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Fenêtres sur le passé
1938
Port-Launay
Il tue sa femme et brûle son cadavre
Source : La Dépêche de Brest 6 juillet 1938
La deuxième journée des assises du Finistère appelait une affaire particulièrement grave et odieuse :
Le crime d'un alcoolique, mauvais mari et père dénaturé qui sous l’empire de l'ivresse, tua sa femme, d’ailleurs alcoolique comme lui et de mœurs déplorables.
Pour faire disparaître toute trace de son forfait, le criminel versa du pétrole sur le corps de sa victime et y mit le feu.
M. Papin-Beaufond, conseiller à la Cour de Rennes, préside, assisté de MM. Le Bourdellès et Le Zant, juges à Quimper. M. Désiry, substitut, est au banc de l'accusation. Me Le Helloco, avocat à Quimper, assure la défense.
M. Chicard, greffier, lit l'acte d'accusation :
Nous donnons ici un résumé de l'acte d'accusation :
Le 10 novembre 1937, vers 23 h. 30, le nommé François Gourvest, manœuvre à Port-Launay, se présentait en état d'ivresse au domicile des époux Sulpice, ses voisins, leur déclarant que sa femme avait péri dans l'incendie de sa maison.
« La pauvre Jeanne-Marie est toute brûlée, il n'en reste plus rien », dit-il.
L'alerte immédiatement donnée, les sauveteurs purent se rendre maîtres du feu.
Le cadavre de la femme Gourvest, carbonisé et entouré d'une flamme claire et vive brûlant sans fumée, tel un feu alimenté par de l'essence, gisait au milieu de l'unique pièce, l'un des pieds pris sous la boiserie affaissée du lit commun.
Sur la table était posée une lampe-pigeon allumée et un bidon de pétrole débouché et entamé.
Dans l'âtre, on ne remarquait aucune trace de feu.
Les voisins, qui accoururent, furent frappés par l'attitude de Gourvest, impassible et persistant à vouloir fuir.
Comme l'un d'eux s'étonnait d'une mort aussi étrange et lui reprochait de n'avoir pas donné l'alarme plus tôt.
Gourvest parut très gêné et se mit à trembler.
Les gendarmes, alertés, remarquèrent que la veste de Gourvest dégageait une forte odeur de pétrole.
Ils furent surpris de constater que la projection d'eau sur le cadavre avait pour effet d'augmenter l'intensité des flammes.
Interrogé, Gourvest donna des faits une version invraisemblable.
Peu après le départ d'un nommé Déniel, avec lequel il avait passé
la soirée, et alors qu'il partageait le lit de sa femme, il constata avec surprise, vers 23 h. 30, que son épouse était entièrement carbonisée.
Se reprenant, il affirma qu'il sommeillait près de la cheminée,
lorsqu'il aperçut sa femme entourée de flammes.
Il se précipita et tenta de la sortir du lit.
Ses mains ne portaient cependant aucune trace de brûlures.
« Les circonstances de la mort de ma femme sont inexplicables, déclarait-il.
À aucun moment, elle n'a crié et j'ignore pourquoi elle n'a pas essayé de se sauver ; quelques instants avant l'incendie, elle lisait son journal,
elle n'était pas prise de boisson. »
Les déclarations du témoin Déniel, reçues par le magistrat instructeur, devaient établir que Jeanne Jord, épouse Gourvest, avait été mortellement frappée d'un coup de couteau par son mari, qui avait mis le feu au cadavre, afin d'anéantir les preuves du crime.
Gourvest est accusé :
1° D'avoir, à La Montagne, en Port-Launay (arrondissement de Châteaulin), le 10 novembre 1937,
volontairement donné la mort à Jeanne-Marie Jord, épouse Gourvest ;
2° D'avoir, à La Montagne, en Port-Launay (arrondissement de Châteaulin), le 10 novembre 1937,
communiqué l'incendie a un édifice appartenant au sieur Jean-Pierre Guidal, en mettant volontairement le feu au cadavre de Jeanne-Marie Jord, de manière à communiquer ledit incendie.
