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Fenêtres sur le passé

1890

Plougastel Daoulas

Catastrophe au Pardon de la Saint Jean

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Source : La Dépêche de Brest mercredi 25 juin 1890

 

Une passerelle qui s'effondre.


Soixante personnes à l’eau.

 

Une femme morte

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Un pénible événement, dont les conséquences auraient pu être désastreuses, a marqué, hier,

la fin du pardon de Saint-Jean.


Comme chaque année, une foule énorme s'était rendue à cette fête.

 

Les véhicules de toutes sortes, le chemin de fer, les bateaux à vapeur avaient transporté toute la journée

un nombre considérable de promeneurs.


Le service de ces derniers n'avait pas trop laissé à désirer.

 

Grâce à de récentes visites et à de récents avis de la commission chargée de ce soin,

les bateaux n'étaient pas chargés outre mesure, et rembarquement semblait s'opérer

dans d'assez bonnes conditions.

 

C'est cependant de cet embarquement qu'est venu le mal.


Il se faisait, à Saint-Jean, au moyen d'un ponton relié à la grève par une passerelle en dos d'âne,

longue d'environ quarante mètres et large de deux.


Le ponton, auquel accostaient les vapeurs, pouvait contenir une centaine de personnes.

 

D'autres personnes stationnaient également sur la passerelle.


L’accident.


Vers six heures, le moment du retour approchant, un nombre plus considérable de voyageurs affluèrent

vers l'appontement.

 

Le ponton étant comble, la plupart de ces personnes se massèrent sur la passerelle.

 

C'est à ce moment que l'accident se produisit.


Le « Travailleur » était sur le point d'accoster, lorsque, à la suite d'une poussée,un craquement sinistre se fit entendre.
 

La passerelle, trop chargée, venait de s'effondrer sur une longueur d'environ sept mètres,

et une soixantaine de personnes étaient tombées à l'eau.


Pendant la première minute, ce fut un spectacle horrible.

 

Des cris éclataient, et une angoisse terrible était peinte sur tous les visages.

 

Cependant, le sauvetage fut rapidement organisé.

 

La partie de la passerelle qui s'était affaissée avait formé une sorte de de radeau contenant

quelques-unes des victimes de ce pénible accident.

 

D'autres, des femmes et des enfants, projetés en dehors de ce frêle appui, coulaient.


Immédiatement de courageux citoyens se jetèrent à l'eau.

 

D'autre part des embarcations voisines accoururent et recueillirent les naufragés.

 

Le sauvetage dura de vingt à vingt-cinq minutes.


Pendant, ce temps, des scènes douloureuses se passaient sur le ponton et à. Terre.


Des mères se tordant les mains, réclamaient leurs enfants.

Une confusion terrible régnait.

 

On ne savait à qui entendre et des femmes sanglotaient.

 


Les victimes.


Au fur et à mesure que les victimes étaient retirées de l'eau évanouies pour la plupart, on s'empressait de les transporter dans des fermes voisine et au château de Saint Jean, 

Chapelle saint Jean Plougastel Daoulas _

que son propriétaire, M. Villiers, s’était empressé de mettre à disposition des sauveteurs.

 

Elles y reçurent tous les soins désirables.

 

On les coucha, on les réchauffa et la plupart d'entre elles ne tardèrent pas à reprendre connaissance.
 

Il n'en fut malheureusement pas de même pour Mme Le Moal, bien connue des habitués du théâtre,

où elle tenait un des guichets.


Cette malheureuse femme sur la famille de laquelle le sort semble s'acharner car elle avait perdu récemment son fils, dans la catastrophe du Requin, ne put être rappelée à la vie.

 

Tous les efforts que l'on tenta dans ce sens furent vains et elle a succombé, non pas aux suites de l'immersion

comme on l'avait cru tout d'abord, mais à une congestion causée par le saisissement que lui avait causé l'accident.


Mme Le Moal était accompagnée de sa fille, Mme Vasse, qui a été transportée aussi au château,

dans un état assez grave.


À neuf heures du soir, elle ignorait encore la mort de sa mère.


Le fils de Mme Vasse, un enfant de cinq à six ans, a pu être sauvé à l'aide d'une corde jetée de la passerelle

pendant que quelqu'un lui tendait la main.

 

L'enfant appelait sa grand’mère d'une voix déchirante.


