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Fenêtres sur le passé

1938

La maison hantée de Saint Pierre Quilbignon

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Source : La Dépêche de Brest 28 décembre 1938

 

Mme Corre, née Anna Le Bris, 42 ans, est propriétaire d'une jolie maison 34, rue Jean Jaurès à Saint-Pierre-Quilbignon.

 

Veuve depuis un an, elle habite au premier étage, avec un garçonnet de 11 ans, un appartement composé de quatre grandes pièces dont la salle à manger donne par deux fenêtres sur un jardinet que clôt sur la rue une grande grille.

 

Depuis un mois, Mme Corre se plaint d'entendre chaque nuit des bruits insolites.

Parfois ce sont des coups sourds frappés aux portes, aux cloisons ou au plafond qui font tout trembler dans la maison.

D'autres nuits, ce sont les persiennes qui claquent ou un bruit semblable à celui que feraient en tombant toutes les ardoises, arrachées au toit d'un petit bâtiment attenant à la maison, côté cour.

 

Tremblante, Mme Corre à ces bruits se cachait avec son fils sous les couvertures, n'osant bouger.

 

Elle fit même venir coucher chez elle sa femme de ménage, Mme Tossec, et comme les bruits se répétaient, qu'un soir elle crut voir tourner la table de sa salle à manger, vers 22 heures, elle se précipita à la fenêtre et cria :

« Au secours ! on veut m'assassiner. Allez vite chercher le garde champêtre ! »

 

Mme Corre ayant raconté dans le quartier ses frayeurs, que les voisins n'avaient pas prises au sérieux,

personne ne se dérangea.

Mme Corre referma ses persiennes et la nuit se passa sans troubles nouveaux.

 

Le lendemain, Mme Corre allait trouver M. Floch, garde champêtre et le suppliait de venir à son secours.

 

M. Floch visita la maison, interrogea les locataires, ne trouva rien d'anormal.

 

— Venez ce soir, après 20 heures, lui dit Mme Corre.

Vous entendrez les bruits qui m'effraient.

Je vous préparerai un bon lit.

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M. Floch déclina la proposition, mais aux dires de Mme Corre les bruits persistaient et samedi dernier elle déposait une plainte en règle.

 

— J'ai enfin trouvé l'auteur de ces bruits, dit-elle.

C'est un de mes locataires qui habite depuis dix-huit mois en meublé dans ma maison.

Il doit être doué d'une puissance magnétique extraordinaire et il m'a envoûtée.

 

Je ne sais si c'est du spiritisme ou de la magie noire, ni comment il parvient à provoquer ces bruits effrayants.

Ce qu'il y a de certain, c'est que depuis un mois je mange plus, je ne dors plus, et que mon fils, malade,

ne va plus à l'école.

 

Ma fille Léone, institutrice libre à Landivisiau, est depuis deux jours venue en vacances.

La place ne manque pas, les lits non plus ;

eh bien! Nous mettons un traversin dans la ruelle du lit et nous nous y blottissons tous les trois,

sans pouvoir fermer l'œil.

 

Ma fille a aussi entendu les bruits.

Hier matin, elle est allée trouver la femme du mon locataire-spirite pour lui faire des reproches.

Elle a eu le toupet de lui répondre que je devais être folle.

Léone a été tellement suffoquée d'entendre cela, qu'elle a eu une syncope.

 

Je me suis rendue chez le juge de paix, et si les bruits continuent, je suis décidée à poursuivre cette affaire.

Mes locataires ont dû le comprendre, car je crois qu'ils vont quitter la maison à la fin du mois.

 

Les locataires de Mme Corre sont évidemment quelque peu ennuyés de ces histoires.

Ils sont très bien considérés dans le quartier.

Lui est ouvrier mécanicien et très travailleur.

Tous les commerçants du quartier donnent d'excellents renseignements sur sa femme Simone.

 

C'est une fumisterie, disait l'un d'eux, peut-être le locataire a-t-il fait quelques plaisanteries pour effrayer

sa propriétaire, qui a exagéré les bruits entendus.

