment ne s'inquièteraient-ils pas ceux-là, alors que là, près de la maison des bains, le monstre d'acier poursuit

sa marche, brandissant sa benne dévastatrice, soufflant de toute la force de ses poumons de fer !

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