Mais nous n'en finirions pas si nous voulions relater toutes les péripéties de ce dramatique événement.

 

Une jeune fille est resté plus d'une heure, réclamant sa mère.

 

Une femme, dont l'enfant avait disparu, en serrait un autre dans ses bras sans s'apercevoir que ce n'était pas le sien.

 

On lui rendit bientôt le véritable.


Au bord du rivage, plusieurs femmes ont eu des attaques de nerfs.


La nouvelle à Brest.


À Brest, la nouvelle a été connue vers huit heures.

 

Une vive émotion s'est aussitôt emparée d'un grand nombre de personnes qui se sont portées sur le quai, où un bateau n'a pas tardé à ramener quelques-uns des blessés dont plusieurs dames et une petite fille de 10 ans qu'un homme portait dans ses bras.


Durant toute la soirée, des gens plongés dans une mortelle inquiétude ont stationné devant le bureau de M. Pennors, attendant l'arrivée de parents ou d'amis.


Naturellement, les bruits les plus divers circulaient.

On parlait de deux enfants morts et d'un plus grand nombre de victimes.


En réalité, autant que nous avons pu nous rendre compte de la gravité de cette catastrophe, à une heure trop avancée pour avoir des renseignements certains,
Mme Le Moal était, hier soir, la seule personne dont elle ait causée la mort.

 

Les témoins qui ont pris place sur le dernier bateau, rentré vers onze heures, semblaient l'affirmer.


La journée d'aujourd'hui amènera-t-elle la découverte de nouvelles victimes ?

 

Espérons que non.

 

Dans tous les cas, il est nécessaire qu'une enquête vienne établir les responsabilités.

 

Carte-Postale-Un-Bebe-De-Plougastel-Daou

La passerelle qui s'est effondrée, présentait-elle toutes les garanties de solidité désirables ?

 

Elle avait, paraît-il, servi déjà l'an dernier et on l'avait réparée, mais il est bon que ces assertions soient vérifiées.

 

Il est nécessaire de savoir aussi si l'accès de ce pont peu résistant ne devait pas être défendu

à un trop grand nombre de personnes.


Il est bon de savoir tout cela pour que l'opinion soit rassurée et que les parties de plaisir

ne se changent pas en catastrophes.

Source : La Dépêche de Brest jeudi 26 juin 1890

La catastrophe de Saint-Jean


Découverte de six nouveaux cadavres.

 

L'espoir que nous émettions hier ne s'est pas réalisé.

 

Six nouveaux morts sont venus s'ajouter à la funèbre liste inaugurée

par Mme Le Moal.

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A-t-ou maintenant le nombre exact des victimes de la catastrophe de Saint Jean ?

 

Il est encore difficile de l'assurer.

 

En attendant, il convient de ne pas anticiper et de reprendre notre récit où nous l'avons quitté

et même un peu plus haut.


PENDANT LA NUIT


Une quarantaine de personnes ont passé la nuit à Saint-Jean.

 

Le dernier bateau parti, ramenant à Brest les blessés valides et les derniers spectateurs,

un silence lugubre s'est fait sur le théâtre de l'accident.


Au château et dans les fermes, la nuit n'a pas été trop mauvaise pour les personnes

que leur état n'avait pas permis de ramener.

 

Grâce aux soins qu'elles y ont reçu, elles ont pu trouver, après l'angoisse mortelle qu'elles avaient éprouvée,

un calme suffisamment réparateur.


Il convient, à ce propos, de féliciter chaleureusement les propriétaires du château et les fermiers,

qui se sont véritablement prodigués.

Ces derniers, Le Bot (François), âgé de 38 ans, et Le Gall (François), âgé de 37, ainsi que leur famille, ont mis,

comme les habitants du château, leurs lits, leur linge, toute leur demeure, en un mot,

à la disposition des victimes de la catastrophe.


La nuit n'a cependant pas manqué d'être douloureuse pour certains.

 

Tandis que le calme s'établissait peu à peu â Saint-Jean, des familles éplorées voyaient s'écouler les heures

dans une inquiétude mortelle.

 

Plusieurs, qui étaient partis, en effet, n'étaient pas revenus.

 

Quelques-uns ne devaient, hélas ! pas revenir.


DÉCOUVERTE DES CADAVRES


Après l'événement, des recherches avaient été faites.

 

La conviction de plusieurs personnes, notamment de M. Pannors, était que les pertes se borneraient
à celle de Mme Le Moal.

