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Fenêtres sur le passé
1938
La démolition de l'ancien couvent des Carmélites
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Source : La Dépêche de Brest 30 mars 1938
En ville, les terrains disponibles pour construire sont rares et d'un prix élevé.
Force est de se rabattre sur la proche banlieue.
Malgré le coût de plus en plus cher de la construction, chaque jour on voit sortir de terre de nouvelles maisons, édifiées, en général, avec le concours de la loi Loucheur qui permet à ses bénéficiaires, après le paiement régulier d'un loyer pendant un certain nombre d'années de devenir propriétaires.
Les champs, prairies et bois disparaissent.
De beaux arbres sont coupés pour faire place à des lotissements.
On perce des rues, de nouveaux quartiers s'édifient, des maisons se construisent.
On peut s'étonner que toutes ces habitations nouvelles ne remédient pas encore à la crise du logement.
On peut déplorer qu'un plan d'ensemble ne réglemente pas mieux l'édification de ces nouveaux quartiers, que les municipalités n'en profitent pas pour élargir ou rectifier les courbes des routes ou rues existantes pour faciliter la circulation qui s'accroît sans cesse.
On peut être surpris qu’un réseau d’autobus rapides, fréquents et d'un tarif peu élevé ne desserve pas ces populeux quartiers, mais ce sont là questions sortant du cadre de cet article.
Il s'agit, en effet, de rappeler succinctement les origines d'un coin du vieux Brest qui va disparaître.
L'ancien couvent des Carmélites, rue Kerfautras, va, en effet, faire place à 42 maisons modernes qui s'élèveront sur son emplacement.
Lorsqu'à la demande du cardinal Fleury, le « Grand chemin » — la route de Paris, rues Jean Jaurès et Anatole France actuelles — remplaça, en 1755, le « Vieux chemin » (rue Branda) si cahoteux et malaisé que les chevaux de poste risquaient, dans ses ornières et fondrières,, de s'y briser les jambes, le nouveau « Grand chemin » n'était bordé que de champs, prés et vergers, avec, de-ci, de-là, de rares maisonnettes constituant de petites agglomérations telles que le village de Coat-ar-Guéven, par exemple.
Près de l'octroi actuel, Pierre Duret, médecin en chef de la marine, avait acquis une grande propriété.
Dans l'hôpital qu'il y avait installé, le premier à Brest, il pratiqua la vaccination contre la variole, découverte quelques années plus tôt par Jenner.
L'échange des correspondances se faisait alors par la route et par chevaux de poste.
Du bureau installé rue de la Rampe prolongée (rue Jean Macé) à l'angle de la rue Voltaire, partait, chaque jour, la malle-poste — dans laquelle pouvaient prendre place trois voyageurs, — emportant le courrier.
De Brest à Paris, le voyage coûtait 165 fr. 50 et s’effectuait :
Pour aller en 54 heures ; pour en revenir, en 48.
C’était déjà un progrès, puisque du temps de Mme de Sévigné, une des meilleures clientes de son époque pour la poste aux lettres, il fallait un mois pour parcourir 600 kilomètres, ce qui permit à la célèbre épistolière, quand on put gagner quinze jours sur le parcours, d'écrire :
« Nous ne pouvons, nous lasser d'admirer la diligence et la fidélité de la poste. »
Qu'aurait-elle dit, un siècle plus tard, de l'invention de l'abbé Chappe ?
À la suite d'un rapport favorable de Lakanal à la Convention, Chappe avait obtenu, en 1793, l'autorisation d'installer sur les tours, clochers et monuments privés, son ingénieuse machine à bras.
En 1844, son réseau télégraphique aérien avait, en France, 5.000 kilomètres.
Un signal ordinaire ne mettait plus qu'une petite demi-heure, transmis par les quelque 120 postes oui réunissaient Brest à Paris, pour franchir les 600 kilomètres séparant ces deux villes.
Une de ces stations avait été installée sur une tour, construite dans un jardin muré situé à l'angle des rues Kerfautras et Jean Jaurès, près de l'actuelle rue Massillon prolongée.
Faut-il voir dans le pigeonnier de la photo ci-contre, ainsi que certains le prétendent,
les vestiges de la tour de Chappe ?
Ce pigeonnier est encore debout au fond du grand parc, planté de hauts arbres — hélas ! condamnés — à l'ombre desquels reposaient après leur mort, les Carmélites ?
