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Fenêtres sur le passé
1890
Plougastel Daoulas
Catastrophe au Pardon de la Saint Jean
- page 2 -
Source : La Dépêche de Brest jeudi 26 juin 1890
UNE VICTIME DU DEVOIR
La première chose qui nous a frappés en arrivant sur la grève, était un corps caché sous un drap gris.
C’était celui du quartier-maître Bondon.
Reconnu plus tard par les autres victimes, il devait être ramené par le « Saint-Joseph ».
Bondon, qui servait comme quartier-maître à bord de « l’Épervier » est le seul homme qui a péri.
On s’expliquera la chose quand on saura que le jeune quartier-maître est mort en faisant héroïquement son devoir.
Six fois, le malheureux s'était jeté à l'eau pour sauver des personnes en danger de se noyer
et six fois il avait été assez heureux pour voir ses courageuses tentatives couronnées de succès,
lorsqu'à la septième, il s'est fracassé le crâne sur les rochers.
Jules Bondon, qui est une véritable victime du devoir, est né à Saint-Pol-de-Léon.
Son père a été musicien de la flotte et sergent-major clairon du 2e d'infanterie de marine et cantinier.
Marié, il se trouvait à la fête avec sa femme et ses deux enfants, qui ont pu être sauvés.
Mme Bondon, hors de danger, ainsi que son plus jeune enfant âgé de dix mois,
avait pris le train de dix heures et demie et avait fait dire à son mari qu'elle était hors de danger.
La petite Jeanne Bondon, âgée de sept ans, fut ramenée à Brest et passa la nuit au port marchand
chez un cordonnier, où sa mère est venue la reprendre hier, vers une heure de l'après-midi.
La pauvre femme est au désespoir.
La famille Bondon habite rue Saint-Yves, 81.
II a été reconnu par son beau-père.
Le corps a été porté à bord du « Saint Joseph », qui a quitté Saint-Jean vers quatre heures,
avec les magistrats instructeurs.
En route, le bateau a rencontré une chaloupe à vapeur du « Requin », commandée par un aspirant de corvée,
qui venait chercher la dépouille du courageux quartier-maître, et une chaloupe de la direction des mouvements
du port, dans laquelle se trouvait un scaphandrier.
De nouveaux dragages ont été opérés avec l'aide de ce dernier, mais ils n'ont amené la découverte
que de nouvelles ombrelles et cannes et de nouveaux porte-monnaies.
DES DISPARUS RETROUVÉS
Tandis que le « Saint Joseph » ramenait le corps du quartier-maître Bondon au port de commerce,
où il a été mis à la disposition de l'autorité maritime, le scaphandrier arrivait cependant fort à propos.
Un brave second-maître, nommé Bodégo, se trouvait à Saint-Jean depuis plusieurs heures.
Inquiet de la disparition d'un de ses cousins et de deux de ses cousines, il avait pratiqué de vains sondages.
Ses parents, le quartier maître Tromeur (Joseph) et deux jeunes filles, Anna et Jeanne Quénéa, âgées de 19 et 17 ans, habitant Saint-Pierre Quilbignon, étaient parties la veille et on était sans nouvelles.
Les dragages, à l'aide du scaphandrier, n'ayant donné aucun résultat, le second-maître Bodégo rentrait à Brest
vers huit heures et demie du soir et y trouvait heureusement les siens.
LES SAUVETEURS
Il convient maintenant de citer les actes de dévouement qui se sont produits en cette pénible occurrence.
Les courageux citoyens qui se sont dévoués pour arracher leurs semblables à une mort certaine sont nombreux.