 

À l'aube, dès que le jour commença à poindre, ces recherches furent reprises.

 

Elles ne tardèrent pas à donner des résultats douloureux.


Six cadavres furent successivement retirés de l'eau, cinq à droite de la passerelle du côté de Brest, un à gauche.

 

Les corps étaient aussitôt, placés au long de la haie qui borde la grève.


Une pénible émotion gagnait peu à peu les assistants.

Elle fut à son comble lorsque le premier bateau amena les parents des trépassés et que la lugubre cérémonie

de la reconnaissance commença.
 

Ce fut une scène véritablement indescriptible.

 

On ne peut se faire une idée de la désolation qui régnait sur le rivage, où les dépouilles de gens,

encore plein de vie hier, gisaient maintenant tragiquement insensibilisés par l'horrible mort

à laquelle ils avaient succombé.

LES NOMS DES VICTIMES


Un à un les cadavres étaient reconnus.


En voici la liste exacte :


Mme Le Gléo, 29 ans, Grand'Rue, 36.


Mme Nabat, 44 ans, place du Château, 11.


Mme Ingouff, 45 ans, rue du Petit-Moulin, 10.


Jeanne Ingouff, 8 ans, rue du Petit-Moulin, 10.


Eugénie Guéguen, 17 ans, rue de la Vierge, 42.
 

Bondon (Jules), quartier-maître mécanicien torpilleur. n° matricule 7189.

 

Il convient d'y ajouter celui de Mme Moal, 54 ans, rue Algésiras.

 

Détail impressionnant, Mlle Eugénie Guéguen a été retirée par son frère, qui est quartier-maître.

 

Le jeune homme plongea à trois reprises et ramena trois cadavres.

 

Le troisième était celui de sa pauvre sœur.

 

La douleur de tous ces pauvres gens était véritablement horrible.

 

M. Ingouff, qui est contremaître au port, surveillant à l'école supérieure de maistrance, était,

en retrouvant sa femme et sa malheureuse fillette, en proie à un véritable délire,

qui a fait craindre un instant pour sa raison.

 

Des sanglots déchiraient toutes les lèvres.

 

LE TRANSPORT DES CORPS

 

Un premier bateau, celui dont nous avons noté l'arrivée à Saint-Jean et qui avait quitté Brest vers quatre heures,

est rentré vers huit heures.

 

Il ramenait les personnes ayant couché au château ou dans les fermes.

 

Parmi ces personnes, au nombre d'une quinzaine, se trouvaient plusieurs dames vêtues du costume de Plougastel.

Les morts ont été embarqués sur « le Mousquet »,

qui a accosté au port de commerce à dix heures.

Trois étaient à l'avant : Mme Le Moal, Jeanne Ingauff et sa mère ;

à l'arrière, Mme Le Gléo, Mme Nabat et Mlle Eugénie Guéguen.

 

Des linceuls et des toiles cirées les recouvraient.

 

À dix heures et quart, le débarquement a commencé.

 

À l'aide d'un cadre porté par des portefaix, les cadavres ont été dirigés sur le poste de police du port de commerce,

transformé en morgue pour la circonstance.

 

Ç'a été d'abord Mme Le Moal, accompagnée par un de ses fils,

sergent-major mécanicien.

 

Puis Mme Ingouff et sa fille dans les bras d'un portefaix et enfin

les autres victimes suivies par les membres de leur famille.

 

Costume de Plougastel Daoulas.jpg

Un monde fou se trouvait à ce moment sur le quai du 2e bassin.

 

La foule, que l'on peut évaluer à plus de 600 personnes, était calme et recueillie.

 

Les constatations légales ont été faites par M. Soubeyran, commissaire de police du 1er arrondissement.

 

Les cadavres ont été reconnus officiellement et reconduits à leur domicile par des fourgons des pompes funèbres requis à cet effet.

 

AUTOUR DES VICTIMES

 

Nous avons dit suffisamment hier avec quel acharnement la famille Le Moal est éprouvée, pour y revenir aujourd'hui.

 

Voici quelques renseignements que nous avons pu recueillir sur les autres victimes.

 

Toute la famille Ingouff se trouvait, à Saint-Jean au moment de la catastrophe.

 

Outre le malheur dont elle est frappée en la personne de Mme Ingouff et de la petite Jeanne,

la fille aînée de M. Ingouff est alitée assez gravement.

