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Fenêtres sur le passé

1933

Ouessant, l'île méconnue par Odette du Puigaudeau
article 3 sur 5
Le vrai visage des Ouessantines

 

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Source : L’Ouest-Éclair 25 août 1933

 

Un soir, je questionnai ma vieille amie Barba Kergorn.

 

Elle m'avait invitée à partager un magnifique farz-valet fourré de lard et de pruneaux, le plat national d'Ouessant.

Cela se cuit, 3 heures durant, sous les gleds, plaques de gazon sec taillés dans la lande, qui sont, avec la fougère, l'ajonc et le varech, les seuls combustibles de l'île.

 

Elle est charmante, la petite maison de Barba, et de pur style ouessantin, toute blanche dedans comme dehors.

Les volets d'en bas sont percés de cœurs et de losanges ceux d'en haut sont vitrés, pour former doubles-fenêtres pendant les tempêtes.

Dans la cuisine, les boiseries, les armoires et le lit-clos à l'ancienne mode sont peints en bleu ciel et brun rougeâtre, sculptés de naïves rosaces blanches.

Au milieu du vaisselier, entre les bols et les assiettes enluminées, une niche abrite une Vierge dorée, son Jésus au bras, enguirlandée de fleurs et de petites plumes.

Dans une boite vitrée suspendue près de l'âtre, des bouquets de papier représentent chacun un deuil.

C'est la coutume d'autrefois.

Barba était en face de moi, son visage souriant encadré de mèches grises sous le bonnet noir des jours ordinaires, sa vaste poitrine drapée d'un fichu de coton blanc.

Toutes deux accoudées à la longue table étroite, nous nous régalions du beau gâteau doré, et je me souviens que Barba, en signe le fête, avait posé près de nous un beau bouquet de soucis cueillis dans son jardin.

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— Dites, Barba, vous avez connu les coloniaux, à Ouessant ?

Si je les ai connus !

Ah ! C'était plus gai que maintenant !

— Pourtant, on dit qu’ils mettaient le pays à feu et à sang qu’ils poursuivaient les femmes à coups de fusil et brûlaient les maisons ?

—Tout ça ma pauvre fille, c'est du roman !

Bien sûr qu'il y a eu des horreurs, entre soulards et soulardes, une vingtaine peut-être, toujours les mêmes, qui traînaient avec eux.

Ce qu'on n'a pas raconté, c'est que des hommes mutilés sont allés mourir à l'hôpital militaire de Brest.

Ça a rendu les autres fous, vous savez bien.

Ils en ont tué une, maltraité d'autres.

Y en a deux qu'ont été flambées comme des poulets !

Mais les femmes convenables, ils les laissaient tranquilles.

Ma sœur et moi, on habitait à toucher la caserne on était jeunes et pas vilaines ben ils ne nous ont jamais rien dit.

Ah ! Oui ! Tous ces livres, ça a fait bien du tort à l'île !

Ici, comme partout, du bon et du mauvais, et ceux qui ont parlé d'Ouessant n'ont voulu voir que le mauvais.

Croyez-moi, il y a bien plus d'honnêtes filles que d'autres !

 

— Je connais trop d'Ouessantines pour ne pas en être convaincue.

 

— Il y aurait pourtant assez à dire sur nous sans aller chercher des saloperies.

Et nous avons assez de misère avec nos hommes à naviguer, et nous à cultiver la terre

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C'est vrai que les semailles et les moissons, la récolte du goémon, du foin, des patates, de l'ajonc et de la fougère, les soins des bêtes, les soucis de la maison, des vieux et des gosses c'est sur elles que tout retombe.

Leur repos, c'est de filer la laine de leurs moutons aux veillées d'hiver, de tricoter les gros chandails pour ceux qui sont bien loin, pour longtemps.

Elles ont aussi leurs petits plaisirs :

Les noces, les danses au clair de lune ;

les fest-an-our, grandes ripailles dans les fermes où l'on a tué le cochon ;

la procession de la Fête-Dieu, celles des pardons de Locqueltas et de Saint-Pierre.

Et les sorties de chaque semaine, la grand'messe au bourg, l'arrivée du bateau-courrier, toutes les occasions de dénouer les beaux cheveux flottants, soyeux, nattés toute la semaine.

Ces jours-là, on choisit son plus beau tablier ;

on pique à son châle de velours les plus jolies épingles et l'on met le petit bonnet à fleurs recouvert du goricher, de tulle que les Italiennes appelaient gorra, il y a quatre siècles, la coiffe plate, plus petite, mais presque pareille à celle que portait la reine Catherine de Médicis.

 

— Oui, pourquoi toujours s'en prendre à nos femmes, qui en valent bien d'autres ?

Comme si elles n'avaient pas la vie assez difficile, sur cette île !

 

Cette fois, c'est un gardien de phare qui proteste, là-haut, dans la cage vitrée du Creac'h.

 

— Il y a pourtant bien des sujets plus intéressants que de tourner indéfiniment autour d'une demi-douzaine de « Marie-couche-toi-là », capeyant dans tous les cabarets !

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En bas, sur l'île, de petites formes noires chargent des charretées de foin, dressent des meules, mènent les chevaux, ou, accroupies, font la lessive près d'un doué.

 

Des stankeun marécageux forment de longues traînées d'herbe fraîche entre les champs roussis.

Attachés par couples, des moutons à demi-sauvages bêlent d'une voix lugubre, attendant la liberté qu'on ne leur rendra que de septembre à février.

 

L'île est comme un joyau dans un écrin de soie bleue, et le gardien, les yeux perdus dans cette immense pureté, semble chercher « les sujets plus intéressants », ceux que l'on trouve avec les canots de sauvetage de Lampaul et du Stiff, les nuits de tempête et de brume, tout le long du From-Rust et et From-Veur.

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