Voici les noms qui sont parvenus jusqu'à nous :
Hamon (Jean-Marie), gardien de bureau médaillé militaire, a retiré cinq personnes de l'eau ;
M. Boulin père, qui a opéré douze sauvetages ;
Leroux fils, qui a sauvé trois personnes et qui a été blessé par une planche ;
Hesnault (Auguste), commis de direction, à qui on a volé sa canne, son chapeau et son porte-monnaie ;
Julien (Alexandre), ouvrier aux machines ;
Pastoret (Jean), ouvrier mécanicien ;
Cottour (François), ouvrier aux bâtiments en fer ;
Potin, ouvrier pavillonneur au port ;
Roudaut (Victor), employé aux chemins de fer, se trouvait compris dans l'accident et, malgré cela,
a porté secours à ses concitoyens ;
Buricg (Eugène), mécanicien au port ;
Kerros (René), quartier-maître charpentier à la division ;
Petit-Vallée (Gaston), charron, rue de Paris 58 ;
Le patron et l'équipage de la chaloupe à vapeur des constructions navales,
qui a reçu à son bord une vingtaine de personnes ;
Taneza (Louis), garçon da magasin chez Mme Nourrit, Grand'Rue, 56, a sauvé une douzaine de personne
dont la famille Bazin, de Messidou, et Mme Leroux et ses filles, habitant la rue de la Mairie ;
M. Leroux, le mari et père des précédents ;
Gallou (Auguste), rue Duquesne 6, a sauvé plusieurs personnes dont un enfant de dix ans ;
Il convient encore de ne pas oublier M. le docteur Allain qui, avec l'aide de plusieurs étudiants de la marine, a donné ses soins aux malades transportés au château et dans les fermes.
Ce n'est là, d'ailleurs, qu'une sèche énumération.
Nos colonnes ne suffiraient pas à décrire tous les dévouements.
LES OBSÈQUES DES VICTIMES
Les obsèques de quelques-unes des victimes auront lieu aujourd'hui.
Celles de Mme veuve Le Moal, née Lucile-Alexandrine Landureau, à deux heures et demie du soir.
Le deuil se réunira rue Algésiras, 8, et la cérémonie aura également lieu à Saint-Louis.
Celles de Mme veuve Nabat, née Léônie Manain, à quatre heures et demie du soir.
Réunion place du Château, 14, cérémonie en l'église N.-D. du Mont-Carmel.
Celles de Mlle Eugénie Guéguen auront lieu à cinq heures du soir.
La cérémonie aura lieu à Saint-Martin.
Enfin, celles de Mme Le Gléo, née Marie Emilie Nabatt, auront lieu demain matin, à dix heures.
Le cortège se formera Grand'-Rue, 32 et la cérémonie religieuse aura lieu à Saint-Louis.
UNE ASSERTION INEXACTE
Une dépêche adressée au « Petit Journal »
retraçant les derniers détails de la catastrophe assure
qu’aucun service d’ordre n’était fait.
C’est là une assertion que nous croyons inexacte.
Dès la semaine passée, les, autorités compétentes avaient pris des mesures pour assurer la sécurité des promeneurs.
La commission de surveillance des bateaux à vapeur s'était réunie exceptionnellement et plusieurs de ses membres s'étaient rendus à bord pour s'assurer du bon fonctionnement des machines.
D'autre part, la police avait reçu des ordres pour veiller à l'embarquement à Brest, tandis que la gendarmerie assurait
le service à Saint-Jean.
D'autres agents appartenant, soit aux ponts et chaussées,
soit à la marine, ont concouru également au service d'ordre.
Le nécessaire avait donc été fait.
Dans tous les cas, nous sommes convaincus que l'enquête
fera une lumière complète sur les causes de cette catastrophe
qui a causé une si vive et si légitime émotion dans notre ville,
et dont les conséquences douloureuses seront longtemps
encore ressenties
Source : La Dépêche de Brest vendredi 27 juin 1890
Obsèques des victimes
Aucun cadavre n’a été découvert hier.
Cela n'a pas empêché les bruits les plus fantaisistes de circuler.
Dans la matinée, on ne parlait rien moins que de treize corps trouvés sur la grève de Saint-Marc.
On parlait également de la disparition de deux novices
de la « Bretagne ».
Il n'est pas besoin de dire, que tous ces bruits
sont dénués de fondement.
Le parquet n'a été prévenu d'aucune disparition,
et d'aucune trouvaille, et il n'a eu à se transporter aucune part,
si ce n'est aux obsèques des victimes.
UN COURAGEUX FILS
Nous avons dit plus haut que, aux obsèques de Mme Nabat,
le deuil était conduit par son fils.
Ce jeune homme, âgé de 19 ans, est élève de la classe
de mathématiques élémentaires au lycée.
Au moment de la catastrophe, il était aux côtés de sa mère,
avec son oncle, inspecteur des pêches, et ses cousines,
filles de ce dernier
Tous sont tombés à l'eau.
En cherchant à sauver sa mère, le jeune Nabat put retirer
plusieurs personnes et les arracher à la mort.
Après chaque sauvetage, il replongeait et ramenait
une nouvelle victime, mais ce n'était jamais sa mère.
Épuisé, il aurait succombé à son tour,
si on ne lui avait assuré que sa mère avait été sauvée.