On sait seulement que dans l'acte de vente du jardin muré, dressé le 18 août 1831, il est fait mention d'une maison et d'une tour dénommées « Le Télégraphe. »
En 1831, Mme veuve Henry, née Duret avait par acte de Me Gilbert du 18 août, vendu à M. Antoine-Casimir Fouque, débitant de vins, demeurant à Kerfautras, le jardin muré et sa tour.
M. Antoine-François Arnaud l'acquit le 21 février 1852.
Il décédait le 28 décembre 1853, faisant Mme Pethiot, sa légataire universelle.
M. Jacques Pethiot, époux de Mme Ernestine Aveline, le vendit, le 22 janvier 1856 à M. Michel, négociant, époux de Mme Gabrielle Lucas, de Penhoat, demeurant rue d'Aiguillon.
Depuis 1828, M. Barchou, maire de Brest, réclamait l'annexion à la ville du faubourg de Lambézellec.
Une loi du 2 mai 1861 décréta cette annexion, fâcheusement limitée par une ligne partant du Moulin-à-Poudre, montant par l'Allée Verte et gagnant par le chemin de Kerfautras la rue Jean Jaurès.
Enfin, le jardin muré sur lequel devait être construit le Carmel de Saint-Joseph, fut vendu, par acte passé devant Me Jacolot, notaire à Saint-Renan, le 24 décembre 1861, par M. Louis-Marie de Carne de Carnavalet, époux de Mme Nancy de Caddevilie à Mlles Geoffroy, de Lesguern de Kerveatoux et Le Guen de Kernéïzon.
Sous l'appellation de Carmel de St-Joseph, une société civile fut constituée en 1876, entre neuf demoiselles.
Chacune apporta ses biens (Mlle de Lesguern de Kerveatoux faisant l'apport de la plus grande partie).
Elles mirent ces biens en commun pour habiter ensemble et partager les mêmes travaux.
Cette communauté devint, peu de temps après, le couvent des Carmélites.
De hauts murs furent construits en bordure de la rue Kerfautras derrière lesquels se cloîtraient les religieuses, menant une vie extrêmement austère, consacrée à la pénitence et à la prière.
La maison monastique aux fenêtres ogivales fut édifiée.
Deux chapelles furent construites ainsi qu'une maison pour l'aumônier.
Dans les autres immeubles, partagés en étroites cellules aux murs nus, et sommairement meublées, vivaient les Carmélites.
Le tout était entouré d'un grand jardin, de cours et d'un parc planté de hauts et beaux arbres, au bout duquel, non loin de la tour de Chappe, se trouvaient les sépultures de celles qui, de leur vivant, s'étaient volontairement retirées du monde.
La société civile créée en 1876 fut dissoute le 15 janvier 1901 et donna lieu à un partage entre les participantes.
Le Carmel, dans l'état où il se trouvait encore avant 1914, fut attribué à Mlle Lesguern de Kerveatoux qui le vendit, en 1904, — un an avant la loi du 9 décembre 1905, sur la séparation des églises et de l'Etat — à Mme Lafont, mère de Mme de Kergariou, qui vient de le revendre à M. Richer, de Saint-Brieuc.
On sait que, pendant la guerre, le Carmel fut occupé par une ambulance américaine où furent soignés de nombreux malades.
Après le départ des Américains, un marchand de bois obtint de Mme de Kergariou une option sur sa propriété.
Il ouvrit dans le mur de la rue Kerfautras, une large brèche et mit en location les anciennes cellules des Carmélites.
Celles-ci furent rapidement occupées, d'abord par des locataires paisibles et sérieux, payant régulièrement leurs loyers et tenant à peu près bourgeoisement les locaux.
Le marchand de biens mourut avant d'avoir trouvé un acquéreur.
Personne ne s'occupa plus, pendant quelque temps, de la perception des loyers.
L'ancien couvent des Carmélites fut bientôt occupé par des bandes de sans-logis qui y campèrent.
Le 7 bis de la rue Kerfautras devint une Cour des miracles où les gardes-champêtres, la police et les gendarmes de Lambézellec furent souvent appelés à y rétablir l'ordre, pour le malheur des paisibles et honnêtes familles nombreuses, obligées, par la crise du logement, de supporter cette promiscuité.