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Fenêtres sur le passé

1939

La sardine abonde sur les côtes morlaisiennes
par Charles Léger

 

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Source : La Dépêche de Brest 1 avril 1939

 

Le 13 février dernier, les riverains de l'estuaire de la Penzé avaient une heureuse surprise.

Des sardines, par millions, sans doute poursuivies par leurs voraces ennemis, fuyaient la mer pour se réfugier dans la rivière.

C'était un grouillement inimaginable.

 

Mais ce devait être plus impressionnant encore lorsque les premières, arrivant aux abords du pont de la Corde, tentèrent de fuir l'eau douce pour retourner vers la mer.

Le banc était si long et si dense qu'elles se heurtèrent à celles qui les avaient suivies.

 

Et ce fut un bel embouteillage.

À la surface de l'eau, toute miroitante de reflets d'argent, c'était un bouillonnement sans fin.

 

L'affolement était tel que.de grandes quantités de poissons vinrent s'échouer sur la grève de Pors-Doun.

 

Bien vite la nouvelle était parvenue aux ports voisins.

Et de Carantec, Pempoul, Henvic, les pêcheurs s'empressèrent.

Mais ils devaient à chaque coup limiter leurs prises à la résistance de leurs filets. „ . .

 

Cependant, les barques s'emplissaient rapidement, à telle enseigne que l'une d'elles coula sous la charge.

 

Sur la rive, pour tirer parti de l’aubaine, puisque les sardines s'étaient échouées, on accourut avec des sacs, des brouettes, des charrettes et même des camions.

 

Il y en avait pour tout le monde.

Malgré cet empressement, le banc ne paraissait nullement amoindri.

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Le lendemain, le fait se renouvela.

Mais cette fois, les pêcheurs étaient en état d'alerte.

Il en était venu de Santec, de Sieck, de Moguériec et d'ailleurs.

Ils purent emporter des tonnes de sardines.

 

Pour écouler de pareilles quantités, les mareyeurs avaient dû s'organiser en hâte et après avoir dirigé le poisson sur les divers marchés de la région, en expédiaient à certaines usines du Sud-Finistère.

 

Et, depuis ce moment, on s'est mis à pêcher la sardine sur toute la côte de cette région.

Certains jours, les captures ne sont pas moins abondantes que les premières.

 

Aussi, une demi-douzaine de pinasses de Douarnenez sont venues s'installer dans le pays.

 

Déjà l'an dernier, à pareille époque, on avait pu faire, en baie de Morlaix, des pêches presque aussi considérables.

 

Néanmoins, le fait est rare.

Rappelons qu'à la suite de multiples et patientes observations, l'Office scientifique des pêches est parvenu à déterminer, dans ses grandes lignes, le mouvement des bancs sardiniers au cours de l'année.

 

En Atlantique, la sardine apparaît dans le fond du golfe de Gascogne vers Saint-Jean-de-Luz, dès le mois d'octobre et sa pêche se poursuit jusqu'en avril.

 

En mai, le poisson apparaît près d'Arcachon.

À la même époque, on le signale dans les parages des Sables-d'Olonne et de Saint-Gilles.

Puis il gagne progressivement vers le nord : l'île d'Yeu, Saint-Nazaire, Le Croisic, La Turballe.

 

Au début de juin, la sardine apparaît dans les eaux de Quiberon et de Belle-Isle ; puis vers Port-Louis, Concarneau, Le Guilvinec et Penmarc'h.

En fin de juin, elle se montre sur la côte ouest du Finistère : Audierne, Douarnenez.

Puis en juillet, plus au nord, vers Camaret et Brest.

Et ce n'est qu'en août, septembre et octobre qu'elle arrive sur la côte nord, vers Roscoff et en baie de Lannion.

 

Il s'agit là évidemment de la sardine de rogue, quelque peu différente de celle que l'on capture actuellement dans la région de Morlaix ;

néanmoins, il n'est pas coutume d'en rencontrer dans ces parages en cette saison.

 

D'ailleurs, on ne l'y poursuit plus guère en ces lieux ; depuis longtemps les pêcheurs recherchent les crustacés.

Jadis, ils tendaient des filets non loin de la côte et faisaient de telles captures qu'on édifia une conserverie sur l'île de Sieck.

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Mais cette pêche-là ne se pratiqua que de façon irrégulière.

Déjà Cambry note qu'elle avait été abandonnée en 1789.

Elle fut reprise cependant, avec le même succès qu'autrefois, et l'usine prospéra.

On l'abandonna de nouveau il y a une soixantaine d'années, pour la rouvrir encore pendant quelque temps avant la guerre, puis l'établissement ferma définitivement ses portes.

 

La sardine avait-elle disparu ?

Non point, mais les conditions économiques se sont tellement transformées, qu'il n'est plus possible d'assurer comme autrefois la marche d'un établissement industriel.

 

Tout d'abord, la grave question de la rogue arrêta la pêche.

Puis, lorsqu'elle reprit, l'usine, dont l'activité était limitée à la conserve des sardines, ne pouvait plus subsister.

Les bénéfices réalisés durant la trop courte campagne de pêche étaient loin d'être suffisants pour couvrir les frais d'une année entière.

 

L'éloignement de l'île des centres d'expédition, le renchérissement toujours croissant des prix de transport ne permettaient plus d'entreprendre la fabrication d'autres conserves.

Et ce fut la fin d'une industrie qui avait longtemps animé le pays.

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