Il reprit alors le bateau et rentra à Brest,
où il ne trouva pas celle que dans son amour filial
il s'était obstiné à chercher dans les flots.
II repartit alors pour Saint-Jean, mais il n'y retrouva qu'un cadavre.
Mme Nabat avait, le crâne brisé.
Il est donc permis de supposer qu'elle sera tombée sur un rocher ou sur un pieu enfoncé sous l'eau, où elle sera restée
pendant que son fils poursuivait ses courageuses recherches.
La douleur de ce jeune homme est vraiment poignante.
À ceux qui l'approchent, il ne cesse de répéter :
« J'ai fait, tout, tout, pour la sauver, et je n'ai, pu en venir à bout. »
Il aura du moins, dans le malheur qui l'accable,
la consolante certitude d'avoir fait héroïquement son devoir.
Pour notre part, nous le prions d'accepter nos plus sincères sentiments de condoléance.
LES SAUVETEURS
Les actes de dévouement continuent à nous arriver en foule.
Au moment de l'effondrement de la passerelle,
M Beaufils, conseiller municipal, sa femme, leur fille et leur gendre, M. Cloirec, s'y trouvaient.
Mme Beaufils et sa fille ont été précipitées dans l'eau.
M. Beaufils et son gendre se sont immédiatement portés
à leur secours en se jetant à la mer.
Malgré tous leurs efforts, ils n'auraient pas réussi à sauver
leur femme sans la secours d'autres personnes,
notamment M. Nicolas, chef de bureau à la mairie,
qui leur a tendu la main.
Ils s'y sont cramponnés en attendait l'arrivée
d'un canot monté par des Plougastels qui les ont retirés de l'eau
et placés dans leur barque.
Ces quatre personnes, ainsi que M. et Mme Madec,
maître couvreur, rue Graverau, ont été transportés à Saint-Nicolas chez MM. Pitty et Rouget où ils ont reçu tous les soins
que réclamait leur état.
Mmes Rouget et Pitty leur ont ensuite donné des vêtements
et plusieurs couvertures.
À l'aide d'une voiture, ils se sont ensuite rendus à Brest,
où ils sont arrivés à onze heures du soir.
Ces deux familles adressent tous leurs remerciements
à M. Pitty et à Mmes Pitty et Rouget,
pour tous les bons soins et les égards dont ils ont été l'objet.
M. Chatiller, premier-maître pilote du Requin, s'est aussi dévoué
en portant secours à diverses personnes sur le point de se noyer.
Après s'être solidement cramponné à la passerelle,
il s'est glissé de manière à ce que plusieurs personnes
aient pu s'accrocher à ses jambes.
Ces personnes, qui formaient, une véritable grappe humaine, étaient ensuite recueillies, soit par des embarcations,
soit hissées sur le ponton par des cordes.
M. Chatiller est aujourd'hui souffrant par suite
de nombreuses écorchures qu'il a aux jambes.
Il faut encore citer M. Morel (Jean-Baptiste),
élève-fourrier aux équipages de la flotte.
Ce jeune homme, qui n'a que dix-huit ans, a sauvé sept personnes dont une petite fille de dix ans, qu'il a ramenée à sa mère.
M Morel était aidé dans ces sauvetages par plusieurs camarades dont nous regrettons de ne pas connaître les noms.
M. Le Roux père a sauvé la plus jeune de ses filles, sa femme,
Mme Maguer et sa fille, habitant rue Ducouëdic,
Jeanne Humily, Chapalain (Yves), 21 ans, rue Monge, 5.
En tout, une quinzaine de personnes.
C'est donc à tort que nous avons dit hier que la famille Le Roux avait été sauvée par la sieur Tamezac qui, tout à ses courageux efforts, aura mal reconnu les personnes qu'il retirait.
Le jeune Léa (Gabriel) n'a que seize ans et demi.
Cela ne l'a pas empêché de sauver trois jeunes filles
et un petit enfant.
M. Morin (René) a déjà reçu une récompense de sauvetage.
Considérant que noblesse oblige, il a retiré de l'eau un vieillard,
un enfant et trois jeunes filles.
M Aberré (Louis), quartier-maître fourrier à la division,
a sauvé plusieurs personnes, notamment un monsieur,
une demoiselle, deux enfants et un jeune homme.
Enfin, nous nous en voudrions d'oublier le patron du bateau
du Passage, le sieur Calvez.
