top of page

Fenêtres sur le passé

1938

Visite chez Frédéric Plessis, poète brestois
par Charles Chassé
article 2 sur 2

 

Visite chez Frédéric Plessis 1.jpg

Source : La Dépêche de Brest 14 janvier 1938

 

« Vous avez — dis-je à F. Plessis — évoqué dans vos vers de petits pays voisins de Brest, comme Argenton.

 

Et Argenton où, le soir, pour toute fermeture,

En travers de la porte on calait un bâton.

 

— Oui, dans un poème dédié à notre excellent ami Dupouy et ne croyez pas qu'il s'agisse d'une invention de poète.

C'est bien avec un bâton qu'on maintenait la porte fermée.

On n'aurait pas pu faire autrement puisqu'elle n'avait pas de serrure.

Vers 1859 (j'avais huit ans), on nous a entassés à Brest dans une carriole que conduisait un paysan et c'est ainsi que nous sommes arrivés à Argenton.

C'est comme cela que nous sommes aussi allés à Brignogan, près de Lesneven ;

pourtant, non ! Il me semble bien que nous nous sommes rendus à Brignogan en diligence ;

mais nous n'avons probablement recouru à la diligence que pour une partie de la route.

À Brignogan, je suis retourné plus tard ;

j'ai été aussi au Conquet ;

à Saint-Quay-Portrieux, j'ai rencontré sur la plage la maréchale Joffre qui avait à ce moment-là 7 ou 8 ans ;

elle m'a dit dernièrement que je lui avais raconté des histoires ;

de cela je ne me souviens pas, mais il est naturel qu'un poète raconte des histoires.

 

J'ai connu Quimper, Quimperlé, Douarnenez.

Audierne qui était bien sauvage, alors, quoique je ne vous parle plus maintenant de ma toute enfance mais d'autres voyages à travers la Bretagne, en particulier mon voyage de 1884 lorsque j'ai voulu présenter ma province à ma femme qui est Normande ;

ma femme et moi, nous sommes allés voir ma sœur qui habitait Saint-Brieuc, puis nous nous sommes rendus à Morlaix, à Roscoff et à Plougasnou.

À Plougasnou, qui est un endroit délicieux, nous avons fait un assez long séjour et j'ai mis là sur pied mon édition de Properce.

Tout petit, j'ai connu la presqu'île de Crozon ;

j'étais de santé délicate et on m'avait envoyé à Trébéron pour y prendre des bains quotidiens, quelque temps qu'il fît.

 

« Tout près de Brest, j'ai aimé le Vallon où on me conduisait souvent quand j'étais tout petit et où, un jour, j'ai eu tellement peur d'une vache.

C'est à propos du Vallon que j'ai écrit :

 

Ce coin eût fait envie au vieillard de Tarente.

 

« Vers 1872 ou 1873, j'ai passé des vacances à Douarnenez.

Depuis 1869, je m'étais mêlé au mouvement littéraire et ce fut pour moi une grande joie que d'y retrouver Heredia qui me présenta au poète-peintre Jules Breton, à sa fille Virginie Dumont-Breton, au peintre Landsyer et à Mallarmé, qui déjà était un peu fumiste »,

lance malicieusement F. Plessis, car il ne pardonne pas à l'auteur de l'Après-midi d'un Faune d'avoir quitté le mouvement parnassien pour s'orienter vers le symbolisme et l'abstraction.

Portrait_Frederic_Plessis 2.jpg

« André Theuriet, lui, — poursuit-il — c'est un peu plus tard qu'il est venu à Douarnenez.

À Douarnenez, j'ai vu Tristan Corbière, mais je ne lui ai jamais parlé.

Ce Corbière était d'un aspect sinistre.

Il habitait l'hôtel en face du nôtre ;

c'est Heredia qui m'avait dit son nom (j'avais connu Heredia en 1869 à Paris, avant même qu'il ne fût marié).

Heredia m'avait dit :

« Il s'appelle Tristan Corbière ; c'est un poète qui fait des vers bizarres, mais non sans talent. »

 

— Je connais la pièce sur Douarnenez dans la Lampe d'Argile, le recueil que vous avez publié en 1886 chez Lemerre.

Les vieillards, y dites-vous,

 

Les vieillards ont encore la longue chevelure,

La veste de drap bleu qui résiste au travail,

La guêtre à glands de neige et la large ceinture

Au grand fermoir de cuivre, incrusté de corail.

 

« Avez-vous rendu visite à Heredia quand il habitait Paramé ?

— Non, mais je suis allé le voir à Susciniou, un manoir qu'il avait loué près de Morlaix.

— Oui, dans la Lampe d'Argile, vous avez une pièce nommée Susciniou où vous décrivez les tourelles du manoir.

