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Fenêtres sur le passé

1939

Porsmoguer
Une maman est seule pour élever ses neuf enfants

 

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Source : La Dépêche de Brest 6 mars 1939

 

Au moulin de Porsmoguer, non loin de Trézien, dans un vallon désert et marécageux, vit une famille luttant à la fois contre la misère et le désespoir

 

Aujourd'hui, le moulin est arrêté.

La petite exploitation tombe en ruines.

 

Quand nous arrivons chez Mme Louis Caradec, un enfant se présente à nous.

Il veille deux de ses frères et deux de ses sœurs.

 

Les chiens qui gardent la porte aboient et tirent sur leurs chaînes.

On imaginerait difficilement un lieu plus désert dans une nature plus rude.

 

La petite maison dans laquelle vit la famille a été construite voici bien longtemps à côté du moulin à eau qui, aujourd'hui ne marche plus, ou presque.

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— Maman, nous dit l'aîné, Jean-Louis, né le 11 novembre 1925 à Plouarzel, est partie ce matin au marché de Saint-Renan pour vendre un coq.

Alors, c'est moi qui surveille ceux de mes frères et sœurs qui ne vont pas à l'école...

 

Et l'enfant d'ajouter:

 

— Je n'ai que 13 ans, mais il faut bien que j'aide maman dans son travail, car papa n'est plus ici.

Vous savez, il y a beaucoup de choses à faire chaque jour et l'on ne peut pas abandonner la maison...

 

Jean-Louis a cinq frères et quatre sœurs.

Après lui, il y a en effet François-Marie, né le 26 février 1927 ;

Anne-Marie, née le 9 août 1929 ;

François-Jean, né le 13 novembre 1930 ;

Marcel-Jean, le 28 avril 1932 ;

Anselme, le 26 avril 1933 ;

Marie-Jeanne, le 6 octobre 1934 ;

Nicole, le 10 février 1936 ;

Marie-Jeanne-Louise, le 24 juillet 1937.

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Nous entrons dans cette maison désolée par la misère.

Cependant, tout est propre et bien tenu.

Les portes des lits-clos sont tendues d'un drap blanc.

On reconnaît tout de suite ce souci de fierté qui donne à la maman l'énergie qu'il faut pour lutter encore.

Mais dans la grande cheminée le feu est éteint.

 

La dernière-née, Marie-Jeanne-Louise, est assise dans son petit berceau de bois, posé sur le banc d'un lit-clos.

 

Jean-Louis, l'aîné, qui nous a accueillis, peigne les cheveux, débarbouille les figures, ajuste les vêtements.

C'est le « petit papa » de la maison.

On comprend bien alors pourquoi son regard d'enfant est déjà si sérieux, pourquoi aussi il n'est pas timide comme les petits qui l'entourent...

 

Au mur, nous voyons un certificat de bonne conduite, précieusement encadré.

C'est celui du père de famille, le canonnier de 1ère classe Louis Caradec, né le 15 mai 1901 à Guissény, et qui servit au 1er régiment de D. C. A.

 

Le papa n'est plus là.

Sa raison s'en est allée, sous le poids de trop de chagrin, sous le faix de trop d'inquiétudes.

C'était un homme sérieux et travailleur, courageux, un homme estimé de tous.

Il a dû être conduit, voici près d'un an, à l'asile de Quimper.

 

Jean-Louis est bien près de pleurer quand nous évoquons devant lui le souvenir de son père, mais il a assez d'énergie pour se maîtriser.

 

Rarement nous avions connu une misère aussi digne et si jalousement cachée.

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Ce que nous dit Mme Carader Porsmoguer.jpg

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Par les chemins boueux, nous quittons la petite ferme pour rejoindre le bourg de Trézien,

car c'est là que Mme Caradec doit descendre de l'autocar qui la ramènera de la foire de Saint-Renan.

 

Mme Caradec, née Marie Menguy, n'a que 35 ans.

Elle est accompagnée de l'un de ses enfants.

Une coiffe blanche cerne son visage au regard vif.

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— Je me suis mariée, nous dit-elle, voici 14 ans.

Mon mari avait ce petit moulin que vous avez vu et qui servait surtout à moudre de l'orge.

 

Un jour, la machine, usée, cessa de tourner...

Nous n'avions pas l'argent nécessaire pour faire procéder aux réparations indispensables.

 

Le moulin devint silencieux.

Mon mari, qui est un travailleur consciencieux, devint neurasthénique.

Il nous arrivait souvent de le trouver pleurant devant son impuissance à subvenir aux besoins de tous les petits...

 

Pourtant, nous étions encore à peu près heureux quand le malheur arriva.

 

Maintenant, je suis seule pour faire grandir toute notre nichée...

 

Mme Caradec précise qu'elle perçoit une allocation de la commune de Plouarzel, mais elle ne peut évidemment pas lui permettre d'élever une famille aussi nombreuse.

 

— Je ne peux pas porter grand'chose au marché, poursuit Mme Caradec, car nous devons vivre sur le produit de notre petit champ.

J'ai heureusement une vache qui me sert bien pour les petits et aussi une génisse que je vendrai dès que je le pourrai.

 

Plusieurs personnes charitables se sont intéressées au sort de cette famille particulièrement intéressante.

La « Dépêche de Brest et de l'Ouest » ouvre une souscription en faveur de Mme Caradec et de ses neuf enfants,

qui verront ainsi renaître un peu de joie dans ce foyer qu'ils aiment.

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Source : La Dépêche de Brest 31 mars 1939

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