 

Elle a de plus une blessure au doigt.

 

Malgré toute son énergie, M. Ingouff n'a pu sauver sa femme et sa fille.

 

Mme Le Gléo avait reçu avant-hier une dépêche de son mari.

 

Ce dernier, qui est quartier-maître de la marine et qui se trouve au Sénégal, lui annonçait son prochain retour.

 

Toute à la joie, Mme Le Gléo résolut d'aller a Saint-Jean.

 

Elle s'y rendit avec sa tante, Mme veuve Nahat, et son fils, âgé de 15 ans.

 

Le jeune homme a pu seul échapper à la mort et est rentré à Brest, en costume de marin,

après avoir vainement cherché sa mère et sa tante.

 

Mlle Eugénie Guéguen était accompagnée de deux amies qui ont eu le bonheur de se sauver.

 

On sait déjà qu'elle a été retrouvée par son frère.

 

L'ENQUÊTE

Pendant que se passait ce que nous venons de raconter, le parquet ne restait pas inactif.

 

À onze heures et demie, le procureur de la République, M. Guicheteau, juge d'instruction,

et le greffier en chef du parquet, accompagné de M. Cothereau, sous-préfet, se rendaient au port de commerce où, après avoir visité les cadavres, ils se dirigeaient vers Saint-Jean.

 

L'enquête a été immédiatement commencée avec le concours de M. Jourdan, ingénieur civil.

 

On comprendra la réserve qui nous est imposée.

 

Nous devons donc nous borner, pour l'heure, à résumer simplement ce qui s'est passé.

 

En présence de MM. Pennors et Simon, qui s'étaient rendus également sur le théâtre de la catastrophe,

les magistrats enquêteurs ont procédé d'abord à un examen sommaire des lieux.

 

Les différentes parties de la passerelle ont été ensuite examinées avec le plus grand soin par l'ingénieur chargé

de l'expertise, qui a notamment examiné de très près et très longuement les poutrelles

dont la rupture amené l'effondrement.

 

Disons tout de suite que, bien que les matériaux fussent un peu vieux,

l'aspect général de la construction était plutôt rassurant.

 

La première partie du pont reliant la grève au ponton d'embarquement reposait sur de forts madriers.

 

Entre les madriers qui en formaient la base, les plateaux du plancher reposaient sur des poutrelles transversales

de vingt centimètres de largeur sur six d'épaisseur.

 

Pourquoi ces poutrelles, très fortes cependant, ont-elles cédé ?

 

C'est ce que l'enquête établira.

 

Une chose pourtant nous a frappé.

 

Contrairement à ce qui se fait généralement en pareille matière, les poutrelles d'appui, au lieu d'être posées de champ, comme par exemple les solives des appartements, étaient posées à plat.

 

Elles offraient ainsi beaucoup moins de résistance et pouvaient fléchir plus facilement au centre.

 

Il convient cependant, pour établir équitablement les responsabilités,

d'ajouter que ce défaut de construction ne suffit pas pour expliquer la catastrophe.

 

Il faut le dire nettement, l'envahissement de la passerelle a été, peut-être, la véritable cause du malheur.

 

D'après des témoins dignes de confiance, MM. Pennors et Simon ayant voulu s'opposer à cet envahissement,

auraient été débordés.

 

On assure, d'autre part,

qu'un assez grand nombre de personnes s'agitaient plus que ne le comportait l'endroit où elles se trouvaient.

LES DRAGAGES

 

Tandis que les magistrats poursuivaient leur enquête et que nous faisions les réflexions que l'on vient de lire,

les dragages continuaient.

 

Plusieurs canots, dont celui de la douane, exploraient les alentours de la passerelle et du ponton,

et chaque coup de gaffe amenait de nouveaux objets.

 

Une quantité considérable de cannes, d'ombrelles, de porte-monnaies, de sacs, de paniers, de mouchoirs,

voire même de chaussures, ont été retrouvés.

 

Parmi ces objets se trouvait un sac de toile contenant quatorze francs.

 

Selon toute probabilité, ce sac appartient à une marchande de gâteaux qui a couché au château et qui,

toute la nuit, n'a cessé de répéter : « Que va donc dire ma pâtissière si je ne lui rapporte pas de l'argent ! »

 

Mais laissons ce détail qui serait comique si le sujet pouvait comporter un seul mot.

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