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Fenêtres sur le passé
1938
Visite chez Frédéric Plessis, poète brestois
par Charles Chassé
article 1 sur 2
Source : La Dépêche de Brest 13 janvier 1938
« Un des artistes les plus parfaits de notre époque, de toutes les époques » ;
ainsi Catulle Mendès caractérisait Frédéric Plessis dans son fameux Rapport sur le mouvement poétique français de 1867 à 1900.
Ajoutons que ce n'est pas seulement comme poète que Frédéric Plessis laissera un nom respecté, mais aussi comme latiniste.
Docteur ès lettres et par surcroît docteur en droit, il a enseigné la littérature latine d'abord dans diverses Universités de province et enfin à l'École normale supérieure et à la Sorbonne.
On lui doit un traité de métrique grecque et latine comme aussi de remarquables éditions d'Horace, de Virgile et de Properce que connaissent les érudits du monde entier.
Catulle Mendès
Mais si je parle ici de lui aujourd'hui, c'est qu'il est Brestois et que la Bretagne tient une place importante dans son œuvre poétique.
Il est donc juste que Brest s'associe affectueusement aux hommages que la presse parisienne vient de lui rendre à l'occasion de la publication par les Éditions de la Revue des Poètes de la Couronne de Lierre, recueil de quelques-uns des poèmes qu'il a écrits entre 1904 et 1934.
La marine brestoise a une raison supplémentaire de s'intéresser au succès de Frédéric Plessis puisqu'un des fils du poète commande actuellement à la Villeneuve l'École des pupilles de la marine.
Sous le titre : « Un poète de la Beauté intérieure », Auguste Bailly désignait F. Plessis, il y a quelques jours, dans Candide, comme « un de nos plus authentiques poètes » ;
dans le Figaro, Gaétan Sanvoisin le saluait aussi comme étant, même à l'ancienneté, le plus vénérable de nos chantres, le « doyen » de la poésie française, depuis la disparition de Raoul Ponchon.
Cette appellation, soit dit en passant, n'était pas tout à fait exacte car il semble bien que le véritable doyen de la poésie française, ce soit actuellement le Bourguignon Lucien Paté, inspecteur général honoraire des monuments historiques, car il est né en 1845 tandis que, tout jeunet à côté de lui, Frédéric Plessis n'est entré qu'en 1851 en relations avec le crachin brestois.
Il n'empêche que Frédéric Plessis s'est tout de même engagé allègrement dans les avenues de la 87e année et que le Brest de son enfance était indubitablement assez différent du Brest dont nous savourons aujourd'hui le charme.
Quel souvenir a-t-il conservé du Finistère des premières années du second Empire ?
Je suis allé le lui demander dans le logis parisien et pourtant provincial qu'il occupe dans le quartier tranquille de l'Institut Pasteur.
Il m'accueille d'une façon très simplement et très gaîment charmante entre sa femme et sa fille qui facilitent notre conversation.
Frédéric Plessis, en effet, n'a payé qu'un seul tribut à la vieillesse ;
il entend difficilement et c'est par écrit que je dois lui poser mes questions auxquelles il répond avec une extraordinaire vivacité d'esprit.
Frédéric Plessis
Visage aux traits nets, moustache blanche, barbiche blanche, ainsi apparaît Frédéric Plessis.
La barbiche est chez lui une addition récente et qui fait qu'il a cessé de ressembler à Georges Leygues dont il fut naguère le sosie, au point qu'on les prenait fréquemment l'un pour l'autre.
Ils étaient d'ailleurs bons amis et ce fut Plessis qui, alors que Leygues était encore avocat à Villeneuve-sur-Lot, lui donna confiance en l'avenir lorsqu'il lui procura un éditeur pour le Coffret Brisé, le volume de vers qu'avait écrit le futur ministre de la Marine.
Tout d’abord, j'interroge F. Plessis sur le poème intitulé Brest, paru dans la Couronne de Lierre et où il a rappelé avec émotion :
L'ombre que projetaient jadis sur mon enfance
Les remparts de Vauban et la tour d'Azénor.
Vieux Brest, dure cité militaire et marine,
Debout en sentinelle à l'extrême Occident !
