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Fenêtres sur le passé
1943
Les étapes de Sérusier en Bretagne
Source : La Dépêche de Brest 16 avril 1943
Auteur : Jean Guibal
La Bretagne a contracté une immense dette de gratitude envers Sérusier, homme qui a répandu tant d'idées dans le monde des peintres,
une de ces idées essentielles et enseignée par lui avec une extraordinaire efficacité étant que la péninsule armoricaine constitué le climat
le plus propice à l'épanouissement des âmes d'élite.
« Les Bretagnes sensibilisent » a écrit André Chevrillon.
Telle est aussi, dans un domaine plus strictement pictural,
la doctrine qu'a défendue Paul Sérusier lorsqu'il a orienté vers la Bretagne tant de jeunes artistes hésitant sur la tendance à donner à leur vie.
Sérusier, lui-même, qui était un homme du Nord, avait été complètement envoûté par notre province ;
il ne concevait pas que la peinture fût possible en dehors
des influences bretonnes.
Voilà, n'est-il pas vrai ? une déclaration d'amour qui nous fait honneur
et il conviendrait, n'est-ce pas ? que tous les Bretons prissent la résolution de lire l'étude si pénétrante sur la vie et l'œuvre de Sérusier
que Maurice Denis vient de joindre à une réédition de
l'A. B. C. de la peinture parue ces jours derniers chez Floury ;
plusieurs ainsi se découvriraient sans doute des raisons nouvelles d'aimer leur pays natal.
C'est à Morlaix qu'est enterré Sérusier (un peu par hasard d'ailleurs,
car il y fut terrassé dans la rue par une crise cardiaque, alors qu'en 1927,
allait voir sa femme en traitement dans le voisinage de cette ville).
Mais c'est à Châteauneuf-du-Faou, où il possédait une maison,
qu'il a produit ses toiles les plus caractéristiques ;
là, le paysage finistérien et l'âme de Sérusier ont à tel point réagi
l'un sur l'autre qu'il m'est impossible de les dissocier et de repenser
à Sérusier sans le revoir tel qu'il apparaît dans le portrait par lui-même
que possède Maurice Denis, avec sa barbe broussailleuse et roussâtre
de mystique au cœur pur, se détachant sur un tapis des champs bretons dont le dessin tendrement bigarré descend vers la rivière que domine
un svelte peuplier.
Ce ne fut pourtant pas par Châteauneuf-du-Faou qu'il entreprit
sa découverte de la Bretagne, mais par Pont-Aven, où il avait rencontré Gauguin qui allait le bouleverser pour toujours en lui révélant qu’un peintre ne doit pas chercher à copier la nature, mais à en évoquer
le souvenir en imaginant par des moyens techniques des « équivalents » aux sensations éprouvées devant les jeux de la lumière sur les choses.
C'est à la pension Gloanec qu'allait prendre naissance vers 1887
le mouvement que les uns ont appelé néo-impressionnisme,
d'autres synthétisme, d'autres encore néo-traditionnisme et qui était appelé à transformer les conceptions des peintres dans le monde entier.
Ce n'était pas d'ailleurs à Pont-Aven que Gauguin et Sérusier étaient destinés à réaliser les premières grandes œuvres où se concrétiserait
leur idéal ;
éprouvant le besoin de s'isoler pour épurer leur pensée, ils se rendirent dans un village voisin, au Pouldu, où l’auberge de Marie Poupée
allait marquer la deuxième étape de leur évolution.
Au Pouldu aussi les voies des deux amis allaient se séparer.
Plus violent de tempérament, Gauguin, que ne cessaient de consumer
ses hérédités sud-américaines, devait bientôt partir pour Tahiti,
afin de s'y enivrer de visions plus hautes en couleur ;
vers ce qu'il nommait « le pays du mystère », il essaya d'entraîner Sérusier.
