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La légende de Locmajan

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Hurkan

Décidément rien n'allait plus au gracieux monastère

de Locmajan en Plouguin.

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Deux cuisiniers l'autre jour, au lieu de préparer la soupe,

s'en étaient allés courir la campagne.

Un autre, réputé sérieux, chantait l'autre soir,  une "sône " d'amour.

Même parmi ceux qui se livraient à l'étude des Saintes Écritures éclataient de violentes querelles.

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Le bon Saint Majan, qui avait pourtant une longue expérience,

n'y comprenait rien.

Il sentait qu'une sorte de raz-de-marée diabolique menaçait son monastère, que Paolig le démon s'était faufilé dans l'enceinte sacrée.

 

Où se cachait-il ?

 

Pour y voir clair il fit appel à un aveugle dont la sainteté s'était déjà manifestée en maintes circonstances dans tout le pays du Léon :

Saint Hervé.

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Paolig en avait une peur terrible.

Il avait dû renoncer à le troubler dans son ermitage de Lanrivoaré.

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Yann Lesacher ( pseudonyme : YAL )

Le cantique si mélodieux, si rempli de confiance en Dieu, « Jezuz, pegen braz ve » composé et chanté de façon suave par le barde aveugle, provoquait chez le prince des ténèbres des rages de fureur.

 

Saint Hervé répondit aussitôt à l'appel de son ami Saint Majan.

Il était bien plus fort que le sourcier de Kerlumbarz, Saint Hervé !

Pas besoin de baguette ni de pendule pour déceler sur-le-champ que Lucifer était là, au monastère,

sous forme humaine.

 

Le saint aveugle, rempli de lumière divine, aurait bien pu foncer tout droit sur Paolig.

Mais c'était un malin, Saint Hervé, comme tous les vieux saints de chez nous.

Avant de chasser le démon il valait mieux constater, pour mieux les réparer, les dégâts causés par lui dans les âmes.

 

Saint Hervé se fit présenter un à un tous les habitants du monastère.

Dès qu'il se rendit compte qu'il était menacé d'être pris au piège, Hurkan, qui s'occupait des vaches,

voulut sortir sous prétexte d'aller voir les bêtes.

Le portier lui fit connaître les consignes formelles interdisant absolument toute sortie.

Hurkan essaya de se cacher dans un tas de bois, mais un loustic de moine le dénicha,

l'amena devant Saint Hervé qui avait interrogé tous les autres.

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« Je l'ai trouvé caché dans un tas de bois ».

« Tu mens, je suis allé prendre de quoi cuire le podad et la meule de fagots s'est effondrée ».

 

« Qui es-tu ? » lui demanda sèchement Saint Hervé en se caressant la barbe.

 

« J'ai nom Hurkan. Je suis natif d'Hibernie.

J'ai quitté mon beau pays pour aider les moines dans l'évangélisation de l'Armorique.

Je leur rends de grands services. Je suis charpentier, maçon, serrurier, bon pilote.

Ici, on n'a pas, hélas ! reconnu mes hautes capacités et on m'a chargé des douze vaches ! »

 

« Eh ! bien, lui lança d'une voix forte Saint Hervé, puisque tu es si habile et si universel,

imprime du doigt le signe de la croix là, sur le pavé, et adore Jésus-Christ crucifié ».

 

Hurkan fit un bond en arrière, voulut prendre la fuite.

Saint Hervé, l'aveugle, voyait très bien les êtres surnaturels.

D'un bond, lui aussi, il fut sur Hurkan, le terrassa...

 

« Avoue ! Avoue !

C'est toi le suppôt de Lucifer, c'est toi qui sèmes ici la division, le désordre, le mépris de la règle,

de l'amour fraternel... »

 

Les moines, tous les habitants du monastère, accoururent.

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Hurkan, debout, les yeux pleins de flammes de l'enfer, hurla :

« Oui, C'est moi qui ai combattu ici l'esprit de l'Évangile, c'est moi qui ai mis dans le cœur des moines, le doute,

le mépris de leurs supérieurs, la méfiance à l'égard des autres, la haine.

J'ai essayé par deux fois de mettre le feu aux granges.

Mon action s'est étendue à l'extérieur.

C'est moi qui sème la discorde dans la région de Lokmajan, c'est moi qui ai poussé le meunier de Tanné à quitter

sa femme, c'est moi qui ai signalé à mon patron des enfers, la beauté extraordinaire, si pure de Mona de Meznaod.

C'est sur mes indications qu'il a essayé de l'emporter.

Vous tous qui travaillez pour étendre la foi à celui qui est mort sur la Croix, tous et toi surtout l'aveugle qui le chantes

si bien, je vous hais ! »

 

Des moines bien bâtis voulurent se jeter sur lui, l'étrangler.

« Non, leur dit Saint Hervé.

Mettez-le simplement à la porte du monastère... »

 

Mais le portier avait sonné le tocsin.

Puisqu'on le sonne pour le feu, on peut bien le sonner quand on découvre celui qui entretient le Feu éternel !

Tous les habitants des villages voisins accoururent.

Ils se précipitèrent sur Hurkan, l'entrainèrent jusqu'au nord de Trouzilit.

Là, du haut de la falaise ils le précipitèrent dans l'Aber-Benoit.

Il y eut alors un fracas épouvantable, un éclair fulgurant, une sorte de tremblement de terre.

Un rocher sortit des entrailles de la terre.

 

Il existe toujours, noir, lugubre dans le chenal.

On l'appelle Roh an Diaoul : le rocher du Diable.

Les ans, les vagues furieuses, les marteaux des piqueurs ont essayé de l'entamer.

​

Rien à faire.

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Roh an Diaoul demeure intact toujours aussi sombre au-dessus des flots verts de la plus belle rivière du monde...

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Les pêcheurs de Tréglonou prétendent qu'au clair de lune ils voient souvent à son sommet un vieux hibou qui hulule : « Hurkan ! Hurkan ! »

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