Aidé de son équipage, le bateau a pu recueillir une cinquantaine
de personnes.
LES OBSÈQUES DU QUARTIER-MAÎTRE BONDON.
LES RESPONSABILITÉS
Un nouvel élément est venu s'ajouter aux documents de l'enquête.
C'est le rapport des gendarmes de service à Saint Jean au moment de la catastrophe.
Cette pièce, qui nous a été communiquée, hier, contient la déposition de M Pennors.
Interrogé sur les causes de la rupture du pont,
le propriétaire des bateaux à vapeur a répondu
que bien que les matériaux fussent vieux,
la construction réunissait toutes les garanties de solidité.
Pour lui, le motif de la rupture doit être cherché dans l'envahissement et surtout dans ce fait
que plusieurs personnes dansaient et sautaient.
Le rapport mentionne aussi les dires de plusieurs témoins qui ont, affirmé que plusieurs jeunes gens,
dont on n'a pu connaître les noms, dansaient et sautaient.
Cette attitude aurait énormément contribué à l’accident.
Nous donnons ces renseignements pour ce qu'ils valent, et nous laissons à d'autres, plus autorisés que nous,
le soin d'établir les responsabilités
Source : La Dépêche de Brest samedi 28 juin 1890
LES SURVIVANTS & LES BLESSÉS
II était difficile jusqu'ici d'établir exactement le nombre des personnes sauvées pendant la catastrophe et des blessés.
Sur les ordres de M. le commissaire central, les commissaires de police l’ont essayé.
Voici, sommairement, par arrondissements, les renseignements recueillis :
1er arrondissement
La veuve Kermarec, née Louise Lahous, rentière, demeurant place de la Halle, n° 7, a été transférée le 25 du château de Saint-Jean dans une maison de campagne, appartenant à. sa mère, aux environs du Moulin-Blanc, son état est grave.
Sibois (Marie-Mélanie), 15 ans, apprentie couturière, rue Richer, 3 ;
Pouliquen (Jeanne), 22 ans, rue Kéravel, 13. Lésions internes.
Lepage (Eveline), âgée de 40 ans, marchande de gâteaux, demeurant 1ère venelle
Kéravel, n° 13, blessée aux jambes, sans gravité.
Pour cet arrondissement, il convient d'ajouter que les orphelins Le Gall (Yves et Paul), signalés,
comme n'ayant pas reparu au domicile de leur tuteur, le sieur Bachot, marin vétéran, rue de Crée, 7,
ont été retrouvés.
Les deux jeunes gens sont arrivés chez leur oncle, Calarnou (René), cultivateur à Plouescat, le 24, à dix heures du soir.
2° arrondissement
Vasse, ménagère, rue Algésiras, état assez grave.
3° arrondissement
Bouley (Marie), 19 ans, couturière, rue Vauban, 67, est tombée à l'eau.
État assez grave, bien que sans danger.
4° arrondissement
Hocquard (Marie), 22 ans, Hocquard (Alphonsine), 18 ans, toutes deux piqueuses de bottines, rue Massillon, 6.
Quelques contusions aux bras et aux jambes.
Veuve Kerberenès, née Marie le Bihan, 60 ans, blanchisseuse ;
Kerberenès (Aline), 21 ans, fille de la précédente, demeurant à Kerjean-Vras (Brest).
La mère, alitée, a les ligaments du cou dérangés et des écorchures sur la figure.
La fille, simple écorchure sur la figure.
Femme Madec, née Catherine Simon, ménagère, 27 ans, rue Graveran, indisposée par suite de frayeur.
Reto (Édouard), 50 ans, marbrier, place Saint-Martin, 12. Écorchure à une main et à une jambe.
On le voit, l'état des personnes blessées ne présente pas une gravité exceptionnelle et tout porte à croire
qu'elles en seront quitte avec du repos
II est vrai que toutes sont loin d'être connues, mais leur silence même confirme cette impression.
UN POINT RECTIFIÉ
M. Ingouf, si cruellement éprouvé par la catastrophe, nous adresse la lettre suivante qui rectifie un point de notre récit:
« J'ai l'honneur de vous prier de modifier en ce qui me concerne une version de votre journal.
Je n'étais pas à Saint-Jean lors de l'accident qui s'est produit et qui m'enlève ma femme et mon enfant.
J'étais de service â l'arsenal toute la journée.
Je n'ai su l'accident qu'à 8 heures ½ par la bouche de mon fils qui conduisait sa sœur blessée.
