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Fenêtres sur le passé

1942

Ne souillez pas Argol !

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Source : La Dépêche de Brest 14 octobre 1943

 

Auteur : Youenn DIDR0 Pseudonyme de Yves Le Diberder

 

Argol, au fond de la Cornouaille, à l'écart dans une petite péninsule déjà écartée,

n'est pas sans doute une commune dont l'intérêt artistique soit immense.

La plus grande séduction de sa petite église semble bien venir de sa modestie.

À cette modestie de son sanctuaire on peut ajouter aussi une touchante atmosphère

de confiance.

Argol est en effet la paroisse où on dirait que chacun peut laisser sur sa chaise son livre

de prières ou son recueil de cantiques, jusqu'à ce qu'il en ait besoin dimanche prochain

ou le lendemain.

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Youenn DIDR0

Pseudonyme de

Yves Le Diberder

Je me souviens d'un soir de Pâques où, pénétrant dans l'église quand tous les offices étaient finis,

j'eus ainsi toute liberté d'étudier à loisir les cantiques bretons du diocèse.

Et j'avoue que cette confiance bretonne me sembla toute naturelle, bien digne de cette Bretagne bretonne

que j'ai connue, et que je crains de voir trop vite passer.

 

Toutefois, quand je parle de l'attachante modestie d’Argol, je parle du sanctuaire lui-même.

Avant d'y avoir pénétré et d'avoir constaté sa pauvreté relative (ou sa naïveté dans sa cossue décoration

à colonnes torses de l'autel nord), on a été vivement séduit par son clocher aigu de Cornouaille, de 1500 environ,

à crochets, à pinacles, à fenêtres multilobées, à haute chambre des cloches,

et ayant devant lui le célèbre arc de triomphe.

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En Kersanton (qui m’a paru, un jour de pluie, vaguement verdâtre

comme du bronze) ;

ayant perdu un bras mais retenant de l’autre son beau petit cheval massif qui ronge son frein, Grallon est là, débonnaire, ayant oublié les malheurs mérités de sa ville, et souriant vaguement dans sa barbe fleurie

à son bon peuple d’Argol, ainsi que je l’espère du moins, à nous autres aussi, ses admirateurs.

 

Or, son bon peuple d'Argol lui prépare un tour de sa façon.

 

L'ensemble architectural d'arbres et de pierres d'Argol était tout ce qui restait de bien en Bretagne

au pauvre roi de la Ville d'Ys.

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Car à Landévennec il n'a même plus de tombe, et sa statue de Quimper n'est qu'une statue de remplacement.

L'ensemble d'Argol était donc célèbre.

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Portant la date de 1659, celui-ci est une des créations

les plus déroutantes, les plus originales et les plus heureuses

de la Renaissance bretonne.

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Interrompant un mur d'enclos bas, percé de trois ouvertures dont deux échaliers, il remonte aux temps maintenant évanouis peut-être, où nul ne songeait à défendre les tombes contre les humains :

les défenses n'étaient que contre les bêtes.

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Et ce n'est pas cela qui déroute ;

ce qui étonne, c'est plutôt ce qui surmonte le grand arc d'entrée,

un curieux échafaudage de frontons, de clochetons carrés

à têtes arrondies, de niches, ensemble qu'on ne sait plus à quel art rattacher, et devant lequel se tient, sur une console qui avance,

la dernière des menues merveilles d’Argol, la plus sympathique

de toutes ces choses aimables, la touche ultime qui rend Argol incomparable :

La statue équestre du roi Grallon.

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Mais voilà, les sujets du roi Grallon n'ont qu'un souci relatif

de sa célébrité.

Ou du moins leur municipalité.

Celle-ci pense surtout que ses administrés ont des besoins,

et que ces besoins peuvent parfois être pressants.

 

Ils peuvent surtout être pressants, évidemment,

quand on a bu quelques verres de cidre avant d'arriver

à la messe, ou encore lors de ces beaux jours d'élections

dont nous avons eu l'imprudence d'oublier le charme.

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C'est du moins ce qu'on m'écrit.

Et à dessein on emploie le mot.

On m'annonce en effet que la municipalité d'Argol vient d'avoir l'idée triomphale de compléter par une « pissotière » l'ensemble artistique qui s'honore et s'achève de l'effigie la plus ancienne du plus populaire de nos rois.

Ensemble artistique et pieux à la fois.

 

« Nos ancêtres avaient une haute idée de la dignité et de la majesté de nos églises,

(écrivait en 1896 le chanoine Abgrall).

Voilà pourquoi ils ont voulu qu'à l'entrée de leurs cimetières, qui étaient comme le parvis de l'église,

il y eut une porte monumentale, une arcade triomphale sous laquelle devaient passer les paroissiens vivants et morts, comme passaient à Rome les généraux et les empereurs victorieux sous les arcs de triomphe

qui étaient érigés en leur honneur. »

 

« Ben oui », va répondre prosaïquement M. le maire d'Argol, « mais les vivants ont envie de pisser! »

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Vous allez peut-être me dire qu'il pourrait s'exprimer autrement ?

Mais s'il était homme à s'exprimer autrement, croyez-vous

qu'il mettrait son édicule évacuatoire si en évidence ?

On m'écrit qu'il l'installe bien en vue, contre le mur du presbytère

qui prolonge le mur du cimetière, alors qu'il suffirait de bâtir

le nouveau « monument » quelques mètres plus loin, pour trouver, contre l'autre mur du presbytère un emplacement en retrait bien mieux désigné.

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Mais ce déplacement, encore facile à faire maintenant que les travaux ne sont que commencés, M. le maire d'Argol voudra-t-il le faire ?

Ou bien nous faudra-t-il remuer la Presse de Bretagne,

puis la Presse de Paris ?

​

Devrons-nous rendre Argol célèbre d'une triste façon ?

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Youenn DIDR0

Pseudonyme de Yves Le Diberder

Et nous faudra-t-il constater que faute d'une autorité ferme et éclairée en Bretagne, d'une autorité bretonne,

d'un gouverneur, tout ce qu'auront fait les pouvoirs publics aura été de laisser salir l'ensemble d'Argol

de la même façon qu'ils ont laissé salir l'ensemble de Locmariaquer ?

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