En tout cas, aucun voisin n'a voulu se mêler de ces abracadabrantes histoires.

 

M. Floch, garde champêtre, à qui Mme Corre est venue se plaindre à différentes reprises a invité le locataire à cesser, s'il en était réellement l'auteur, ses plaisanteries d'un goût douteux.

 

— Mme Corre, disait-il, croit dur comme fer à de la magie.

— Voyons, m'affirmait-elle, quand la table se soulève et qu'on a l'impression que toutes les ardoises se brisent en miettes, il faut bien qu'il se passe quelque chose de surnaturel ?

— Mais, répondit le garde champêtre, vous voyez bien qu'il ne manque pas une ardoise à votre toit ?

— C'est là qu'est la magie, insista Mme Corre. Avez-vous fait des études supérieures ?

— Ma foi non, concéda le garde champêtre.

Alors, vous ne pouvez pas savoir, car il faut en avoir fait pour comprendre ces choses-là.

 

L'affaire en est là.

Elle ne paraît émouvoir ni les gardes champêtres, ni la gendarmerie, ni les voisins.

Peut-être aura-t-elle son dénouement en justice de paix.

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Nous avons relaté hier les plaintes déposées à la mairie, à la gendarmerie et à la justice de paix par Mme Corre,

née Anna Le Bris, propriétaire de l'immeuble portant le numéro 34 de la rue Jean Jaurès, à Saint-Pierre-Quilbignon, contre un de ses locataires.

 

Mme Corre accuse celui-ci, M. Georges Lenthéric, d'être doué d'un pouvoir surnaturel et d'exercer sur elle,

par hypnotisme, spiritisme ou autre pratique de sorcellerie, ses maléfices.

 

Jusqu'ici, les pratiques du « pseudo-fakir » auraient été, il faut l'avouer, bien anodines.

Elles se sont manifestées par des coups frappés aux portes, plafonds et parquets de la maison hantée,

Mme Corre a cru voir sa table de salle à manger se soulever et cru entendre le bruit fait par toutes les ardoises

d'un petit bâtiment attenant à son immeuble, en dégringolant dans la cour.

Mais, le lendemain, la toiture était en place et en parfait état.

« C'est de la magie noire », avait dit Mme Corre en le constatant.

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M. Georges Lenthéric, comme tous les voisins, n'avaient jamais jusqu'ici qu'attaché peu d'importance

aux accusations lancées contre lui par sa propriétaire.

 

Il avait décidé avec sa femme de quitter la maison et cherchait un autre logement, mais alors qu'on consentait à lui

en louer un, devant les renseignements fournis sur lui par Mme Corre, ses futurs propriétaires reprirent leur parole.

 

Hier, la réception d'une convocation du juge de paix du 3e canton, invitant M. Georges Lenthéric à se présenter devant lui place Vauban, lundi 9 janvier, à 14 heures, pour être entendu contradictoirement avec Mme veuve Corre sur le différend qui les sépare au point de vue de la résiliation et expulsion de son logement a mis un terme

à la patience du locataire qui spontanément est venu nous déclarer :

 

« Depuis le 6 août 1936, je suis employé comme ouvrier tourneur aux établissements Guérif et Moreau, à Saint-Pierre.

Je crois pouvoir dire que mes patrons sont satisfaits de mes services et n'ont jamais eu à se plaindre

ni de ma conduite, ni de mon travail.

 

Ma propriétaire, Mme Corre, était en excellents termes avec ma femme et moi.

Je suis son locataire depuis le 7 septembre 1936.

J'ai eu un bébé, un petit garçon, qui aura bientôt deux ans, dans la maison.

Parisien, n'ayant pas de famille à Brest, Mme Corre a assisté ma femme à la naissance de mon enfant

et a accepté d'être sa marraine.

C'est vous dire que nous entretenions d'excellentes relations.

 

Il y a un mois sa façon d'agir avec nous changea brusquement.