Lorsqu'il a vu l'accident se produire, il a cherché sa mère et ses sœurs qu'il venait de quitter quelque temps auparavant.
Il n'en a retrouvé qu'une avec laquelle il est revenu après avoir de nouveau couru et cherché
partout pour retrouver sa mère et son autre sœur.
Voilà donc ce qui a fait croire un instant que j'étais à Saint-Jean, y voyant toute ma famille.
Recevez, etc. »
LES SAUVETEURS
On nous signale la belle conduite de M. Deschennes, confiseur à Brest.
Ce courageux citoyen s'est précipité un des premiers à l'eau et n'en est ressorti
qu'après avoir sauvé plusieurs personnes.
Rectifions aussi une petite erreur.
Nous avons dit que le sieur Gallou avait procédé à plusieurs sauvetages.
C'est Jallu qu'il fallait lire.
M. Auguste Jallu, qui habite rue Duquesne, 6, a failli être victime de son dévouement
en sauvant la petite Marie Keraudren, âgée de dix ans, demeurant, 10, rue Bruat, en Saint-Martin.
Avant cette enfant, M. Jallu avait sauvé déjà plusieurs personnes.
POUR LES VICTIMES
Le mouvement créé en faveur des victimes s'accentue.
De tous côtés, les listes de souscriptions se couvrent
de signatures.
Pendant toute la journée d'hier, nos bureaux ont été littéralement envahis par les personnes désireuses de contribuer
à cette œuvre de solidarité.
C'est d'un bon augure pour le résultat.
On pourra voir, par la deuxième liste que nous publions plus haut, que l'on ne fait pas appel en vain aux sentiments
de la population, brestoise.
Toujours prête à secourir l'infortune, elle donne sans compter.
Les représentants des pouvoirs publics, tous les premiers, se sont préoccupés, du moyen de venir en aide,
de leur côté, à Mme Bondon et à ses enfants.
M. le sous-préfet et M. le maire de Brest, ont demandé au préfet du département, pour la malheureuse veuve,
un bureau de tabac.
Par télégramme, M. le préfet a répondu en invitant à constituer sans retard le dossier de la demande,
qui sera soumise à la commission des bureaux de tabac, lors de sa première réunion.
Nous croyons pouvoir assurer qu'une fois la demande admise par la commission,
l'administration réservera à Mme Bondon le premier bureau vacant.
Tout le monde tient d'ailleurs à faire son devoir.
Les directeurs des spectacles forains établis sur la place de la Liberté tiennent à ne pas rester en arrière.
Ce soir, samedi, à huit heures précises, le Musée vivant donne
une représentation au bénéfice des victimes de la catastrophe.
C’est là une belle occasion pour ceux de nos concitoyens
qui ne connaissent pas cet intéressant spectacle d'y assister,
et pour les autres d'y retourner.
Toujours ce soir, et tour le même objet, M. Gaston Brun,
maître lutteur, offrira une séance tout entière.
Avec une si intéressante destination donnée à la recette,
tout le monde voudra assister aux toujours amusantes péripéties
de la lutte à main plate, de la boxe et du chausson.
Faire le bien en s'amusant, n'est-ce pas un peu l'idéal ?
P-S. — Nous rappelons à nos lecteurs que divers objets, et notamment un sac contenant une certaine somme d'argent, trouvés en mer, sur le lieu de la catastrophe, ont été déposés au poste de police du port de commerce.
Source : La Dépêche de Brest dimanche 29 juin 1890
L'INSTRUCTION.
Les derniers devoirs rendus aux victimes de la catastrophe de Saint-Jean, l’émotion causée par les obsèques
un peu calmée, l'établissement des responsabilités semble s’imposer davantage.
Le parquet, qui l'a parfaitement compris, pousse l’instruction avec la plus grande activité.
De nombreux témoins ont été entendus hier par le juge d'instruction.
L'affaire est classée sous le n° 1020.
L'inculpation est ainsi libellée : Homicides et blessures involontaires.
Quant au rapport de l'ingénieur commis pour l'expertise des matériaux, il ne sera pas déposé avant quelques jours.
Les conclusions de ce document paraissent en effet, liées à l'audition des témoignages dont nous parlons plus haut.
Dans tous les cas, une solution ne saurait tarder à intervenir.
CHEZ MADAME BONDON
Tandis que la justice poursuivait son œuvre, MM. Cothereau,
sous-préfet, et Delobeau, maire de Brest, se rendaient hier matin chez la veuve de Bondon, rue Graveran.
