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Fenêtres sur le passé

1936

La croix du Mérite maritime au patron Salou
du canot de sauvetage de Portsall

Centenaire Prigent color .jpg

 

Source : La Dépêche de Brest 27 juillet 1936

 

Contributeur : Guy Korfer

 

Une cérémonie, bien sûr, mais vraiment dépouillée de tout apparat superflu et se déroulant dans une atmosphère

de sympathie profonde.

En faut-il plus, est-il de plus précieux témoignage pour ce patron de canot de sauvetage qui,

avec une admirable modestie sait, et comment, accomplir un devoir sacré ?

 

Hier matin, le pavillon flottait au sommet de l'abri des sauveteurs hospitaliers bretons, avec,

au-dessus, la marque si courageusement portée du canot Charles et Marie Chevillotte.

Eugène Salou, le patron, allait recevoir des mains de M. Léo Lelièvre la croix de chevalier du Mérite maritime.

1936 Yves Prigent _ Portsall _ 03-001.jpg
1936 - Yves Salou décoration _01.jpg

Document ayant appartenu à M. Amédée Le Meur, médecin à Ploudalmézeau

Collection de Guy Korfer

Recto Déco MM.jpeg

 

Auparavant, le parrain avait eu la délicate pensée de conduire,

avec quelques amis, le récipiendaire chez son oncle, le père Prigent,

l'aïeul vénère de Portsall qui, l'ayant précédé dans l'ordre maritime,

porte allègrement ses 103 ans.

 

Puis, sur le port, en présence de l'équipage du canot sauveteur, M. Léo Lelièvre, avec le cérémonial accoutumé, décorait Eugène Salou.

Un banquet intime avait été organisé au café du Port chez Mme Léon.

Aux côtés de M. Léo Lelièvre, président de la station, on remarquait la présence du nouveau chevalier,

de MM. le docteur Le Meur, conseiller général ;

Thierry, trésorier de la station ;

B. Jaouen, pharmacien ;

Félix Salaun, sous-patron, ainsi que tout l'équipage.

 

Il serait superflu de présenter M. Léo Lelièvre, président de la Société des auteurs et compositeurs,

qui depuis tant d'années, a planté sa tente — en quelle tente — à la pointe extrême de Portsall.

Il suffisait de voir avec quelle respectueuse sympathie les visages de ces rudes marins se tournaient vers lui ;

il suffisait de savoir avec quelle profonde gratitude ils considèrent Mme Léo Lelièvre, pour comprendre

que tous deux trouvaient là non seulement de solides amitiés, mais une véritable famille d'adoption.

 

Menu excellent, qui faisait honneur tant à l'organisateur qu'à l'excellente hôtesse Mme Léon.

Parmi tous ces hommes à la poitrine barrée de décorations, il y en eut qui surent démontrer que le vent du large n'avait pas entamé leur don de chanteurs.

Et, puisque l'on était en famille, M. Léo Lelièvre improvisa une aimable chanson de circonstance

que l'on applaudit à tout rompre.

 

Au Champagne, M. Léo Lelièvre prenait la parole en ces termes :

 

M. Léo Lelièvre

 

Mes chers amis,

 

Notre vénéré maire, M. Fortin, devait être des nôtres aujourd’hui.

Mais des obligations familiales le retiennent à Ploudalmézeau.

Il est navré et m'a prié de vous présenter ses excuses, en particulier à notre nouveau chevalier du Mérite maritime, Eugène Salou

 

Mais en revanche, nous avons la joie de posséder notre ami le docteur Le Meur, qui spontanément et avec l'amabilité qui le caractérise, a bien voulu venir se mêler à nos sauveteurs qui, tous, sont ses amis.

Le docteur Le Meur, votre brillant conseiller général, est aussi le général des bons conseils,

puisque c'est lui qui prend soins de vos santés ; non seulement il met son art à votre service, mais il défend

vos intérêts au conseil général avec une conviction pro fonde dont nous lui sommes reconnaissants.

 

Nous avons aussi le plaisir d'avoir à notre côté Baptiste Jaouen, dont la figure franche et loyale est si populaire

dans ce pays.

C'est un ami de toujours, sur lequel on peut compter et qui aime à se pencher avec dévouement sur nos sauveteurs.

Merci, mon cher Baptiste, d'avoir bien voulu être des nôtres.

Je remercie M. Léger, rédacteur à La Dépêche de Brest,

un des journaux les mieux faits de la province.

 

Pour M. Léger, qui comprend si bien son rôle de journaliste,

il n'y a pas de petits événements, et il a tenu à venir personnellement vous apporter la sympathie de ce grand journal breton, dont II est une des âmes agissantes.