Brest, en ce temps temps-là, avait encore son bagne.
J'ai - dit Plessis :
J’ai, franchissant la grille et la voûte du bagne,
Vu de près les forçats par la chaîne accouplés.
Vêtus de jaune et rouge, avec leur face glabre,
Et les plus redoutés coiffés de bonnets verts,
Ils travaillaient muets, sous la crainte du sabre,
Dans le bruit des marteaux, au cliquetis des fers.
« Où votre famille habitait-elle à Brest ? ai-je demandé au poète.
— Rue du Château, numéro 6 ; c'est là que se sont écoulées mes treize premières années.
Ce n'est pourtant pas rue du Château que je suis né, mais rue de la Mairie et presque sur la place de La Tour d'Auvergne.
Pendant mes treize années brestoises je me souviens que je n'ai vu de neige qu'une seule fois.
Mon père était médecin ou, comme on disait alors, chirurgien de la marine ;
il était né à Saint-Brieuc, mais d'une souche angevine ;
par ma mère qui était de Guingamp, je suis aussi Breton et plus complètement encore, quoique je puisse découvrir des Provençaux parmi mes ascendants maternels.
Le père de ma mère avait été sous-préfet de Guingamp sous Louis-Philippe et, pendant mon enfance, je suis souvent allé à Guingamp.
Il paraît même que, tout bébé, j'ai dormi en diligence, entre Guingamp et Brest, sur les genoux du grand chirurgien Velpeau qui était un ami de mon père.
Velpeau était venu opérer à Brest M. Dubois, des Brasseries de Lambézellec ;
il avait fixé mille francs comme prix de son intervention, ce qui fut considéré comme une somme formidable à cette époque.
« Quand j'étais enfant, il n'était même pas question d'établir un pont entre Brest et Recouvrance ;
et c'était par un pont de bateaux qu'on accédait au bagne.
Le bagne ?
Je m'en souviens très bien ;
j'ai vu fourmiller les forçats tels que je les ai décrits dans mon poème ;
les plus dangereux étaient coiffés du bonnet vert ;
ils marchaient enchaînés deux à deux, ce qui n'empêchait pas des évasions de se produire presque à date fixe.
Quand une évasion était constatée, on tirait le canon pour que tout le monde fût averti.
Presque toujours, les forçats étaient vite rattrapés ;
car les paysans des environs appréciaient beaucoup la prime qui était versée à ceux qui livraient un évadé.
Certains forçats ne portaient pas d'uniforme ;
c'étaient ceux auxquels on accordait une confiance relative :
Par exemple, le concierge de l'hôpital du bagne.
Les gardes-chiourmes étaient habillés à peu près comme les douaniers ;
ils avaient un sabre et un fusil.
Le bagne de Brest a dû être supprimé entre 1860 et 1864.
« Pour pénétrer dans Brest, il fallait passer par l'unique porte de la ville construite sur la place qu'on a, depuis, appelée place des Portes.
J'ai vu bâtir la porte Fautras et une autre porte encore.
À dix heures du soir, les soldats fermaient la porte de la ville et il fallait frapper au corps de garde pour obtenir l'autorisation d'entrer.
« Un de mes souvenirs d'enfance, c'est aussi la voix du crieur de nuit annonçant :
« Il est dix heures sonnées ».
Et c'est pour Frédéric Plessis un vif étonnement que d'apprendre de moi qu'après-guerre, il y avait encore un veilleur de nuit à Brest ».
— Votre poème sur Brest — dis-je à F. Plessis — nous montre les PIougastels au marché avec, auprès d'eux, leurs paniers de fraises et, sur la tête leurs bonnets rouges à la napolitaine :
Dans leurs pantalons droits de grosse toile écrue
Et des boutons de cuivre a leurs courts habits bleus,
Leur costume évoquait la France disparue ;
Du bonnet phrygien, s'échappaient leurs cheveux.
— Oui, je les revois encore avec leurs vestes pareilles à celles des lanciers et leurs pantalons droits tout blancs.
Et quelle dignité ils avaient !
À lire : https://bertrandbeyern.fr/2-septembre-2021-revelons-ou-repose-frederic-plessis/