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Fenêtres sur le passé

1942

Quimper
par François Ménez

 

1942 - Quimper.jpg

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Sources : La Dépêche de Brest 2 septembre 1942

 

Les pluies de la mi-août ne restent jamais au ciel

 

Ce dicton d'Auvergne, qu'un ami corrézien me rapportait l'autre jour, est aussi vrai dans la Bretagne maritime, en particulier celle de Quimper.

Ce mois d'août en aura donné une preuve nouvelle.

Mais entre deux tramées de crachin, qui sentent la mer et l'automne, Quimper réserve des heures de soleil attiédi, d'une mélancolie radieuse, où ses pavés lavés, comme le fit remarquer Marie-Paul Le Guennec, ont un chatoiement d'arc en ciel.

 

Jamais Quimper n'est aussi doux, ni tendrement lumineux qu'après ces averses de l'arrière-été.

Tout a été dit de la poésie de la ville, de sa cathédrale, de ses vieux murs et de ses toits gorge de colombe, nacrés par les premières pluies.

Mais où ce charme, si proprement cornouaillais, apparaît avec le plus d'intensité, c'est dans les verdures qui cernent la ville, et la pressent, descendant en fraîches coulées les pentes des collines, se glissant au creux des vallées de l'Odet et du Stéïr.

 

Ce qui me plaît en toi, Quimper de Cornouaille,

C'est ton cœur paysan sous tes airs de cité.

 

Cet attrait virgilien de la ville, Anatole Le Braz l'avait parfaitement saisi.

Et l'on aime à retrouver les impressions du poète, dans les promenades qu'il dût faire si souvent aux environs immédiats de Quimper, vers Kerfeunteun et l'Eau-Blanche, si joliment nommée, blanche du remous et de l'écume attardée des cascades, vers Locmaria et Kergoat-al-Lez.

 

Les visiteurs qui n'emportent qu'une image sommaire de la cité ne savent pas le charme de ces petites routes sinueuses, de ces Karn qu'il ne faut point traduire par « garenne », comme parfois on l'a fait à tort.

 

Je prenais à ce propos une leçon d'étymologie bretonne en gravissant, l'autre soir, un de ces chemins du Frugy qui grimpent Jusqu'à Crec'h Maria, pardessus les toits des faïenceries.

Et celui qui me la donnait, c'était le doux M. Le Seac'h, professeur de breton et éleveur en pots

de drosères « de roselis : rosée de soleil » plantes carnivores étiolées loin du marais natal de Poulguinan ou Portzmeillou, et qui n'ont plus la force, pour l'édification des curieux qui les viennent visiter, de se refermer sur les mouches offertes en festin.

 

Le Frugy est pour les Quimpérois eux-mêmes, qui hésitent à gravir ses pentes, un monde à demi-inconnu, un bois sacré de la poésie et de l'amour où, passé la trentaine, on ne s'aventure que par nécessité.

On se contente de regarder d'en bas, du Champ de Bataille ou des terrasses du Parc, sans avoir le courage de l'explorer.

Et cependant, que de surprises et de découvertes, et de belles musiques aux jours de la saison venteuse vous réservent ses allées !

Un rêve de poète impécunieux, au soir de sa vie ce serait de devenir un jour le conservateur du Frugy, comme Durocher s'érigea conservateur des forêts d'Ouessant.

 

Mais ici, la forêt existe en vrai, avec ses longues allées, et les colonnades de troncs d'ormes et de hêtres, et ses silences mystérieux coupés de cris de bêtes et de vents.

La ville, on la devine à peine, entre les branches, et, pour peu qu'on cherche bien, avec ses plus curieux visages :

vieux toits écaillés, lucarnes, cheminées d'où monte le tire-bouchon des fumées bleues, arcs-boutants, flèches,

abat-sons de la cathédrale, et l'arrière de la Préfecture, bien plus savoureux que le devant, et, au loin, à l'arrière-plan, étirés vers Pluguffan et Plomelin, des faubourgs aux maisons blanches, chantant dans le vert des prairies.

 

Le Frugy, monde inconnu, mais qui, pour ceux qui l'aiment, n'a point de secrets.

M. Le Seac'h en a pénétré la vie cachée, a découvert dans ses sentiers abrupts des traces de très vieille histoire : racines de murailles antiques brique brûlée de poteries gallo-romaines.

 

Et par-dessus tout, mille chants d’oiseaux, et d'oiseaux inconnus fugitifs, qui ne vivent là que le temps de brèves amours : des sittelles, ou torche-pots, ou pics bleus, qu'on appelle en breton les torerik-kraou, et des rossignols de muraille, eostik-bail, dont le nom est plus doux que le cri.

Toute cette gent ailée fait là-haut un assez beau concert dont ne se doutent point ceux que ne tente pas l'ascension.

 

Et s'ils la tentaient, ils retrouveraient au sommet un monde de souvenirs.

Des lettres enlacées et des cœurs gravés dans l'écorce des vieux troncs.

Ainsi se rappelleraient-ils qu'en tel jour, telle année, en ces lieux, dans cette même musique de feuilles qui n'a pas changé, Maria Le Menn a aimé François Cozler et que Corentin a attendu Maryvonne.

 

Puis ils descendraient, le cœur gonflé de mélancolie, vers la ville et les places où la vie reprend ses droits :

le Parc et le boulevard, la Terre au Duc et cette si vieille rue d'un très archaïque quartier, plein d'un parfum d'autrefois, où j'écris ce soir et où, dans un jardin très clos couvert de l'ombre d'un palmier, deux oranges, grosses comme un poing d'enfant, essayent de mûrir.

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1942 - Quimper Roi Gradlon.jpg

© 2018 Patrick Milan. Créé avec Wix.com
 

Dernière mise à jour - Mars 2022
 

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