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Fenêtres sur le passé

1939

La marraine du Richelieu

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Source : La Dépêche de Brest 11 janvier 1939

 

Le ministère de la Marine communique le télégramme suivant :

 

À la suite des propositions faites par le préfet maritime de Brest, et après examen par les directeurs des constructions navales et de l'artillerie navale de Brest, en liaison avec le service des œuvres sociales, le choix de M. Campinchi, ministre de la Marine, s'est porté sur Mme Mons pour être la marraine du navire de ligne « Richelieu ».

 

Mme Mons est mère de dix enfants de 3 à 19 ans.

Son mari, ancien combattant, ouvrier charpentier en fer, d'une grande valeur professionnelle,

travaille sur le « Richelieu ».

 

Parmi les noms soumis au choix du ministre figurent, dans l'ordre,

ceux de quatre autres mères de familles nombreuses :

 

Mme Le Goasduff, mère de neuf enfants ;

Mme Hélou, mère de huit enfants, dont le nom avait été, par erreur, annoncé comme celui de la future marraine ;

Mme Calvez, mère de onze enfants, et Mme Cuillandre, mère de neuf enfants.

 

Mmes Mons, Le Goasduff et Hélou sont femmes d'ouvriers des constructions navales ;

les deux autres, d'ouvriers de l'artillerie navale.

 

À toutes, à l'occasion de la cérémonie de la mise à l'eau, le ministre remettra un livret de caisse d'épargne.

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Nous nous sommes présentés chez Mme Mons pour lui annoncer l'heureuse nouvelle.

 

Mme Mons, née Marie-Françoise Le Bihan, âgée de 44 ans, et originaire de Landivisiau, loge au n° 5, cité Kérigonan, dans un appartement où règne la plus grande propreté.

 

Elle ne dissimule pas sa joie et répond aimablement à nos questions :

 

— Mon mari, Jean-François, qui est âgé de 42 ans, travaille comme charpentier-tôlier aux constructions navales.

 

— Depuis combien de temps est-il ouvrier à l'arsenal ?

— Depuis huit ans.

Nous étions auparavant à Landivisiau où il travaillait comme ébéniste.

Grâce à notre nombreuse famille il a pu entrer à l'arsenal et cela nous a permis d'envisager l'avenir avec confiance.

Mon mari est aujourd'hui sur le Strasbourg, qui est sorti pour essais.

Il apprendra la bonne nouvelle en rentrant.

 

« Je vous assure, monsieur, ajoute cette brave mère de famille,

que nous ne nous attendions pas à une aussi bonne nouvelle. »

 

— La joie n'en est que plus grande, madame, pour vous et votre famille.

 

Mais la porte vient de s'ouvrir.

Deux « moutards » frais et roses apparaissent.

 

— Ce sont Michel et Yves, nous dit Mme Mons.

Ils viennent de l'école.

Leur âge ? Michel, 5 ans et Yves, 3 ans.

 

Les deux bambins disparaissent dans la cuisine et reviennent peu après avec chacun une tartine

qu'ils mordent à pleines dents.

 

Voici maintenant Suzanne, 9 ans et Anne, 8 ans, qui sortent également de la classe.

 

— Et les autres, demandons-nous à Mme Mons ?

 

— Il y a ensuite par ordre croissant :

Marcelle, 11 ans ;

René, 12 ans ;

François, 15 ans, qui est entré à l'arsenal comme apprenti au mois de septembre ;

Joséphine, 16 ans ;

Jeanne, 18 ans et l'aînée Thérèse, 19 ans, soit en tout quatre garçons et six filles, tous et toutes en parfaite santé

 

Nous ne voulons pas abuser des instants de Mme Mons, qui a fort à faire avec cette marmaille.

Nous prenons congé d'elle, non sans lui avoir renouvelé nos très vifs compliments

 

Le bonheur qui lui échoit rejaillit sur son mari, ancien combattant et qui sur le chantier du Richelieu se fait remarquer par sa valeur professionnelle, son zèle et son rendement.

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Dix enfants autour de la table de famille, cité Kérigonan.

Dix enfants qui savent qu'ils sont à la veille d'un grand jour.

 

On ne peut se défendre contre un sentiment de douceur délicate quand,

brusquement on entre dans une vie si tendrement tissée.

 

Mme Mons est, sans l'avoir voulu, la marraine du Richelieu, le plus puissant navire de la marine française.

 

Tout sera prêt, tout est prêt. Il faut bien que tout soit prêt ce soir.

 

Dans la salle à manger, deux portraits, qui sont un hommage rendu par la piété filiale, sont accrochés au mur :

Le grand-père et la grand'mère.

 

Ils regardent les enfants, les dix enfants joyeux, et leur maman qui, ce matin,

représentera toutes les belles familles de France.

 

N'est-ce-pas la première fois que l'on unit au navire triomphant la grande famille des constructeurs obscurs ?

 

Mme Mons et ses grandes filles préparent tout ce qui sera nécessaire pour la journée mémorable.

Ses dix enfants assisteront à a cérémonie.

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Jim Sévellec

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M. Jean-François Mons, est aujourd'hui âgé de 46 ans. Il est né à Trézilidé, près de Saint-Pol de Léon.

Nous avons dit qu'alors qu'il était encore très jeune sa famille se fixa à Landivisiau, où il devint ébéniste.

 

— Quand la guerre éclata, nous dit-il, j'étais soldat à Vannes, au 28e régiment d'artillerie.

Au cours des opérations, nous avons connu de bien mauvais jours :

La Marne, la Somme, le Chemin des Dames, où je fus blessé à l'épaule droite.

 

Ce que M. Mons ne dit pas c'est qu'il fut cité à l'ordre de l'armée.

Mme Mons nous apporte le texte de cette citation glorieuse, précieusement renfermée dans un rouleau de carton que les petits n'avaient jamais vu :

 

La 4e pièce de la 25e batterie du 251e régiment d'artillerie, commandée par le brigadier Charrier ;

composée du maître pointeur Guïlloteau, des canonniers Jean-François Mons, Merarou et Hamon :

 

« Dans la nuit du 9 au 10 janvier 1917, les trois autres pièces ne pouvant tirer, a assuré à elle seule,

pendant une vingtaine de minutes tous les tirs demandés par l'infanterie, sous un feu intense de gros calibre ».

(7 juillet 1917).

 

— Et voyez-vous, dit M. Mons, la vie a repris son cours.

J'ai repris ma place.

Rien n'est changé, si ce n'est que nous avons un peu vieilli.

 

Mme Mons ne pense qu'à une chose :

Il faut que tout soit prêt...

Et dire que c'est demain !

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