Avec ces circonstances :
1° Que ledit édifice auquel l'incendie a été communiqué était habité ou servait à l'habitation ;
2° Que le meurtre ci-dessus spécifié a précédé le crime d'incendie volontaire visé au n° 2.
Crimes prévus et punis par les articles 295, 304, paragraphe 3; 1 et 7, 304 et 1 du code pénal.
Gourvest est un grand gaillard, le nez arqué, les cheveux grisonnants, les traits tirés.
C'est, dira le médecin aliéniste qui l'a examiné, un alcoolique invétéré.
À l'interrogatoire serré du président Papin-Beaufond, Gourvest répondra par des monosyllabes ou par des dénégations.
Après avoir passé en revue la jeunesse de l'accusé et souligné ensuite la mauvaise conduite et l'intempérance notoire du ménage Gourvest, le président en arrive aux circonstances du crime.
On présente le couteau qui a servi au meurtre.
L'accusé reconnaît bien l'arme.
— Reconnaissez-vous avoir porté un coup de couteau à votre femme ?
— Non, ce n'est pas vrai, ce n'est pas moi qui l'ai tuée.
— Après votre crime, à 22 h. 45, n'avez-vous pas dit à Déniel :
« Je vais f... le feu dedans » ?
— Non, Je n'ai rien ait à Déniel.
J’al trouvé ma femme brûlée dans le lit.
— Le couteau a été remis par Déniel à la gendarmerie ?
— Non, M. le procureur, ce n'est pas vrai ça.
— Déniel déclare qu'il vous a vu répandre du pétrole sur le corps de votre femme.
— Pourquoi n'a-t-il pas dit ça de suite au gendarme ?
— Vous avez mis le feu aux cheveux de votre femme.
— Ça, c'est pas vrai.
— Deux cyclistes, MM. Gadal et Pencalet, passèrent vers 22 h. 15 devant votre maison et ont vu deux personnes qui n’avaient pas l'air de s'inquiéter du feu.
— ...
— Vous n'avez donné l'alarme que plus tard, attendant que les traces de votre crime fussent effacées.
— ...
— Je dois dire que toute trace de coup de couteau était inexistante, le cadavre étant carbonisé, sauf une jambe.
— Oh ! Non.
— Il reste contre vous que vous avez remis votre couteau à Déniel.
— Non. Mon couteau était dans ma caisse.
Je ne l'ai pas donné à Déniel.
— Après l'incendie, le bidon de pétrole était débouché et il y manquait deux litres.
— Ce n'est pas moi qui l'ai débouché et Je ne sais pas où le pétrole est parti.
— Au moment de l'incendie, vous avez voulu fuir.
— Sulpice m'a jeté par terre.
— Vous avez donné deux versions de la mort de votre femme.
Gourvest bredouille des réponses évasives, embarrassées et gênées.
— Vous êtes accusé d'avoir tué et brûlé votre femme.
Reconnaissez-vous ces faits ?
— Non, monsieur le procureur.
M. le docteur Baley, de Châteaulin, a été appelé à visiter le cadavre de la femme Gourvest,
qui était complètement carbonisé.
En raison de l'état dans lequel il trouva le corps, le témoin ne peut affirmer s'il y a eu ou non
un coup de couteau de porté.
Le témoin a constaté une forte odeur de pétrole.
Le docteur Lagriffe, médecin aliéniste, qui a examiné Gourvest, a trouvé qu'il présentait des signes certains d'alcoolisme, mais il n'a découvert aucune tare mentale susceptible de diminuer la responsabilité de l'inculpé.
Le maréchal des logis Célino, de la gendarmerie des brigades de Châteaulin, avait souvent dressé des procès-verbaux pour ivresse à l'accusé.
Prévenu de l'incendie, le témoin, lorsqu’il a pu pénétrer dans le taudis de Gourvest, trouva la femme complètement carbonisée.
La jambe droite était détachée du corps.
Il vit l'accusé maintenu par Sulpice, parce que, disait ce dernier, Gourvest voulait fuir.
Le président au témoin :
— Pensez-vous que le cadavre ait brûlé longtemps ?
