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Fenêtres sur le passé
1938
Soir au Conquet par François Ménez
Source : La Dépêche de Brest 7 novembre 1938
Je ne sais si, à l'occasion du centenaire de sa mort, au mois d'octobre dernier,
Le Conquet a songé à rendre à la mémoire de Le Gonidec, le plus illustre de ses fils, l'hommage que celui-ci méritait.
Car Le Gonidec fut le régénérateur de la langue bretonne, à une époque où
elle perdait toute pureté.
Reizer ar Brezonek, disait de lui Brizeux.
Son travail patient de grammairien, poursuivi au long des campagnes napoléoniennes, auxquelles il participa, a permis le renouveau littéraire de notre langue,
illustrée depuis lors par de grands poètes comme Calloc'h.
Ar Gonideg
Et il n'est point surprenant que Le Gonidec ait vu le jour au Conquet, ce Konk-Leon qui, au nord de l'Iroise,
fait pendant à Concarneau, le Konk-Kerné combien plus alangui et plus lumineux.
Le Conquet, dans ce Pen-ar-bed, ce « bout du monde » que le tourisme n'a guère touché, demeure,
« face au couchant », comme l'exprime si bellement Auguste Dupouy, une des terres saintes du celtisme.
C'est là, et dans les îles qui la prolongent à l'Occident, que la langue bretonne eût trouvé ses derniers sanctuaires,
si elle eût risqué de disparaître un jour.
Le pays a quelque chose de sévère et de majestueux.
On y sent, comme à l'approche du Raz de Sein, ou de la pointe de Trévignon, ou du château de Dinan, la mélancolie propre aux fins de mondes.
Non point qu'on n'y rencontre — ce qui est fréquent en Léon — des coins
de tendresse et de douceur, et d'autant plus tendres qu'imprévus.
Le Trez-Hir, tout voisin, au long de ses sables, et Plougonvelin,
ont de belles verdures que connaissent les Brestois.
Et au fond de son anse, dont les sables se colmatent, derrière l'éperon sablonneux de Kermorvan, Le Conquet a une pinède, odorante
aux après-midi d'été, aussi fraîche, aussi reposante que les retraits
les plus élégiaques de l'Odet, à Sainte Cadou ou à Ménez-Bili.
Mais en dehors de ces franges vertes, au seuil des grandes solitudes
de Plouarzel, le pays du Conquet, de Kermorvan à Saint-Mathieu,
est dans l'ensemble pénétré de tristesse hautaine.
« Konk-Léon » : Le port du Léon.
Jim Sévellec
Photo La Dépêche de Brest
Le Conquet était bien placé pour le devenir, entre ses pointes de Kermorvan et de Sainte-Barbe,
où des ruisseaux aux maigres eaux confondues prolongent leur estuaire, face aux îles, à l'entrée du chenal du Four.
Et il le fut vraiment à une époque où Brest, comme port de commerce, ne comptait guère.
Il le fut au même titre que Saint-Mathieu, « ville à trente-six grandes rues » pourvue d'une abbaye,
l'une des plus prospères de la Bretagne, d'une tour à feu, d'une église paroissiale, de la chapelle Saint-Laurent.
Il arriva à Michel Le Nobletz, l'apôtre des Païens, qui y chercha refuge, de traiter rudement les trafiquants de Saint-Mathieu,
leur reprochant leur dureté d'âme et leur avarice.
Et la violence de ses attaques valut à dom Michel, déjà expulsé
de la Cornouaille verte, de se voir fermer, au Conquet,
la porte de l'église, pour empêcher le chien évangélique qu'il était, semblable à Saint-Jean, l'âpre redresseur de torts, nourri de sauterelles et de miel sauvage, « de japper contre les loups ».
La vengeance de Dieu, prédite par le prophète bas-breton,
ne devait point tarder à se faire sentir.
Ce fut le sort de Saint-Mathieu, comme de Crozon et de Camaret, sur l'autre rive de l'Iroise,
que de servir à Brest de flanc-garde, à l'entrée du Goulet.
Et c'était une gloire pleine de péril, où Saint-Mathieu et Le Conquet devaient trouver leur ruine.
Par un matin de 1558, une flotte anglo-flamande débarqua aux Blancs-Sablons une armée de 7.500 hommes,
dont la mission était de s'emparer de Brest, trop bien défendu du côté de la mer par le Goulet.
Pour se faire la main, les hommes d'armes commencèrent par incendier Le Conquet, Lochrist, Plougonvelin
et Saint-Mathieu, à tel point que du port florissant « aux trente-six grandes rues »,
il ne subsista qu'une vingtaine de maisons.
L’abbaye fut livrée aux flammes.
Au Conquet, huit maisons, qui étaient anglaises, furent seules sauvées de la ruine.
De ce désastre, Saint-Mathieu ni Le Conquet ne se sont jamais relevés.
Le Conquet. entre son anse bordée de falaises bleuâtres et sa grève
du Portez, ouverte sur l'horizon de Beniguet, est comme une vieille dame déchue du bout du monde qui ne vivrait que de beaux souvenirs.
Son port, qu'un gué relie à mer basse à la presqu'île de Kermorvan,
solitaire sous sa vêture de ronces et de dunes, n'abrite plus que
des barques de pêche.
À ses quais, en dehors du courrier d'Ouessant et de Molène,
n'accostent que de rares caboteurs.
Les Blancs-Sablons qui, par-delà la longue échine de Kermorvan, déroulent leur hémicycle de sable ténu,
sont demeurés aussi déserts qu'il y a quatre siècles.
Cependant, Le Conquet, dans ses silences d'hiver que coupe la rumeur des grands vents,
comme un corn-boud de Jugement dernier, a le charme des vieilles bourgades maritimes :
Roscoff, Barfleur ou Saint-Valéry.
Elles gardent, dans leur déclin, la noblesse des aïeules au front zébré de rides.
Au long de la rue Poncelin et de la Grand'Rue, un souvenir demeure de la prospérité abolie :
Aux vieilles façades en granit appareillé qui gardent grande allure et qu'habitèrent les armateurs d'autrefois, aux escaliers extérieurs,
aux corniches fleuries à leur rebord de touffes de valérianes et de violiers, aux portes à plein-cintre surmontées de pinacles amputés de leurs fleurons.
Ces hôtels, que les mousses étoilent, ont dans leur décrépitude
un air de grandeur et de majesté.
Un hôtel, du Lion d'Or, comme il se doit, a des dehors d'auberge du passé.
On souhaiterait d'y dormir une nuit dans une de ses curieuses chambres aux poutres énormes dont l'hôtesse, en femme pratique,
apprécie assez peu le pittoresque vermoulu.
Cette vieillerie se retrouve au bas de la rue Casse-Cou — la bien nommée, comme toutes ces ruelles des ports de pêche, en Bretagne, qui dégringolent de la haute ville jusqu'à la cale — dans le vieux port qui fait face aux maigres verdures
de Kermorvan.
Le Vieux Port : car Le Conquet en a deux, mais c'est le vieux que l'on préfère, comme dans la chanson bretonne,
avec ses maisons aux toits dépareillés, serrées au long du quai et de l'anse où dorment des barques échouées.
Dix maisons rongées de vieillesse et de misère, une cale, trois barques au repos, un fond de ciel voilé :
Un décor pour une goualante de Suzy Solidor.
Mais c'est, dans l'abri d'un promontoire où les vents s'écorchent, toute la poésie de la mer bretonne.
François MÉNEZ.