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Fenêtres sur le passé
1939
Attentat contre la Préfecture de Quimper
Source : La Dépêche de Brest 28 février 1939
Les attentats terroristes continuent...
II a un peu plus de deux mois, le 18 décembre, vers 4 heures du matin, des vandales faisaient sauter, à Pontivy, la statue du monument commémorant la réunion de la Bretagne à la France.
Un acte analogue a été perpétré à Quimper dans la nuit de dimanche à lundi, un peu avant quatre heures.
La bombe, qui avait été placée dans l'ouverture d'un soupirail, au sous-sol de l'immeuble, éclata avec une violence inouïe.
Des vitres furent brisées, des portes arrachées ou déplacées.
Mais la pierre résista au choc de la déflagration.
Une teinte verdâtre, plus foncée dans l’embrasure, pâle et à peine perceptible sur le bloc qui forme la voûte du soupirail, marque l’endroit où l’engin fut placé en veilleuse, puis explosa.
C’est le deuxième attentat commis en quelques années sur le bâtiment de la préfecture du Finistère.
Dans la nuit du dimanche 12 au lundi 13 avril 1936 des individus s'étaient introduits de nuit dans l'immeuble et avaient projeté sur le parquet du premier étage une poudre inflammable.
L'attentat d'hier a été moins timide, et s'il n'a causé aucun accident de personne, il n'en est pas moins odieux.
Après une calme journée de dimanche, Quimper s'était endormi sous un ciel gris et brumeux.
L'heure de minuit apportait, avec la sortie des spectacles, un moment d’animation qui devait faire face rapidement au silence le plus complet.
La nuit s’écoulait, selon le rythme immuable quand, à 3 h. 40, une formidable détonation accompagnée d'un large éclair, ébranla l'air.
Brusquement tirés de leur sommeil, nos concitoyens s'interrogeaient sur les causes de ce bruit, que certains attribuèrent à une explosion, d'autres à un effet de l'orage.
La détonation, qui avait pris naissance vers le centre de la ville, s'était répercutée dans un grondement formidable qui se prolongea pendant plusieurs minutes jusque dans les faubourgs.
Le concierge, M. Jean-Louis Briand, s'était précipité dans le vestibule qui sépare sa chambre à coucher de la loge.
Une fumée intense et âcre avait envahi les locaux et il se rendit compte dès ses premiers pas que le sol cimenté était couvert de bris de verre.
Presque en même temps que lui, M. Benedetti, chef de cabinet du préfet, descendait de son appartement, situé au deuxième étage.
Dans l'impossibilité de pénétrer dans la loge, dont la porte ne pouvait être ouverte, MM. Benedetti et friand sortirent et examinèrent la façade des deux bâtiments :
L’hôtel du préfet, au rez-de-chaussée duquel sont les appartements de la conciergerie, et la préfecture.
Une lueur attira aussitôt leur attention.
Elle provenait de la salle de la chaufferie, dont le soupirail de droite était béant.
Les machines du chauffage, à l'intérieur étaient intactes.
Aucun doute n'était possible :
une bombe avait été placée dans l'ouverture du soupirail où elle avait explosé.
Outre les effets désastreux qu'il avait eus sur la vitrerie et l'ameublement des pièces, l'engin, en explosant, avait occasionné un début d'incendie qui atteignit les bourrelets d'étoupe protégeant les conduites du chauffage, au départ des machines centrales.
M. Benedetti s'empara aussitôt de deux extincteurs, qui suffirent à conjurer le danger.
M. Briand avait immédiatement alerté le poste de police, les pompiers et les notabilités.
M. Degrenne, chef de cabinet adjoint, ainsi que Mme Briand, son fils et sa fille avaient prêté main-forte à M. Benedetti, qui fut bientôt rejoint par M. Angeli, dont l'appartement est situé au premier étage.
Tandis que M. le préfet visitait les locaux qui avaient souffert de la déflagration, les agents de veille au poste de la place Saint-Corentin arrivaient, suivis des pompiers, sous les ordres du capitaine Rannou.
Le matériel de premier secours suffit pour écarter tout danger.
M. Brouard, procureur de la République, arriva à son tour sur les lieux, en même temps que MM. le commandant Bellat, commandant la gendarmerie départementale, et le capitaine Le Thomas, commandant la section.
M. Desmarets, commissaire spécial et l'inspecteur Le Marchand étaient parmi les premiers arrivants. Nous avons noté également la présence de MM. Goulard, commissaire de police; Le Moign, secrétaire, et Faou, inspecteur de la sûreté, ainsi que celles de MM. Gautier, maire de Quimper et Le Blanc, adjoint au maire.
Au cours de la matinée, le parquet, composé de MM. Brouard, procureur de la République ; M. Le Sciellour, juge d'instruction ; Royot de Chaigneau, juge suppléant ; Chicard, greffier, a visité les lieux.
La loge de la conciergerie occupée par M. et Mme Briand a été littéralement ravagée.
Les deux portes qui séparent la loge de la chaufferie, dans laquelle on accède en descendant deux marches, ont été arrachées et déchiquetées.
Les huisseries sont décollées des murs.
Les vitres de la fenêtre de la loge sont brisées et l'espagnolette des volets en bois plein a été tordue.
M. Briand, âgé de 51 ans, grand mutilé de guerre, réformé à 90 %, est le concierge du petit hôtel de la préfecture depuis neuf années.