Vous y rappelez une promenade que vous fîtes de là avec l'auteur des Trophées :

 

Et du haut de Kador, tu m'as montré, cher hôte,

La mer et le château du Taureau, l'âpre côte

Et le Kreizker au loin, Saint-Pol et ses maisons

Et les bois emplissant de triples horizons.

 

« J'ai aussi quelques souvenirs de Rennes où j'ai fait ma troisième année de droit.

(C'est après mon doctorat en droit que j'ai préparé ma licence de lettres sur le conseil d'Anatole France).

En 1913, j'ai assisté à Rennes à un banquet près de la gare ;

on venait de fonder un Institut de Bretagne ;

Le Goffic, qui s'en occupait, m'avait demandé d'en être vice-président ;

et je me rappelle qu'après le dîner, on m'a désigné pour faire partie d'une commission en compagnie d'Eugène Le Mouël et de quelqu'un d'autre dont Je ne me souviens plus.

À ce propos, on m'a récemment demandé de faire partie d'une autre Académie de Bretagne ;

la demande était très aimablement formulée et j'ai accepté très volontiers, tout en m'étonnant qu'on n'ait pas désigné pour en faire partie des hommes comme le Père Janvier, l'abbé Pommeret, Adrien de Carné, Édouard Beaufils, D'Yvignac et d'autres encore.

Visite chez Frédéric Plessis 4.jpg

« Quels écrivains de Bretagne ai-je encore connus, à part ceux que je vous ai cités ?

Le Braz, mais seulement par lettres.

Tiercelin ? Je le connaissais, lui, depuis 1867 et en 1913, j'ai été dîner chez lui à sa belle maison si hospitalière de Kerazur, en Paramé !

 

— Il me reste encore une dernière question à vous poser.

Comme beaucoup d'écrivains bretons, Le Goffic et Le Braz par exemple, vous tempérez de classicisme votre celtisme originel.

Il semble que les grands écrivains bretons éprouvent un besoin impératif de culture latine et grecque qui modérera leur tendance naturelle aux jeux de l'imagination.

 

— Peut-être ; je crois, pour ma part, à l'efficacité des disciples classiques.

Brizeux a été très latin et très italien.

Cela ne l'a pas empêché d'être très breton ».

 

Breton, F. Plessis l'est certes demeuré ;

cette persistance chez lui du sentiment breton est d'autant plus frappante qu'il a, en somme, peu séjourné en Bretagne et, dans son poème sur Brest, il exprime douloureusement son regret d'avoir vécu si loin de sa ville natale :

 

En vain, si loin de toi ma route fut tracée :

En vain, j'ai tant changé de seuil et d'horizon !

Car, ayant pénétré ma chair et ma pensée,

Des jours chez toi vécus passe en moi le frisson.

 

Ce que Gauguin aimait dans la Bretagne, c'est sa tristesse, a-t-il avoué à Charles Morice.

C'est la Bretagne triste que chérit aussi Plessis.

On dirait — déclare-t-il à la ville de Brest.

 

On dirait que ta brume en mon âme persiste

Quand, depuis nos adieux, un si long temps a fui ;

Et pour toujours ton ciel de rêve et ta mer triste

M'ont fait triste comme elle et rêveur comme lui.

Visite chez Frédéric Plessis 5.jpg

D'autres ont surtout goûté l'âpreté de notre province ;

ce n'est pas la Bretagne dure que Plessis aime le mieux ;

les paysages bretons les plus près de son cœur sont ceux qui sont empreints d'une douceur un peu mélancolique.

Mon pays — dit dans Horoscope le poète à son astrologue — n'est pas aussi âpre que vous le dépeignez :

 

II a des bois pareils à de verts paradis

Et tout près de la mer des champs roses de fraises,

Des sources, des concerts d'oiseaux dans les taillis

Et de l'herbe et des fleurs jusque sur ses falaises.

 

Bref, c'est une région où il fait bon s'isoler de l'humanité pour mieux communier avec la Nature, plaisir amer qu'il est d'autant plus aisé d'obtenir que certaines zones sont presque désertes.

La pièce qui est probablement la plus connue de Plessis et qui, celle-là encore, est dédiée à Dupouy, c'est celle qui se nomme Bretagne et qui débute ainsi :

 

Bretagne, ce que j'aime en toi, mon cher pays,

Ce n'est pas seulement la grâce avec la force,

Le sol âpre et les fleurs douces, la rude écorce

Des chênes et la molle épaisseur des taillis.

 

Ce qu'il aime surtout en elle, il nous le dit dans sa dernière strophe :

 

C'est que sur ta falaise et ta grève souvent,

Déjà triste et blessé, lorsque j'étais enfant,

J'ai passé tout un jour sans voir paraître un homme.

bottom of page