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Fenêtres sur le passé
1942
Brest, ville d'aventures
par Jean Guibal
Source : La Dépêche de Brest 22 septembre 1942
La Bretagne est le pays où Mac Orlan aime le mieux situer ses romans d'aventure et, en Bretagne, Brest est la ville où il préfère voir évoluer ses personnages, comme aussi évoluer lui-même, quoique la rue de Siam, si maintenant il s'y rend, doit lui paraître bien vide, sans le bon et fin sourire de notre Charles Léger, si tôt arraché à l'affection de ses amis après d'héroïques souffrances.
Plusieurs fois, j'ai pensé à Léger en lisant dans « l'Ancre de Miséricorde » (Emile-Paul, éd.), le roman brestois qu'a récemment publié Mac Orlan, les allusions à cette ile de Quéménès toute voisine d'Ouessant, sur laquelle Léger avait écrit ici-même des reportages extrêmement savoureux.
Qu'a donc Brest de si séduisant pour Mac Orlan ?
Les raisons de son affection pour la cité brestoise, le romancier nous les a détaillés dans ses divers livres, notamment dans Villes (NRF) qui contient tout un chapitre hallucinant sur notre port et dans la Maison du bon chien jaune (Crès) qui était comme une première ébauche de l'Ancre de Miséricorde.
Ce qui, dans Brest, plaît peut-être particulièrement à l'auteur du Quai des brumes (NRF), c'est que c'est une cité brumeuse car Mac Orlan se complaît aux jeux de la brume, cette « embellisseuse » comme disait Le Braz.
Les artifices de la brume, Mac Orlan les préfère à ceux que dispense la lumière chaude du soleil.
Mac Orlan
Méridional, Rostand a chanté les vertus de la lumière solaire « sans qui les choses ne seraient pas ce qu'elles sont ».
Tout comme son confrère en littérature aventureuse, Georges Simenon, le Nordique Mac Orlan préfère à la majesté du soleil et les incertitudes du brouillard et ce qu'il nomme « la lumière froide », celle qui troue brusquement les ténèbres : lumières des réverbères ou des projecteurs.
Cette lumière froide, il ne l'aime d'ailleurs que dans la mesure où elle est génératrice d'ombres fantastiques car, pour l'esprit complexe et romantique de Mac Orlan l'ombre d'un corps humain ou d'une maison, telle qu'elle est déterminée sur les pavés d'une ruelle par la lueur d'un réverbère ou d'une torche est chose plus belle et plus tentante que les objets véridiques eux-mêmes.
Ces clairs obscurs, c'est plutôt sur les dunes et sur les canaux du Nord que va les chercher Simenon (quoiqu'il les ait aussi trouvés à Concarneau) tandis que Brest demeure le quartier-général de Mac Orlan.
Simenon
C'est que Brest représente pour celui-ci davantage encore qu'une contrée de lumière froide et de brume ;
en avant de sa rade s'étend, de plus, tout le mystère de l'océan Atlantique ;
derrière Brest s'étend tout un arrière-pays celtique où fleurit la légende de la mort, où plane présence de l'Anaon.
Et puis, avant tout, Brest est la ville par excellence de l'aventure.
C'est comme tel qu'elle était apparue à Chateaubriand lorsque, errant sur les bords de la Penfeld, il entendait bruire à ses oreilles l'appel confus du Far-West.
C'est dans les rues de Brest qu'on lui montra Lapérouse et qu'il forma le projet d'être un jour « marin sur la mer » comme disent les paysans de Bretagne.
À quel point Brest est une ville d'aventure, je ne m'en étais jamais autant rendu compte que pendant les premiers mois de cette guerre où s'y sont succédé tant de troupes aux uniformes divers, tantôt embarquant, tantôt débarquant, mais toujours défilant par la rue de Siam, si bien que, chaque jour, on se demandait quels costumes nouveaux le flux allait nous apporter ou bien emporter vers le large.
Depuis lors, l'aventure s'est poursuivie pour Brest, aventure où les bombardements par avions ont tenu leur rôle, prouvant ainsi aux fervents de l'aventure que celle-ci peut comporter un élément de souffrance et de laideur.
Mais l'aventure est-elle encore l'aventure quand la laideur et la souffrance en sont devenues les caractéristiques essentielles ?
Simenon et Mac Orlan, ces deux maîtres du roman d'aventure, semblent, en effet, être arrivés (et louons-les de leur franchise désabusée) à cette conclusion que l'aventure est seulement respectable dans la mesure où elle est distincte de la réalité.
Je me souviens d’avoir entendu, il y a quelques années une captivante conférence de Simenon où il avouait n'avoir jamais écrit ses livres avec plus d'enthousiasme que lorsqu'il les composait en se référant continuellement au Dictionnaire Larousse sans avoir encore visité les pays magiques dont il entretenait ses lecteurs.
Il confessait que quand il a parcouru, plus tard, l'Asie et l'Afrique, il y avait surtout trouvé, en ce qui le concernait, la nostalgie des autobus et des boulevards parisiens.
L'aventure, pour lui, n'était donc belle qu'à l'état de désir et de rêve.
Or, il est frappant que ce soit aux mêmes réflexions amères que parvient Mac Orlan dans le livre si parfait de forme qu'il vient de nous présenter.
M. Burns, un des principaux personnages de l'Ancre de Miséricorde, pourrait être désigné comme l'aventurier malgré lui.
Pirate de son métier, il commet encore des crimes, en vertu de la vitesse acquise, mais sans y prendre satisfaction et au jeune Brestois, qui est supposé raconter l'histoire, il ne cesse de prêcher l'horreur de l'aventure quand elle aboutit à la réalité :
« Quand je te dis que l'aventure est une duperie et un danger pour les âmes les mieux trempées, je suis l'interprète de près de quarante années d'expérience...
L'aventure n'est qu'un métier violent. »
« J'ai cherché, dit-il encore, l'aventure sur toutes les mers du monde et je ne l'ai Jamais rencontrée belle et pure comme je l'imaginais.
On ne l'atteint jamais.
On passe le meilleur de sa vie à essayer d'étreindre un fantôme poétique...
Il y a plus d'aventure dans une partie d'échecs que sur toutes les mers du monde. »
II n'empêche que Simenon et Mac Orlan s'obstinent à adorer l'aventure tout comme nous l'adorons à travers leurs œuvres, où, avec eux, nous la contemplons irréelle parce qu'elle est presque toujours parée de brumes.
Aventure livresque que nous apprécions surtout parce que nous ne sommes pas contraints d'y participer de notre personne.
Les affaires a-t-on dit — c'est l'argent des autres.
Il serait peut-être encore plus juste de soutenir que l'aventure, ce sont les risques d'autrui.
Si on y réfléchit, Tartarin n'est aventurier que jusqu'au moment où il a pris contact avec les réalités de l'Afrique.
Les aventuriers intégraux, ce sont donc — résignons-nous à le reconnaître — les auteurs de livres et leurs lecteurs casaniers.
L'aventurier, dans l'histoire classique du dompteur et de l'Anglais, ce n'était pas le belluaire s'exposant chaque jour à être mangé par son lion, c'était l'Anglais le suivant de foire en foire dans l'espérance que le dompteur serait un soir dévoré.