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Fenêtres sur le passé

1941

Ouessant
Cours d'Assises pour un incendiaire

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Source : La Dépêche de Brest 4 avril 1941

 

Cette dernière audience de la 2e session des assises du Finistère est présidée par M. Prigent,

conseiller à la cour d'appel de Rennes, assisté de MM. Le Zant et Guédon, juges au siège.

 

Ministère public: M. Désiry, substitut ; défenseur, Me Paugam.

Huissier-audiencier : M. Kerloch, interprète, M. Goulaouic.

 

M. Chicard, greffier, donne lecture de l'acte d'accusation suivant :

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À sa démobilisation, en septembre 1940, le nommé Marcel Le Sin, marin de commerce,

vint résider chez sa mère, à Poulbrac, en Ouessant.

Le 17 novembre, il fit une scène à cette dernière, parce qu'elle refusait de lui donner de l'argent.

La dame Le Sin et ses deux autres fils, Jean et François, craignant les violences de Marcel,

allèrent passer la nuit chez une cousine.

 

Le lendemain matin, Marcel les rejoignit et leur demanda de revenir ;

il semblait plus calme mais déclara que si l'idée lui était venue de mettre le feu à la maison, il l'aurait fait.

Comme il semblait regretter son attitude, sa famille décida de l'accompagner.

En cours de route, Marcel les quitta pour passer au bourg, d'où il revint peu après, pris de boisson.

 

À la fin du déjeuner, vers 13 heures, il se mit en colère parce qu'on ne voulait pas lui donner

un deuxième verre de rhum, puis demanda dix francs à sa mère, sans en fournir la raison.

Sur son refus, il s'emporta à nouveau, menaçant de mettre le feu à la maison.

 

La dame Le Sin, apeurée, étant sortie pour aller prévenir le maire d'Ouessant, l'accusé la suivit pour discuter,

puis revint et demanda vainement de l'argent à son frère, tout en continuant à proférer des menaces d'incendie.

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Entre temps, il brisa la porte de l'armoire pour prendre la bouteille de rhum, dont il but une rasade.

 

Marcel Le Sin, étant entré dans un local attenant à la maison familiale et servant de cuisine,

mit le feu à un tas de fougères et de mottes qui se trouvait dans un coin de la pièce.

 

Son frère alla chercher un voisin, le sieur Le Noret, qui déclara à l'accusé :

« Laisse cela tranquille, on va éteindre le feu. »

 

Celui-ci répondit :

« Fais-le si tu veux. »

 

Le Noret et François Le Sin parvinrent à éteindre le feu avec quelques seaux d'eau.

 

Mais tandis qu'usant de la persuasion, tous deux essayaient d'éloigner l'ivrogne, celui-ci alla prendre dans l'armoire

de la maison principale un petit flacon d'essence qui lui servait pour son briquet, le déboucha,

répandit le contenu sur la fougère, craqua une allumette, que Le Noret parvint à éteindre, puis une seconde,

qu'il jeta sur le tas de fougères.

Celles-ci s'enflammèrent.

Les flammes se communiquèrent à des fagots d'ajoncs qui se trouvaient sur les poutres, puis à la toiture, qui fut partiellement détruite.

 

Sur la demande de Le Noret, Marcel Le Sin consentit toutefois à l'accompagner pour aller prendre une échelle,

puis à tirer l'eau, tandis que l'on tentait de combattre l'incendie.

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Photo : Dan Martin

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Il fut arrêté aussitôt par le maire et le garde-champêtre.

 

Au cours de l'information, l'accusé affirma n'avoir gardé, en raison de son état d'ivresse,

aucun souvenir de la scène qui suivit le repas.

Il n'a pas contesté, toutefois, les faits qui lui sont reprochés.

 

L'habitation principale put être préservée ;

toutefois, les dégâts dans le logis attenant s'élevèrent à 12.000 francs,

dont 8.200 francs (?) couverts par la police d'assurances.

L'immeuble appartenait à Mme Le Sin, qui l'avait acheté lors de la liquidation de la succession de son mari.

 

Les renseignements recueillis sur Marcel Le Sin sont, dans l'ensemble, défavorables.

Il est considéré comme ivrogne d'habitude et très violent.

Au cours de son service militaire dans la marine de l'État, il a encouru plusieurs punitions pour ivresse,

désordre à bord et menaces à ses supérieurs, qui ont entraîné la privation de son brevet de chauffeur,

puis son affectation aux sections spéciales de Calvi.

