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Fenêtres sur le passé
1942
Comment trois tonnes de beaux poissons
débarqués à Brest
deviennent inconsommables à Morlaix
Source : La Dépêche de Brest 24 juillet 1942
Nous avons dit, lundi, qu'une Importante quantité de poissons de fond :
Raies, plies, soles, congres, turbots, venant de Brest, était arrivée à Morlaix samedi matin.
Les ménagères se rendirent aussitôt aux halles, où l'on ne trouve habituellement que des crevettes grises, des moules, de petites araignées et, quelquefois, du congre.
Hélas ! Le poisson couché sur les dalles, fatigué par l'orage, avait si mauvaise mine, que personne n'en voulut.
Et il y avait pourtant là de magnifiques pièces qui, livrées la veille, auraient été vendues à très bon prix.
Par ordre des autorités, les tables furent vite débarrassées de ce poisson flasque, presque nauséabond,
qui fut placé dans la cour et transporté le soir dans un champ de Plourin-Morlaix, où il fut enfoui.
Que s'était-il donc passé ?
L'un des courageux pêcheurs qui avaient capturé ce poisson, M. Y. Guéguen, matelot à bord du « Maryvonne », de Saint-Guénolé-Penmarch, nous l'indique dans la lettre ci-dessous, qu'il nous prie d'insérer :
« Je reconnais, écrit-il, que le poisson expédié tardivement à Morlaix était « avancé ».
Mais à qui la faute ?
« Nos bateaux, portant un total de trois tonnes de poissons divers, péchés jeudi soir,
étaient à quai, à Brest, â 7 h. 30 du matin.
Hélas ! nous n'étions pas les seuls à avoir jeté nos filets.
Il y avait déjà trop de poisson dans cette ville et les mareyeurs refusèrent de prendre livraison de notre pêche.
Même insuccès auprès du service de répartition des halles et des autorités.
« Pendant toutes nos démarches, le poisson, débarqué par temps orageux, demeurait sur le quai, exposé à la pluie et au soleil et certains, que nous connaissons, riaient de notre malheur !
« Nous rendant compte du mauvais état de notre pêche, nous avons fait un tri et, sous les yeux d'ouvriers ébahis — auxquels nous n'avions même pas le droit d'offrir ou de vendre notre poisson — nous avons jeté à la mer environ
une tonne de congres, de plies et de soles.
« Nous avons demandé une voiture pour livrer à la population les poissons encore en parfait état.
Le service de répartition s'y opposa.
Beaucoup de ménages, de familles ouvrières furent ainsi privés d'un excellent repas.
Nous nous serions en effet contentés d'un bien faible bénéfice et nous aurions fait des heureux.
« Enfin, à 18 heures, on prit le reste de notre pêche, à ce moment parfaitement consommable.
Elle ne nous fut pas payée et n'arriva que le lendemain matin à Morlaix, après une nuit d'orage.
On sait le sort qui lui fut réservé.
« Et je répète en terminant :
« À qui la faute ?»
Je vous laisse le soin de conclure et de tirer de cette malheureuse aventure la leçon qu'elle comporte. »
Nous disons tout simplement que c'est un scandale et que tout pêcheur devrait avoir le droit de livrer le fruit de son labeur à la population sans avoir recours à un intermédiaire.