Cette visite, outre l'expression des sentiments de condoléance
des deux magistrats, avait pour but de donner à la malheureuse femme toutes les indications nécessaires à la fourniture
des pièces pour l'obtention de son bureau de tabac.
M. Cothereau a longuement expliqué à Mme Bondon la marche
à suivre et l'a assurée de son concours le plus dévoué.
M. Delobeau lui a aussi déclaré que les sympathies
de la municipalité ne lui feraient pas défaut.
Notre administrateur. M. Géhin, s'est, de son côté,
fait un devoir de visiter la jeune femme et de lui témoigner
de vive voix nos regrets.
Louis Arthur Delobeau
Maire de Brest
Au cours de la conversation, Mme Bondon lui a donné des détails que nous ne pouvons passer sous silence,
car ils précisent plus qu'on ne l'a fait jusqu'ici la belle mort du brave quartier-maître.
DERNIÈRES PAROLES DU QUARTIER-MAÎTRE
Au moment de la catastrophe, Mme Bondon était avec son mari et deux enfants.
Tous quatre tombèrent à l'eau.
Mme Bondon, sauvée par M. Croguennoc, qui a également retiré de l'eau deux autres personnes,
voulut arrêter son mari.
Celui-ci refusa.
À son cinquième sauvetage, la pauvre femme le voyant fatigué et craignant pour sa vie,
lui demanda avec insistance de ne pas la quitter.
« Tant que j'aurai une goutte de sang dans les veines, répondit Boudon, je ferai mon devoir. »
Cette belle parole fut la dernière qu'il prononça.
Elle se passe de commentaires et montre combien celui qui dort maintenant son dernier sommeil
avait le sentiment du dévouement à ses semblables.
LES SAUVETEURS
Suite du chapitre des sauveteurs.
Le patron Herrau, du Saint-François, à M. Le Roux, s'est porté un des premiers sur les lieux au moyen d'une embarcation et a réussi à sauver quinze personnes.
M. Mével, maître de port, a sauvé à lui seul quatre personnes.
M. Troussey, entrepreneur de lestage, à Brest, port de commerce, a également sauvé six personnes.
En accomplissant cet acte de dévouement, M. Troussey, qui en est à son cinquième sauvetage,
a été blessé assez grièvement à la cuisse.
M. Le Quellec (Francois), ouvrier menuisier au port, a sauvé sept à huit personnes,
parmi lesquelles un enfant de trois ans et demi dont, le père affolé criait :
« Sauvez mon enfant ! »
Il convient enfin de remercier M. Besnard, armateur, qui a bien voulu mettre à la disposition des familles inquiètes,
et cela à titre gracieux, son bateau le Mousquet pour servir à la recherche des victimes.
POUR LES VICTIMES
Est-il nécessaire d'insister une fois de plus sur l'empressement de chacun à concourir à la souscription ouverte pour les victimes ?
Les chiffres sont, en cette matière, la meilleure des éloquences.
La liste que nous publions en première page et qui n'est que
la troisième, indique suffisamment l'effort de tous.
Mais il ne faut pas s'arrêter en si beau chemin
et compléter l'œuvre commencée.
1911
Rue du quartier-maître Bondon
Brest Recouvrance
Que ceux qui n'ont pas encore souscrit se hâtent et qu'ils se disent bien qu'il n'y a pas de trop faible offrande.
Les petits ruisseaux font les grandes rivières et dans la balance de la solidarité,
les gros sous pèsent autant que les pièces d'or.
Il y a, d'ailleurs, mille manières de donner, et la moins intéressante n'est certes pas celle qui se fait
sous la forme d'un spectacle à bénéfice.
La soirée d'hier l'a bien prouvé.
Le directeur du Musée vivant et M. Gaston Brun, maître lutteur,
ont fait du produit de leur première séance leur part à la souscription que nous avons ouverte.
Ils nous en ont versé le montant intégral, qui figure parmi les sommes que nous avons recueillies hier
et qui indique que les spectateurs n'ont pas hésité à répondre à leur louable initiative.
C'est donc le cas ou jamais de crier bravo aux impressarii de la place de la Liberté,
car ils ont fait coup double en amusant et en contribuant à adoucir, dans la mesure du possible,
les tristes conséquences d'une catastrophe dont le souvenir sera longtemps
encore dans toutes les mémoires et dans tous les cœurs.