Il sait très bien que ce qui rend un journal vivant, c'est la publicité donnée à des réunions comme celle d'aujourd'hui,

qui sont les fêtes de l'honneur.

 

Sauvetage Portsall _03.jpg

Monsieur Léger, nous vous remercions et nous vous prions de remercier également du fond du cœur

votre grand directeur, M. Coudurier.

 

Je dois également, devant nos sauveteurs assemblés, remercier notre cher ami Thierry qui,

avec un remarquable désintéressement, est chaque Jour à leurs côtés, se prodiguant sans cesse pour exaucer

leurs désirs et les aider de toutes tes forces dans l'accomplissement de leur mission.

 

L'activité de Thierry, brillant officier en retraite, est remarquable ;

il a l'œil partout, il s'occupe de tout, à la satisfaction générale, et je suis enchanté de pouvoir lui rendre

un hommage légitime.

 

Et maintenant, mon cher Salou, patron du bateau de sauvetage, votre modestie dût-elle en souffrir,

il me faut parler de vous.

Mieux que des paroles, vos brillants états de service diront avec éloquence ce que sont vos mérites.

 

Entré aux H. S. B. en 1906 comme canotier, le 23 mai 1925 vous avez participé au sauvetage

de 12 personnes (8 hommes et 4 femmes).

Nommé patron du bateau de sauvetage le 12 juillet 1925,

le 25 février 1927 vous opériez le sauvetage des 25 hommes

du Sarrebourg ;

puis le 28 novembre 1929, le sauvetage d'un homme et

du canot Saint-Louis, ainsi que le remorquage d'un autre canot monté par 3 hommes.

Le 14 novembre 1933, c'était le sauvetage du cargo Kernidy

et de son équipage, le capitaine et 6 hommes ;

puis le remorquage du cargo par très mauvaise mer,

jusqu'au port de Portsall. 

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Le 10 juin 1935, vous avez convoyé, par gros temps, 4 bateaux de pêche en difficulté au large de Portsall.

 

Avec un tel palmarès, vous étiez digne depuis longtemps de la distinction qui vient de vous échoir.

Mais l'indifférence de votre parlementaire pour les gens de la mer vous avait laissé dans l'ombre. C'est devant cette injustice que j'ai multiplié mes démarches près des pouvoirs publics et avec l'appui de mon ami Paul Marchandeau, ancien ministre et maire de Reims, nous avons enfin obtenu cette belle croix du Mérite maritime qui est la Légion d'honneur des marins.

 

Bravo, mon cher Salou, nous sommes fiers de vous, car nul n'était plus digne de figurer dans cette promotion du dévouement et de l'honneur.

 

Parmi nos canotiers, vos camarades, bien d'autres aussi ont mérité une récompense.

Soyez patients, mes chers amis, votre tour viendra.

Je multiplierai mes démarches jusqu'à complète satisfaction.

Nous savons tous que si vous risquez votre vie pour sauver

vos semblables, ce n'est pas dans l'espoir d'une récompense.

Vous le faites, parce que c'est dans le tempérament

de votre belle race, qui aime à braver le danger pour la satisfaction du devoir accompli, pour la gloire du marin breton, dont les multiples qualités :

La bravoure, le dévouement, la foi et l'amour du clocher

en ont fait le premier marin du monde.

 

Je bois à la santé de nos chers invités, à la prospérité du patron Salou, aux sauveteurs de Portsall et à la grandeur de la Bretagne, cette province unique, incomparable.

Joyau de notre belle France.

 

Ce discours est longuement applaudi ; puis la parole est donnée

à M. le docteur Le Meur qui s'exprime en ces termes :

 

M. Le Meur

 

Monsieur le président, Mes chers amis,

Sauvetage Portsall _01.jpg

Je remercie bien vivement d'abord votre président d'avoir bien voulu m'inviter à cette fête de famille,

et je suis particulièrement heureux de féliciter Eugène Salou, votre sympathique patron du bateau de sauvetage,

qui vient d'être nommé « chevalier du Mérite maritime » ;

heureux de le féliciter, moins comme conseiller général que comme fils, petit-fils, arrière-petit-fils et même plus,

de marins, me rendant compte ainsi bien plus des dangers et des mérites de cette profession.

 

Eugène Salou, vous êtes un brave, mais un brave au milieu des braves.

Et cette médaille, si elle est un témoignage de votre courage et de votre bravoure, est aussi en même temps

une attestation du mérite et de la valeur de tous vos compagnons du bateau de sauvetage.

 

C'est une petite marque de la reconnaissance que nous vous devons tous, mes chers amis, pour votre dévouement, votre héroïsme plusieurs fois constatés.