Il nous relate les circonstances immédiates de l'explosion :
Nous dormions ma femme et moi, nous dit-il, dans notre chambre, qui se trouve séparée de la loge-cuisine par un vestibule assez large.
La détonation nous réveilla en sursaut.
Je croyais d'abord qu'une chaudière du chauffage avait explosé, je bondis hors de ma chambre et voulus ouvrir la porte de la loge.
Mais la serrure ne fonctionnait plus, et une épaisse fumée m'empêchait de voir quoi que ce soit.
Je suis alors sorti et tout de suite j'ai pensé que l'explosion avait été causée par une bombe.
Mon fils est parvenu à passer dans la loge en sautant par la baie de la porte, qui n'avait plus de vitres.
Ma femme s'est légèrement blessée à la main.
Notre pendule, vous pouvez le constater vous-même, s'est arrêtée à 3 h. 40.
La violente explosion s'est traduite par des dégâts matériels dont a souffert non seulement la préfecture elle-même, mais aussi les immeubles situés de l'autre côté de l'Odet, à 30 mètres et plus.
De nombreuses vitres ont volé en éclats à l'hôtel de l'Épée, dans les maisons environnantes, et même de l'autre côté du carrefour de la rue Saint-François, à l'hôtel du Parc.
À la préfecture, les dommages sont importants.
Rappelons que la façade de la rue Olivier Morvan, c'est-à-dire sur les quais, est composée de deux bâtiments.
À droite, l'hôtel du préfet à usage d'habitation, dont la construction remonte au XVIIIe siècle.
Le rez-de-chaussée est occupé par l'appartement de M. Briand, concierge ; le premier par M. le préfet ; dans le second se trouvent des chambres.
À la gauche de l'hôtel a été édifiée il y a une quarantaine d'années la préfecture, dont la façade de granit de Kersanton se prolonge jusqu'à la rue Sainte-Catherine.
L'explosion s'est produite jusque à la mitoyenneté des deux bâtiments, dans le dernier soupirail de l'immeuble neuf, qui éclaire le sous-sol de la chaufferie.
Au-dessus de la chaufferie se trouve la salle de la commission des Travaux publics.
Puis au premier étage le cabinet de M. le préfet.
L'engin explosif avait été placé dans l'ouverture du soupirail, qui mesure 70 centimètres de hauteur sur 1 m. 10 de largeur.
La fermeture du soupirail est assurée par des barreaux de fer forgé, un grillage à petites mailles et enfin une porte vitrée à deux vantaux.
La bombe avait été introduite entre les barreaux de fer et le grillage.
L'explosion a projeté les barreaux, dont le poids est d'une quinzaine de kilos, de l'autre côté de la rue, où les rambardes du quai ont arrêté sa course.
Quant au grillage, il a été retrouvé déchiqueté dans la cave.
Les dégâts occasionnés à la préfecture intéressent principalement la vitrerie.
Du sous-sol aux combles, dans le petit hôtel et dans la partie droite du grand bâtiment, il n'existe plus de carreaux aux fenêtres, et des équipes d'ouvriers ont travaillé hier à en remplacer une partie.
Plusieurs portes ont été brisées et il est curieux de noter que l'une d'elles, séparant en deux un couloir, à une quinzaine de mètres de la chaufferie, a été arrachée et jetée au sol en morceaux.
Dans la salle de réunion de la commission des travaux publics, ainsi que dans celle de la commission des finances, situées au-dessus de la chaufferie, les encriers ont été projetés en l'air ;
des taches d'encre marquent les abat-jour des lampes.
Par endroits, des lézardes apparaissent sur les murs.
La pierre de voûte du soupirail a été légèrement disjointe, mais le robuste granit a résisté.
M. Boischot, ingénieur chimiste agronome, directeur du laboratoire départemental, a examiné, à la demande de M. le préfet, les débris de la machine explosive, dont certains morceaux ont été retrouvés de l'autre côté de l'Odet, rue du Parc, et d'autres incrustés dans les boiseries des portes et fenêtres.
M. Boischot a conclu à l'utilisation de la mélinite à forte dose.
Celle-ci était renfermée dans un bidon métallique, un bidon à huile croit-on.
En raison de sa contenance, il pouvait renfermer trois kilos environ d'explosif.
On a également retrouvé des morceaux carbonisés du cordon d'allumage, qui mesurait probablement 5 mètres et a mis 10 minutes à se consumer.
Le cordon est une mèche Bickford ordinaire, couramment employée dans l'industrie.
Les auteurs de l'attentat ont pu facilement se procurer mélinite et cordon dans le commerce.
Dès les premières heures de la matinée la police a enquêté pour rechercher les auteurs du méfait.
Faut-il rapprocher cet événement de l'attentat récent de Pontivy et voir une corrélation entre l'attentat de Quimper et le jugement rendu par la Cour d'appel de Rennes, le 15 février dernier, confirmant la condamnation des chefs extrémistes bien connus : Debeauvais et Mordrel ?
L'enquête nous le dira.
La police mobile de Rennes est à l'œuvre.
MM. Le Page, commissaire divisionnaire ; Faggiani, inspecteur principal, et Larrivière, inspecteur de première classe, sont, en effet, arrivés à Quimper hier, à midi.
Une conférence s'est tenue aussitôt dans le cabinet préfectoral, qui réunissait M. le préfet, M. Brouard, procureur de la République et M. Le Page.
Le parquet de Quimper a ouvert une information contre X..., pour destruction ou tentative de destruction d'un monument par matière explosive.