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Fenêtres sur le passé

1938

La démolition de l'ancien couvent des Carmélites
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La démolition de l'ancien couvent _00.jpg

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Source : La Dépêche de Brest 1 avril 1938

 

On a vu dans un précédent article, les lointaines origines de la propriété où fut construit le carmel de Saint-Joseph, en train de disparaître sous le pic des démolisseurs.

 

Après l'hôpital auxiliaire qui y avait été installé pendant la guerre, M. Jaffrennou, épicier en gros, rue Danton, avait loué à Mme de Kergariou la propriété que sa mère, Mme Lafont, avait acquise en 1904.

Une partie des bâtiments de l'ancien couvent servit de dépôt à une coopérative d'épicerie dont M. Jaffrennou était le président et où les détaillants venaient s'approvisionner en marchandises.

 

L'autre partie fut sous-louée.

Il suffisait, pour être admis comme locataire, de payer d'avance trois mois de loyer.

Quelques familles honnêtes continuèrent à payer leur terme.

Elles devinrent de plus en plus rares.

Ne pouvant être expulsés, la plupart des locataires occupèrent les logements sans plus jamais payer de location.

 

M. Jaffronnou mourut.

La coopérative d'épicerie fut dissoute.

e 1er mai 1930, un concierge fut chargé de la police de la propriété.

Un huissier s'efforça, sans y parvenir, de faire rentrer l'argent des termes.

 

En 1936, un agent d'affaires remplaça l'huissier.

Il dut rapidement abandonner l'espoir de mettre de l'ordre dans cette propriété dont le nombre des occupants augmentait sans cesse.

En effet, quand, las de vivre au milieu du bruit et des disputes, les premiers occupants se décidaient à vider les lieux, ils étaient aussitôt remplacés par de nouveaux locataires qui ne s'embarrassaient pas de demander une autorisation à la propriétaire ou son fondé de pouvoirs et prenaient purement et simplement possession des locaux.

De soixante, le nombre de familles campant au 7 bis de la rue Kerfautras, passa, depuis deux ans, à une centaine.

 

Parmi celles-ci, des clochards se sont installés et il ne se passe pas un soir sans que des disputes et des batailles se produisent dans cette population hétéroclite.

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Un des plus anciens locataires, titulaire d'une petite retraite, habite là depuis huit ans:

 

— J'en ai vu de toutes les couleurs, raconte-t-il.

J'ai toujours payé mon loyer.

Je jardine, j'élève des poules et des lapins ; je me plaisais ici, mais vraiment ce n'est plus tenable.

J'ai cherché à me loger ailleurs.

Le prix excessif des logements m'en a empêché et nous avons patienté ; mais ce n'était pas drôle tous les jours.

Le 1er juin, il va falloir s'en aller.

Je viens heureusement de trouver à me loger à Prat-ar-Raty.

 

Des histoires ?

Il n'en manque pas.

Glissons sur les scènes qui se passent chez les femmes de mauvaise vie, les beuveries et les querelles, qui sont ici monnaie courante.

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Un soir, poursuivit-il nous allions nous mettre à table.

Au-dessus, habitait une vieille pocharde.

Plus énervée que de coutume, elle faisait ce soir-là un tapage infernal.

Elle frappait du pied ou dansait une gigue effrénée au-dessus de nos têtes, faisant trembler la maison.

 

Tout à coup, un craquement ; des plâtras tombent dans la soupe fumante, dont je venais d'emplir les assiettes, et par le trou qui s'ouvrit au milieu du vétusté plancher du premier, la pocharde tomba debout au milieu de la table, en poussant des hurlements.

 

La dent, l'unique dent pointue qui lui restait à la gencive inférieure, dans le choc, lui avait transpercé la langue.

Elle ne pouvait plus parler.

On dut la conduire à l'hôpital.

Quand elle revint, d'autres occupaient son logement.

 

Il y a trois mois, je fus réveillé en sursaut par un tapage anormal.

Une bande de clochards montaient l'escalier en trainant un objet qui devait être lourd.

Je sus plus tard qu'il s'agissait d'un vieux sommier.

Ils montèrent au grenier, trouvèrent la porte fermée, l'enfoncèrent à coups de pied, chantèrent, beuglèrent.

Personne dans la maison n'osa intervenir.

On craignait de recevoir un mauvais coup.

 

Le bruit cessa.

Ils s'étaient enfin endormis.

Le lendemain, vers 8 heures, mon fils, qui a 18 ans, monta voir, avec un camarade, ce qui se passait.

Par le panneau de la porte brisée, ils virent, étendus pêle-mêle sur le plancher, quatre hommes et

deux femmes.