 

À tous donc, j'adresse des félicitations et Je vous assure des sentiments de reconnaissance de la population,

de tous les marins et de tous ceux qui s'intéressent aux œuvres de mer.

 

Monsieur le président,

 

Ces messieurs m'en voudraient si Je ne vous adressais pas quelques mots.

 

M. Le Lièvre a acquis depuis bien longtemps son droit de cité à Portsall-Ploudalmézeau.

Je ne sais, monsieur, quel vent favorable vous a poussé jusqu'à nous, ou plutôt quelle sorte de fatalité heureuse

et bienfaisante vous a amené vers nos rivages ?

 

Peut-être vouliez-vous chercher, loin de Paris, la ville du travail et de la pensée absorbante et fatigante,

un lieu de repos pour votre esprit souvent tourmenté et surmené ?

C'est après plusieurs tâtonnements, après plusieurs arrêts en cours de route,

que vous avez enfin fixé ici vos pénates errants.

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Vous ne pouviez, il est vrai, aller plus loin !

Vous êtes arrivé à l'extrême pointe de la terre de France

et du monde d'autrefois, finis terrae — bien nommé Beg-a-Lann

et maintenant il n'y a plus devant vous que l'immensité des mers !

 

Mes chers amis, où M. Le Lièvre pouvait-il mieux situer

son ermitage, sa chansonnière ?

Où pouvait-il trouver plus de calme et de tranquillité, plus d'inspiration aussi, que devant ces deux mers, l'océan Atlantique

et la Manche, qui s'affrontent presque devant ses regards,

qui s'entrechoquent parfois violemment, et dont le bruit sourd

et profond, parfois aussi terrifiant et angoissant,

saisit tant l'âme et la pensée ?

 

Et bien vite, avec votre droit de cité, vous avez acquis, M. Le Lièvre, la sympathie de la population qui vous entourait.

 

Votre cœur, comme animé par le souffle du large, est devenu un grand cœur de marin ;

vous avez compris les souffrances et les risques et la grandeur de cette profession maritime et de ces pêcheurs ;

vous vous êtes intéressé à leur sort ;

vous vous êtes mis à les aimer.

 

Et je ne veux pas dire plus, parce que je sais que je vous offenserais, de votre bonté et de votre générosité.

 

Mais nul choix ne pouvait être plus heureux ni meilleur, comme président de la société de sauvetage, que le vôtre,

et vous continuez avec ardeur votre rôle de bienfaiteur.

 

M. Le Lièvre m'en veut certainement de tout ce que je viens de dire.

Comme la vérité blesse quelquefois et que le médecin doit guérir les blessures.

Je vais essayer de calmer la moitié de votre douleur en associant, comme il est juste,

à votre œuvre et à vos actions Mme Le Lièvre, qui, j'en suis sûr, mérite aussi une grande part de ces éloges

et qui a contribué à porter la joie et la consolation dans ces foyers aux familles nombreuses et si souvent éprouvés.

 

Nous levons nos verres à votre santé, à celle de M. Le Lièvre et à votre famille. 

Je bois aussi à la santé d'Eugène Salou, le nouveau chevalier, et à la santé de tout l'équipage. 

J'exprime, au nom de tous, mes sentiments de reconnaissance pour l'œuvre des sauveteurs bretons.

 

Applaudissements nourris.

 

C'est au nom de l'équipage que M. Thierry prend la parole :

 

M. Thierry

 

Cher président et ami,

 

Au nom des canotiers, je viens vous remercier de votre générosité à leur égard.

Ils n'oublient pas que depuis que vous êtes président de notre station, vous avez, de vos deniers,

augmenté sensiblement leur indemnité de sortie.

 

Sans vous, le patron Eugène Salou aurait attendu longtemps la croix de chevalier du Mérite maritime,

juste récompense de ses actes de dévouement.

 

Ils ne veulent pas laisser se terminer cette petite fête sans aussi remercier Mme Le Lièvre,

bienfaitrice de leurs enfants.

Ils remercient également M. Fortin, maire ;

M. Le Meur, conseiller général ;

M. Jaouen, pharmacien ;

le représentant de la Dépêche, d'avoir bien voulu honorer de leur présence cette petite cérémonie.

 

Bravos répétés.

 

Maintenant, le patron Salou remercie avec émotion.

Il le fait sans grandes phrases mais avec une touchante sincérité.

 

Un double ban est battu en son honneur.

 

Puis, le banquet terminé, tout l'équipage prend place dans un car pour aller, en ce jour de consécration de l'héroïsme, se recueillir un instant au pied du monument élevé à la mémoire des marins, pointe Sainte-Mathieu.

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Document ayant appartenu à M. Amédée Le Meur, médecin à Ploudalmézeau

Collection de Guy Korfer

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