— C'est certain, les dégâts du lit étant minimes, alors que le cadavre était entièrement carbonisé.
Le maréchal des logis donne des renseignements défavorables sur l'accusé, sur sa femme ainsi que sur Déniel.
Gourvest reste muet.
Il ne reconnaît pas avoir dit au gendarme qu'il était couché près de sa femme.
Hervé Déniel, 17 ans, manœuvre à Port-Launay, qui remit le couteau à la gendarmerie le 7 décembre, est un des principaux témoins.
Son entrée dans la salle fait sensation.
C'est un cousin éloigné de l'accusé.
Agé de 17 ans, Déniel raconte le drame auquel il assista dans son langage cru et imagé.
Après le crime, Gourvest lui mit le couteau dans la poche.
Pris de peur, le témoin ne remit l'arme que plus tard à la gendarmerie.
Le président (au témoin). — Qui a commencé la discussion entre mari et femme ?
— Lui.
— Avez-vous entendu la femme appeler au secours ?
— Oui, et Gourvest m'a menacé de « m'en faire autant ».
— Vous étiez le seul à avoir vu ce qui se passait dans cette cabane.
Vous vous rendez compte de l'importance de vos déclarations ?
Pourquoi avez-vous gardé si longtemps le couteau de Gourvest et attendu le 7 décembre pour le remettre à la gendarmerie ?
— Parce que J'avais peur qu'on ne m'accuse.
— Avez-vous vu Gourvest prendre le bidon, arroser le cadavre de pétrole et y mettre le feu ?
— Oui, Je l'affirme.
— Où a-t-il mis le feu ?
— À la tête.
— Pourquoi n'avez-vous pas dit de suite la vérité ?
— J'avais peur.
— Le défenseur (au témoin). — Avec quel couteau le témoin mangeait-il avant d'avoir reçu celui de Gourvest ?
— Le témoin. — Je n'avais pas de couteau !
Le défenseur. — MM. les Jurés apprécieront.
Gourvest, qui a écouté impassible l'accablante déposition de Déniel, ne trouve à dire que :
— Ce n'est pas vrai !
— Si, c'est vrai ! répond le témoin.
On entend ensuite Yves Gadal, 27 ans poudrier à Toul-Pry, à Châteaulin,
l'un des cyclistes qui passa sur le lieu de l'incendie et s'étonna que les deux hommes qui regardaient la maison brûler ne cherchaient aucunement à éteindre le feu.
Il en conclut qu'il s'agissait d'ivrognes et s'éloigna.
Mme Sulpice, née Mocaër, ménagère à Port-Launay, reçut à 11 h. 20 la visite de Gourvest qui, accompagné de Déniel, l'avertit en breton et en français que sa femme était « toute brûlée ».
Gourvest resta chez Mme Sulpice jusqu'à 2 heures du matin.
Le témoin perçut une forte odeur de pétrole qui émanait des vêtements de l'accusé.
M. Achille Sulpice, 53 ans, retraité de la marine, à Port-Launay, raconte qu'averti par sa femme de la visite de Gourvest et Déniel, il se rendit à la Montagne.
Comme Gourvest voulait partir, le témoin le maintint à terre jusqu'à l'arrivée des gendarmes.
Le témoin donne des détails « piquants » sur les relations de Gourvest, de Déniel et de la femme Gourvest,
qui faisaient bande commune, mangeaient, couchaient ensemble ;
leur mot de ralliement était « chouia ».
À la demande du procureur au témoin :
« Croyez-vous Gourvest capable de mettre le feu chez lui ? »
— Je ne veux pas l'accuser sans preuve, répond M. Sulpice,
mais s'il cherchait à fuir c'est qu'il n'avait pas la conscience tranquille.
La déposition du témoin Sulpice, pleine d'intérêt car elle met en lumière la vie de désordre et de débauche du ménage Gourvest, auquel s'était adjoint le jeune dévoyé Déniel, produit sur les jurés et sur le public une vive impression.
Les dépositions du témoin Yves Pouliquen, charpentier, adjoint au maire de Port-Launay, et de sa femme n'apportent rien de nouveau aux débats.
