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Fenêtres sur le passé

1938

Trielen par André Salmon

 

De Trielen aux Glénans _00.jpg

Source : Le Petit Parisien 24 juillet 1938

 

C'est un plaisant état que celui, sinon de découvreur d'îles, tout au moins de révélateur des « terres entourées d'eau » les moins favorisées de cette propagande moderne élevée à la hauteur d'une science ou d'un art libéral, comme on préférera.

Il en est de cet état, encore que temporaire, comme de tous les autres :

Il exige qu'on le pratique loyalement.

Mon premier soin sera donc de ne jamais forcer la note.

Pas plus que je n'ai exagéré le pathétique de certaines îles en enflant la tempête et en abusant du raz de marée, comme on voit faire à ces méchants poètes de la mer qu’un bon autre poète, un bon celui-là, nommait si drôlement des « Ulysse à vapeur », je ne forcerai, ailleurs, la note pittoresque.

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André Salmon

Sachant qu'il est des aspirants touristes parmi ceux qui me font l’honneur de me lire, j’irai jusqu’à déconseiller franchement le débarquement en telles îles évidemment curieuses, cocasses, mais dont l'agrément paye insuffisamment la peine qu'on se donne pour y atteindre, sans rien dire des frais de passage, ces îlots perdus bénéficiant rarement d'un « service régulier ».

J'ajoute que, lorsque ces bouts d'îles sont plus ou moins habités, l'insulaire n'a pas attendu, pour subsister, la manne touristique.

Je ne crains donc point de faire tort à qui que ce soit.

Ile ou Presqu'ile.jpg

Ainsi n'est-il pas indispensable d'amputer ses vacances durement gagnées, du temps nécessaire à une excursion à Trielen.

C'est une île située à 2.500 mètres de Molène, où l'on va si aisément en partant du Conquet ou, bien sûr d’Ouessant, un peu inquiète du renom que lui ont fait les littérateurs, plus contente, semble-t-il de ce qu'un écrivain allemand , M. Zimmerman, en écrivit, un peu à la manière de notre Michelet, que des nouvelles, deux fois salées, que ses filles aux longs cheveux inspirèrent à M. André Savignon.

 

Aux basses eaux, Trielen se trouve reliée à Molène par un banc de roches.

Diable ! Ne serait-ce qu'une presqu'île ?

Vous pouvez croire que, le plus souvent, Trielen a toutes les façons d'une île, surtout d'une île privée de port.

Des hommes, et des femmes aussi, vivent, encore très pauvrement, sur ce pilon de l'Océan.

Les pêcheurs orgueilleux qu'ils sont de la noblesse de leur état, réservent aux gens de Trielen plus de raillerie que de franche pitié.

Ils nomment « pigouillers » ces fils de la mer qui n'ont même pas de barques.

Je dirai simplement qu'il s'agit encore ici de goémoniers.

Pigouliers.bmp

Leur vie ?

S'il y avait à Trielen des « pigoulliers » au XIIIe siècle, leur vie ne devait pas être très différente de celle menée par les goémoniers de 1938.

C'est tout dire en peu de mots.

Le métier est rude.

Couper, récolter, sécher le varech, le brûler selon des règles précises n'est pas travail d'amateur.

Molèfte, plus heureuse, adresse à Trielen le reproche grave de l'enfumer littéralement, pour peu que le vent s'en mêle, lorsqu'elle met son varech dans les plus primitifs des fours à soude.

 

Que si l'on tient absolument à ne pas se satisfaire de la vue, quand l’île entière peut s'embrasser d'un coup d'œil, si l'on veut tout de bon débarquer, on connaîtra alors les joies combinées de la navigation et d'une équitation sommaire.

Les gens de Trielen, qui sont rustauds mais de bons diables, feront avancer dans l'eau un gros cheval de trait, l'un de ceux qui tirent les voiturées de goémon jusqu'à votre embarcation.

Vous vous hisserez sur cette noble conquête qui vous portera doucement jusqu'au rivage.

Vous aurez bien un peu les pieds mouillés, peut-être le mollet, ce ne sera ni la faute du cheval

ni celle des « pigouilliers ».

Ne vous en prenez qu'à votre curiosité.

Trop de lapins.jpg

À Bannek, au long du courant du Fromveur, qui sépare de Molène, il n'y a plus âme qui vive.

Cela ressemble à un gâteau pétrifié avec toutes ses chandelles.

L'imagination populaire a curieusement donné des noms d'habitations humaines aux roches qui se dressent tout autour de l’île naturellement surélevée.

Ainsi trouve-t-on Le Kastel ar Mouliged  (traduison : château des Molènais).

À Bannek, l'humanité ne se révèle que par le phare de Kéréon, sur le roc de Men-Tensel.

 

Comme en plusieurs terres perdues sur l'Océan, le lapin prospère, galopant en troupes sur une distance inférieure à un kilomètre.

Je dois l'avouer, des essais de camping ont été tentés à Bannek.

On ne saurait dire si les campeurs, en général, ont été découragés davantage par les incursions des lapins au camping ou par le souci, jusqu'à l’angoisse, de voir l'eau potable qu'il faut se donner la peine de transporter avec soi.

Dans l'île, une seule ferme.jpg

Balanek est voisine, presque jumelle, de Bannek.

Ni plus ni moins longue, plus large, montueuse tout autant, cette île possède juste assez de terre digne de ce nom pour qu'une ferme s'y puisse maintenir tant bien que mal.

En temps de « morte eau », c'est tout juste si ne va pas de Molène à Balanek à pied sec. Désintéressons nous donc de cette île d'une conquête trop facile pour notre romantisme.

Au surplus, c’est Kemenez, à deux milles de Molène, qui maintenant attire les campeurs.

On fera bien de prendre, sans fausse honte, une solide leçon auprès des Molénais afin de convenablement dresser une tente là où le vent du large se pourra trop aisément jouer des meilleures toiles.

Je ne cite que pour mémoire Litiry, Morgol et Benniget, propriété des fermiers de Louedeget, au centre du pays.

Élevage, agriculture, font sa richesse en outre, une crevette fort appréciée abonde sur ses plages de l'est et de l'ouest.

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