Mais celui-ci, à l'exubérance de la végétation exotique,
préférait les « beaux gris » de notre occident avec leurs dessous nuancés dont le charme s'insinue avec lenteur dans les prunelles des regardants.
Il refusa de quitter la Bretagne et un tableau de lui, dont le volume richement illustré de Maurice Denis nous fournit une agréable reproduction, nous fait voir Gauguin invitant du geste son compagnon
à le suivre vers les pays de l'éternel été, tandis qu'assis sur le bord
de la route, Sérusier continue de méditer sur la tâche qu'il s'est promise
et que toute une vie, il le sait, ne parviendra pas à remplir.
Une fois Gauguin embarqué, Sérusier alla s'installer au Huelgoat,
où il passa les années 1891, 92 et 93.
« Je trouve toujours le Huelgoat plus beau — écrit-il alors. —
Je vis dans une chambre, donnant sur l'étang, que J'ai louée pour atelier.
Au mur mes toiles et de nouvelles gravures japonaises ;
sur ma table « Louis Lambert » dont je lis une page avant de travailler ».
« Je me sens — écrit-il dans une autre lettre — de plus en plus attiré
par la Bretagne, ma vraie patrie, puisque j'y suis né de l'esprit. »
C'est dans la forêt du Huelgoat qu'Henry Bataille, dans sa préface
à « La Lépreuse », dit alors l'avoir rencontré chaussé de lourds sabots
« sorte d'ascète ou de satyre à la barbe fluviale ».
Mais la mère de Sérusier mourut subitement au Huelgoat
pendant une visite qu'elle était venue faire à son fils.
Ce pénible événement « rompit — dit M. Denis — le charme qui y avait retenu le peintre ».
Il voulut une autre solitude et c'est alors qu'il choisit Châteauneuf,
auquel il devait rester fidèle jusqu'à la fin.
Je souhaiterais qu'un jour ce devînt une coutume parmi les peintres bretons et même parmi les peintres qui tout simplement viennent œuvrer en Bretagne que de pèleriner à travers les bourgs où a séjourné Sérusier
en achevant leur voyage par une longue pause à Châteauneuf-du-Faou, petit ville délicieusement dénuée de prétention avec,
insi que dit Maurice Denis, « sa fontaine à plusieurs becs comme
celle des villages alpestres ».
Non seulement, ils y contempleraient sous leurs aspects réels
tous les motifs dont s'est inspiré l'artiste pour ourdir ses prestigieuses tapisseries en recourant à ses pinceaux au lieu des navettes habituelles.
Mais, des œuvres mêmes de Sérusier, ils pourraient en admirer encore
à Châteauneuf ;
les murs de ses chambres, du parloir jusqu'à la salle à manger
sont tous ornés de panneaux décoratifs ;
quant à l'église, des fresques, malheureusement rongées déjà par l'humidité, rappellent le goût du maître pour l'art français du Moyen-Âge.
À Châteauneuf, il est vrai, il n'est pas de monument funéraire à la gloire
du magicien, mais il y sera néanmoins possible au passant de s'incliner
sur une tombe de peintre, membre aussi de l'École de Pont-Aven ;
nous voulons dire Armand Séguin que Sérusier avait généreusement appelé près de lui quand Séguin était déjà gravement malade ;
de Séguin, Sérusier adoucit fraternellement les derniers mois d'agonie
sur cette terre bretonne dont la beauté était, ici-bas, pour Sérusier
comme pour Séguin, la plus magnifique préfiguration de la splendeur absolue qu'il ait jamais été donné pour des êtres humains de tenir
sous leurs regards enthousiastes.
Paul Sérusier
André Chevrillon
Paul Sérusier
1906 - L'adieu à Gauguin
Louis Lambert
Balzac
Intérieur à Pont Aven
Paul Sérusier
Portrait de Paul Sérusier
George C. Michelet
Bois Sacré
Paul Sérusier
Talisman
Paul Sérusier