Elle m'accusa d'être l'auteur de bruits qui, je le suppose, ne prennent naissance que dans son imagination.

 

J'affirme n'avoir jamais rien fait pour gêner ni ma propriétaire, ni les autres habitants de la maison.

Je ne me suis jamais amusé à jouer les esprits frappeurs.

Je n'ai pas besoin de vous dire que je ne possède aucun don surnaturel et ne suis ni fakir — comme mes camarades m'appellent maintenant — ni sorcier.

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Partant à mon travail le matin à 8 heures, ne rentrant que pour déjeuner et me couchant le soir à 21 heures,

je n'attachais personnellement aucune importance aux boniments de Mme Corre, mais ma femme reste à la maison toute la journée et quand elle va laver du linge, dans le jardin, la propriétaire lui dit des choses désagréables,

ce qui l'affecte beaucoup.

 

J'ai loué deux jardins d'une superficie de 900 mètres carrés, dans les environs.

J'y passe mes heures de loisir.

On ne peut donc m'accuser de m'enivrer et de faire du bruit quand j'ai bu, ce qui ne m'arrive jamais.

 

Je ne demande qu'à quitter la maison de Mme Corre, mais je ne puis coucher dans la rue.

Il me faut donc trouver auparavant un autre logement.

Encore convient-il que Mme Corre n'empêche pas les personnes désireuses de m'accepter chez elles de le faire.

 

J'ai voulu ce matin déposer à mon tour une plainte en diffamation et injures contre ma propriétaire.

On m'a dit qu'il fallait d'abord que le Juge de paix eût rendu son jugement.

Attendons donc le 9 janvier.

On va rire.

 

Et, fort de sa bonne foi, M. Lenthéric, ouvrier sérieux, nous quitte en disant que ce qui l'ennuie le plus

dans le moyen original employé par sa propriétaire pour le mettre à la porte,

c'est le préjudice causé par les heures de travail perdues.

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Source : La Dépêche de Brest 10 janvier 1939

 

De nombreux curieux s'étaient rendus hier à la Justice de paix du 3e canton, rue Vauban dans l'espoir d'assister

à une amusante audience qui devait mettre aux prises Mme veuve Corre accusant son locataire, M. Lenthéric,

d'avoir exercé sur elle son pouvoir magnétique et mis en branle des esprits frappeurs qui chaque nuit,

faisaient dans toute la maison retentir des bruits insolites, la terrorisant ainsi que sa famille.

 

Mme Corre demandait l'expulsion du locataire qu'elle jugeait indésirable.

 

M. Lenthéric ne demandait qu'à quitter la maison de Mme Corre, mais ne trouvait pas de logement,

sa propriétaire fournissant sur lui de mauvais renseignements.

 

Dès qu'il eut trouvé à se loger, il s'empressa de déménager et Mme Corre vint vendredi dernier prévenir M. Bizien, Juge de paix, qu'elle se désistait de sa plainte, ayant obtenu satisfaction.

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En apprenant cette nouvelle, les nombreux voisins du 34, rue Jean Jaurès, « la maison hantée »

comme on la nomme désormais furent quelque peu déçus.

 

Mais au début de l'audience, à laquelle le public n'aurait d'ailleurs pas été admis, puisqu'il s'agissait d'un appel

en conciliation, le greffier, M. Cocaign, appela M. Lenthéric, régulièrement convoqué.

 

Le juge de paix lui fit connaître que propriétaire, Mme Corre, s'étant désistée, sa convocation devenait sans objet.

Mais M. Lenthéric ne l'entendit pas de cette oreille:

 

— Tous les racontars de Mme Corre m'ont causé un gros préjudice, dit-il.

Elle m'a fait perdre les salaires de plusieurs journées en démarches de toutes sortes.

À mon tour, je dépose contre elle une plainte en diffamation pour lui demander des dommages-intérêts.

 

Contre paiement de 9 fr. 50, le greffier enregistra la plainte de M. Lenthéric et l'affaire sera à nouveau appelée

à la prochaine audience.

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