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Fenêtres sur le passé

1938

Naufrage à Landéda d'un bateau de pêche de Tréglonou

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Source : La Dépêche de Brest 30 novembre 1938

 

Un drame de la mer a endeuillé, une fois de plus, la côte de l’Aberwrach, dans des circonstances particulièrement tragiques.

Ce drame se produisit très brutalement, comme tant d'autres, mais les deux hommes qui se trouvaient, dans  la nuit, aux prises avec la mort, firent preuve d'un courage magnifique.

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Nous reprendrons ici les faits dans leur ordre chronologique :

 

Le petit bateau de pêche Alain, patron François Uguen, âgé de 41 ans, et matelot Théophile Guiziou, âgé de 33 ans, avait sa base de départ, soit à Tréglonou, soit à Laberwrach.

 

Bien que la mer fût très forte et le vent mauvais, l'Alain appareilla lundi soir de Tréglonou, pour venir pêcher dans l'embouchure de la rivière de Laberwrach.

Sa route devait lui faire contourner l'île Garo dont les parages sont extrêmement dangereux par gros temps.

 

Mais le patron Uguen n'était pas homme à reculer devant la difficulté.

La mer n'avait pas de secrets pour lui.

Son audace ne peut pas s'appeler de la témérité.

 

Ainsi, bien décidé à faire bonne pêche, il mit en route le moteur de l'Alain et,

comme son matelot, dit simplement « au revoir » à ses amis.

 

Un mauvais grain s'abattit à ce moment-là.

Qu'importe.

D'ailleurs, le bateau ne partait pas seul.

Celui de M. Denis Uguen, de Tréglonou, parent de M. François Uguen, prenait aussi le large.

Il l'escorta même jusqu'aux abords de l'île Garo, mais devait plus tard changer de route.

 

Ce fut alors le drame dans la nuit, sous les grands éclats du phare de l'Île Vierge.

Et de cela personne ne fut témoin.

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Dans la soirée de lundi, vers 20 h. 30, M. François Bodénès, marin-pêcheur, demeurant à Keravel en Landéda, passait sur la grève, à Toul an Dour, lorsqu'il vit arriver, portées par la mer démontée, de nombreuses épaves.

 

— Mon attention, nous dit-Il, fut attirée par des bidons d'huile, d'essence, des pièces de bois qui venaient s'échouer sur le bord de la mer.

Toutes ces pauvres choses avaient été réduites en miettes par les vagues.

 

« Cependant, Je n'avais à ce moment-là que des inquiétudes imprécises.

Je ne savais pas qu'un sinistre venait de se produire et je suis rentré chez mol.

 

« Ce n'est que ce matin que nous avons appris, avec mon frère Gabriel, qu'un bateau avait été brisé non loin de la côte. »

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Cela ne pouvait pour lors être de grande utilité, d'autant que la perte d'aucun bateau n'était signalée.

La certitude ne devait se faire jour que le lendemain matin.

 

Nous avons rencontré, hier, celui qui découvrit le premier cadavre, rejeté par les vagues furieuses.

 

M. Louis Floch, âgé de 35 ans, marin , goémonier, demeurant à Bruénou en Landéda,

passait hier matin au lieu-dit, Concougar en Landéda, pour se rendre à son travail.

— J'allais, nous dit-il, faire des tas de goémon à la grève.

Moi aussi, j'ai découvert avec surprise, de nombreuses épaves échouées sur les roches et les galets.

Parmi celles-ci, des avirons, un panier, un sabot de bois tout neuf.

 

Très certainement, un malheur était à redouter.

Cependant, je me mis au travail pour recueillir du goémon.

Qu'aurions-nous pu faire d'autre ?

 

Je me trouvais dans l'eau jusqu'à la ceinture, muni d'un croc de « 15 pieds »,

lorsque pas très loin de moi je vis une tête d'homme émerger entre deux vagues.

 

Il me fallut un instant pour me rendre compte que je n'étais pas le jouet d'une illusion.

 

J'ai alors appelé trois amis qui ne se trouvaient pas trop loin de moi :

MM. Yves Cabon, François Bodénès et Gabriel Bodénès.

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La mer était très mauvaise à ce moment et il était pour moi nécessaire de m'avancer,

afin de saisir le corps avec mon croc.

 

« Ne vous éloignez pas loin de moi, ai-je dit à mes camarades, car si je tombe, j'y reste aussi. »

 

C'est ainsi que nous avons réussi à ramener le corps jusqu'au rivage.

Je ne connaissais pas le malheureux noyé, qui ne portait qu'un tricot, sur lequel étalent marquées deux initiales :

« U. U. ».