 

Un vieux seau à confitures était encore à demi-plein de vin rouge, soutiré sans doute à un fût du Port de Commerce.

 

Le sommier éventré était placé en travers de la porte ; un grand couteau à cran d'arrêt y était fiché, à titre d'avertissement.

 

Prudemment, les jeunes gens battirent en retraite ; les clochards restaient maîtres du grenier.

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Depuis longtemps, vous pensez bien que tout ce qui pouvait être vendu a été arraché :

Tuyaux de plomb, gouttières, installation électrique, etc..

Vous vous rappelez qu'il y a six mois, des clochards, venus s'installer ici depuis peu, avaient découvert le toit de la chapelle et vendu le zinc.

La « Dépêche » a relaté leur condamnation par le tribunal correctionnel.

 

Il y a quelques jours, il y eut mieux.

De vieux camions, dont les marchands de ferraille, eux-mêmes, ne peuvent tirer parti, ont été, on ne sait par qui, abandonnés dans la cour.

Il y avait aussi une camionnette usagée, mais encore en assez bon état.

 

Un matin, quatre hommes entrent sur le chantier, l'examinent et essaient de la traîner au dehors.

N'y parvenant pas.

Ils demandent aux démolisseurs de les aider.

Le contremaître et les ouvriers, croyant que les quatre hommes, paraissant être des forains, s'étaient rendus acquéreurs de la voiture, les aidèrent obligeamment à la sortir dans la rue, où une autre vieille auto la prit en remorque et disparut.

 

Quand son propriétaire vint chercher sa camionnette, on le mit au courant de l'aventure.

Mais on n'a jamais retrouvé les ravisseurs.

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M. Richer, le nouvel acquéreur de l'ancien couvent, est naturellement dispensé de donner congé à des locataires qui ne paient pas de loyer.

 

Au fur et à mesure qu'est enlevé le toit d'une maison, ses locataires s'entassent dans une autre en attendant qu'elle subisse le même sort.

 

Les enfants, ils sont nombreux dans ce milieu spécial, ont sous les yeux de regrettables spectacles.

 

Que vont devenir ces pauvres gens?

Où trouveront-ils un abri ?

 

— Je cherche en vain un logement, dit une brave femme, ancienne locataire.

Quand je dis que j'habite aux Carmélites, la propriétaire pousse les hauts cris :

« Ah ! non, me répond-on, je ne veux pas de locataires sortant de la rue Kerfautras ».

Ce n'est pourtant pas de ma faute si j'ai dû supporter un voisinage de gens dont le genre de vie n'est pas le mien.

 

D'autres disent : 

— Il faudra bien nous procurer un abri.

Que la municipalité de Lambézellec nous donne des baraques, ce qu'elle pourra.

Nous ne pouvons tout de même pas, avec nos gosses, coucher à la belle étoile.

Nous ne sommes pas difficiles.

Tenez, dans ces cellules, il n'y avait pas de cheminées.

On s'est débrouillé, en enlevant un carreau, à faire passer le tuyau d'un poêle.

Ça va pour ceux du rez-de-chaussée ; mais nous, au premier, nous sommes à demi-asphyxiés par leur fumée, qui pénètre par les carreaux manquant aux fenêtres.

Nos meubles ne sont pas encombrants, ajoute-t-elle avec un pauvre sourire...

 

Et, en effet, ils se composent de quelques caisses où couchent les petits, de vagues paillasses pour les grands, et de quelques boîtes de conserves tenant lieu de vaisselle.

 

Tout cela est bien triste, et on ne peut que s'apitoyer sur le sort de ces infortunés sans logis.

 

Transformé en taudis, le couvent des Carmélites va disparaître.

Les travaux sont activement poussés dans l'hectare du terrain sur lequel il s'élevait.

À peine un bâtiment est-il arasé, qu'une maison neuve s'élève ;

les fondations de trois nouveaux immeubles sortent déjà de terre ;

une rue, qui prolongera la rue Duret, est amorcée le long de la chapelle, dont le toit est enlevé.

Cette rue ira déboucher près du jardin public, en face le cinéma Celtic.

 

En bordure d'une rue en U, s'élèveront des maisons individuelles, ou pour deux ménages et à étages.

 

Traversant l'ancien garage Boijol et le dépôt de charbons Le Hir, une rue parallèle à la rue Kerfautras s'ouvrira rue Jean Jaurès.

 

Quarante-deux maisons, avec tout confort :

eau, gaz, électricité, tout à l'égout, vont remplacer le couvent des Carmélites, qui, dans quelques semaines, ne sera plus qu'un souvenir.

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