 

En 1930, il avait été acquitté comme ayant agi sans discernement, par le tribunal pour enfants et adolescents

de Brest, pour vol, et remis à sa mère.

 

En 1939, il a été condamné à cent francs d'amende avec sursis, pour vol et violences,

par le tribunal correctionnel de Dunkerque.

 

Examiné mentalement par M. le docteur Lagriffe, médecin psychiatre de Quimper,

l'accusé a été reconnu entièrement responsable de ses actes.

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Le président interroge l'accusé :

 

Marcel Le Sin reconnaît ses condamnations antérieures et ne conteste pas les mauvais renseignements

accumulés contre lui.

Il ne comprend pas pourquoi sa mère a peur de lui, il prétend ne jamais l'avoir menacée ou frappée.

 

Il avoue avoir commencé à boire alors qu'il était très jeune, ce qui lui a valu, lorsqu'il fut marin du commerce

et pendant son service dans la marine de guerre de nombreuses punitions et finalement un séjour

dans les sections disciplinaires.

 

Il conteste les dettes qu'il a contractées dans un café-restaurant de Dunkerque où, ayant fréquenté une femme de moralité douteuse, il a fait dans cet établissement pour 8 à 10.000 francs de dettes.

C'était à cette époque la grande vie, alors qu'il était un modeste employé sur le port.

 

Le Sin dit que s'il n'a pas travaillé depuis son retour à Ouessant, c'est faute de trouver un embarquement.

C'est pourquoi il vivait aux crochets de sa mère.

 

L'accusé reconnaît que, la veille de l'incendie, il était ivre, sa mère et son frère lui ayant donné de l'argent.

Il nie avoir déjà menacé de mettre le feu chez sa mère.

 

Quant aux mobiles qui ont occasionné son acte, il ne s'en souvient plus.

 

Après avoir rappelé que les dégâts causés par le feu ont été très importants,

le président rappelle aux jurés que l'ivresse n'est pas une circonstance atténuante.

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Le docteur Lagriffe, médecin psychiatre, a examiné l'accusé.

Il n'a aucune tare héréditaire et est entièrement responsable de ses actes.

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Le frère de l'accusé, François Le Sin, 28 ans, marin-pêcheur, se présente devant le tribunal en état d'ivresse

et est de suite, sur l'ordre du président, arrêté et conduit à la maison d'arrêt.

 

M. Désiry, substitut, lit sa déclaration lors de l'instruction.

François Le Sin affirme que son frère Marcel avait menacé plusieurs fois de mettre le feu à la maison.

 

Dans une autre déposition, François Le Sin maintient ses premières déclaration, il dit que c'est sur le refus de sa mère de lui donner de l'argent que Marcel a mis le feu, et que bien qu'en état d'ivresse, il savait ce qu'il faisait.

 

M. Désiry lit également la déposition de la veuve Le Sin, 66 ans, mère de l'accusé, qui, retenue près de son fils Jean, très malade, a été autorisée à ne pas se présenter à l'audience.

 

Dans cette déposition, la malheureuse mère donne de très mauvais renseignements sur son fils Marcel qui,

tout jeune, avait une mauvaise nature, un caractère difficile et qui bientôt s'adonna à la boisson.

 

Il se montra jaloux de son frère François dès le moment où celui-ci fut fiancé et ce serait une des raisons qui l'auraient poussé à mettre le feu à la maison.

 

Mme Le Sin affirme que Marcel l'a plusieurs fois menacée d'incendier son domicile et c'est sur son refus de lui donner dix francs qu'il mit ses menaces à exécution.

 

En résumé, Marcel fut toujours un mauvais fils dont elle avait peur.

 

L'accusé réfute toutes ces déclarations.

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Photo : Dan Martin

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Alain Le Noret, 57 ans, retraité la marine, voisin des Le Sin, a vu l'accusé entrer dans la maison

et mettre le feu à l'essence qu'il y avait répandue.

 

Le Noret ne put arrêter ce geste ;

il combattit l'incendie et Marcel Le Sin, regrettant à ce moment son geste, l'aida dans sa tâche.

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Après un très sévère réquisitoire de M. Désiry, substitut, et plaidoirie de Me Paugam,

Marcel Le Sin est condamné à 10 ans de réclusion et 10 ans d'interdiction de séjour.

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Photo : Hélène Prigent

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