 

Nous avons alors transporté le défunt à la maison la plus proche, celle de M. François Appriou, au village de Bruénou, puis nous avons alerté les autorités.

La première enquête.jpg

M. Louis Floch fit prévenir successivement M. Keraudy, maire de Landéda ;

M. Le Bléavec, agent administratif de l'Inscription maritime à l'Aberwrach, et la brigade de gendarmerie de Lannllis.

 

M. Le Bléavec envoya alors sur place M. Le Grégam, syndic des gens de mer qui procéda aux premières constatations en compagnie des autorités dont nous venons de donner les noms et du gendarme Le Gall.

On remarquait en outre sur place, M. Chapel, garde champêtre.

 

M. le docteur Furic examina le corps du défunt.

 

M. Uguen saignait abondamment des oreilles et portait aux jambes de nombreuses contusions.

Il est permis de  penser qu'il n'est pas mort noyé, mais qu'il succomba à l'épuisement au moment où il atteignait la côte à la nage.

Sans doute fut-il alors précipité avec violence contre les roches par les vagues déchaînées.

À ce moment il faisait nuit.

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Un bateau de Tréglonou, patron M. Guélénoc, s'est rendu hier aux abords de l'île Garo et de la roche Groaric, où dut se produire le naufrage, à 800 m. environ du rivage.

 

On put alors reconstituer ce drame de la mer d'une façon aussi précise que possible.

 

On trouva en effet sur des roches formant le rivage de l'île Garo, le pantalon et la chemise qui avaient appartenu

à M. Uguen.

La montre qui se trouvait dans la poche du défunt était arrêtée à 18 h. 15.

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Ce dernier, voyant son bateau se briser sur les roches, avait certainement décidé de rejoindre à la nage la côte relativement proche, d'autant plus qu'il avait le vent et la mer pour lui.

Excellent nageur, il tenta ce dernier effort, tant pour lui-même que pour son compagnon, auquel il pouvait ainsi espérer porter secours en arrivant à terre à temps.

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Le corps de M. Uguen, que de nombreux parents étaient venus chercher en autocar chez M. Appriou, à Bruénou, fut transporté à 13 h. 15 à Landéda.

Mme Uguen, marchande de poisson aux halles de Brest, savait-elle le terrible malheur qui la frappait ?

Cela n'était pas certain.

 

En effet, le matin même, quittant Lannilis par autocar, elle ne trouva pas, comme à l'habitude, la pêche envoyée par son mari.

 

Elle pensa qu'une panne de moteur avait provoqué ce retard et partit sans attacher plus d'importance à cet incident.

 

Comment d'ailleurs aurait-elle fait autrement ?

 

Le bateau de M. François Uguen, immatriculé à Brest sous le numéro 5.821, était presque neuf.

Il ne datait, que de deux ou trois ans et était armé d'un moteur de 6 CV.

 

Dans l'après-midi d'hier, un autre bateau de Tréglonou, conduit par M. Uguen Serves, se rendit à l'île Garo pour procéder à des recherches.

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Nous apportions hier nos condoléances à Mme Uguen qui, en présence du terrible malheur qui la frappait, fit preuve d'un courage devant lequel il faut s'incliner.

Entourée des membres de sa famille, elle rendait les derniers devoirs à celui qui mourut victime de son devoir.

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Nous avons été également visiter la famille de M. Théophile Guiziou, qui fut la seconde victime de ce naufrage.

 

Mlle Marie Guiziou, âgée aujourd'hui de 65 ans, tante du défunt, fut aussi sa seconde maman.

Elle est aujourd'hui brisée de douleur.

 

Théophile Guiziou perdit sa mère quelques semaines après sa naissance.

Mlle Marie Guiziou l'entoura dès lors de toute son affection et celui qu'elle a aujourd'hui perdu l'aidait à vivre.

C'est là un admirable exemple d'affection familiale.

Que deviendra demain celle qui s'est tant dévouée hier ?

 

Le père de Théophile Guiziou mourut, voici quatre ans, lui aussi victime d'un accident de mer,

à l’entrée de l’Aberwrach.

Un homme courageux.jpg

M. Uguen avait la réputation d'un homme extrêmement courageux.

 

Je ne l'ai jamais vu reculer devant le mauvais temps, nous disait hier l'un de ses amis.

Il n'existait pas pour lui de jour où il était impossible de travailler.

 

Uguen était un de ces hommes qui ne reculent jamais et il est mort en brave.

Il connaissait parfaitement la côte et comptait au nombre des meilleurs patrons pêcheurs de notre région.

 

Nous ne voudrions pas en terminer sans présenter aux familles Uguen et Guiziou nos condoléances les plus sincères pour le terrible malheur qui les frappe.

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