M. Derrien, maire de Port-Launay, fut réveillé par Mme Sulpice.
Il se rendit sur les lieux et Gourvest lui déclara alors qu'il était dans le lit avec sa femme au moment de l'incendie.
Puis plus tard, se rétractant, il prétendit qu'il se trouvait près de la cheminée et non dans le lit. Comme le maire lui exprimait son étonnement de ces contradictions, Gourvest alla même jusqu'à accuser le témoin d'avoir tué sa femme.
— Alors, lui dit le maire, votre femme a bien été tuée ?
Gourvest ne s'attendait certes pas à cette question et resta coi.
Le témoin donne sur la moralité de l'accusé et de sa femme les renseignements les plus déplorables.
Les dépositions de M. Jean Guidal, 53 ans, commerçant à Port-Launay, et de M. Yves Lucas, 68 ans, retraité des Ponts et chaussées, sont franchement défavorables à l'accusé.
Sept témoins étaient cités à la requête de la défense.
Yves Bauguin, propriétaire-cultivateur à Quélennec, en Châteaulin, témoin de moralité,
raconte comment Gourvest lui sauva la vie un jour qu'il allait se noyer dans le canal de Nantes à Brest.
Jean Boudoulec, cultivateur à Lezabannec, a employé les époux Gourvest et n'a pas eu à se plaindre de leurs services.
Le témoin dira même que les époux s'entendaient bien.
Bons renseignements également de la part du témoin Jean Suignard, de Kerguestec, en Châteaulin,
chez qui l'accusé travailla deux ans.
Renseignements identiques de la part de François Goas, de Lézabannec, et de François Pichon,
cultivateur à Toul-ar-Germeur.
Deux autres témoins, Jean Le Lann, propriétaire à Coatiffitel, et Charles Huichet, aubergiste à Stang-ar-Garrou, déposent dans le même sens et n'ont que du bien à dire de l'accusé, aussi furent-ils surpris d'apprendre le crime qui lui était reproché.
Dans un court mais sévère réquisitoire, après avoir retracé les circonstances de la découverte du crime de Gourvest,
le substitut Désiry souligne le mode de défense de l'accusé qui,
à toutes les questions embarrassantes du juge d'instruction de Châteaulin, répondra invariablement :
« Ce n'est pas moi ! »
Système de défense bien connu qui ne peut cependant s'opposer aux faits matériels, suffisants pour pouvoir affirmer que Gourvest est bien coupable, qu'il a bien eu conscience de ce qu'il faisait et qu'il a « camouflé » son crime.
D'ailleurs, Gourvest n'est pas un malheureux irresponsable.
Bien que de moralité douteuse, Gourvest se défend d'être un malhonnête homme, mais les scènes scandaleuses étaient fréquentes dans le logis des époux Gourvest.
Déchu de la puissance paternelle, l'accusé est encore un mauvais fils et un mauvais citoyen, déjà trois fois condamné.
Aussi l'accusateur public n'hésiterait pas à requérir le châtiment suprême si une circonstance ne permettait au ministère public de demander des circonstances atténuantes en sa faveur :
Gourvest, en effet, fut fait prisonnier à Maubeuge et a droit à la médaille des évadés.
C'est donc la peine des travaux forcés à perpétuité qui est demandée par l'accusation.
C'est Me Le Helloco, le jeune avocat du barreau de Quimper, qui plaida hier en faveur d'André Déniel,
auquel incombe la lourde charge de défendre Gourvest.
Il le fera avec beaucoup de conscience, s'efforçant de montrer le peu de crédit qu'on peut accorder au témoignage de Déniel, pourtant capital pour l'accusation.
Le défenseur plaide le doute et demande l'indulgence du jury,
en raison des deux actes de bravoure accomplis par l'accusé.
À 19 h. 15, le jury s'est retiré pour délibérer.
Il rapporte un verdict affirmatif aux quatre questions posées.
Il accorde cependant les circonstances atténuantes en faveur de l'accusé.
Gourvest est condamné à 20 ans de travaux forcés.