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Fenêtres sur le passé

1938

Guerre du lait aux halles Saint Louis

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Source : La Dépêche de Brest 2 juillet 1938

 

On se rappelle l'incident survenu aux halles Saint-Louis, le 18 mai.

 

Mme Tygréat, née Bellec, occupe, depuis six ans, à l'extrémité du marché, côté mairie, une stalle où elle vend du lait, du beurre, des œufs et des fromages à la crème.

 

Mme Tygréat, refusant de se conformer au prix de 1 fr. 60 imposé par le syndicat pour la vente du litre de lait,

et le maintenant à 1 fr. 50, des membres du syndicat étaient intervenus,

prétendant l'obliger à augmenter de dix centimes le prix de son lait.

 

Mme Tygréat se plaignit à M. Ménez, commissaire de police du 1er arrondissement,

qui fit établir par ses agents une surveillance pour protéger la stalle de la marchande de lait.

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Un piquet du syndicat vint ce jour-là aux halles.

Ses membres passèrent et repassèrent devant la boutique

de Mme Tygréat, mais ne lui adressèrent pas la parole.

 

Une dizaine de cultivateurs s'étaient, de leur côté,

rendus chez M. Gouriou à Saint-Thonan, pour lui intimer l'ordre

de ne plus livrer de lait à sa cliente jusqu'à ce qu'elle consente

à le vendre 1 fr. 60.

Ils l'obligèrent à l'écrémer devant eux et restèrent,

jusqu'à 9 h 30, assister à l'opération.

 

M. Ménez avait transmis le procès-verbal qu'il avait dressé contre les membres du syndicat laitier, au parquet.

 

Aucun fait délictueux ne s'étant officiellement passé,

l'affaire en était restée là.

Mme Tygréat avait affiché 1 fr. 60 le prix du litre de lait,

mais continuait à le vendre 1 fr. 50 à ses clientes.

 

Son fils, âgé de huit ans, mourait d'une méningite à l'hospice civil,

deux Jours après l'incident.

Le syndicat des laitiers décida de surseoir aux sanctions envisagées pour obliger Mme Tygréat à se conformer au tarif syndical.

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Depuis deux ou trois Jours, Mme Tygréat avait été l'objet de nouvelles menaces.

 

M. Courtin, commissaire central, avait prescrit d'établir une surveillance. M. Ménez se rendit en personne,

hier matin, aux halles Saint-Louis, avec deux agents, prêts à protéger la laitière.

 

À 7 h. 40, des membres du syndicat, au nombre d'une dizaine, entourèrent la stalle de Mme Tygréat et,

avant que les policiers aient pu intervenir, M. Jean-Pierre Le Lann, âgé de 35 ans, cultivateur au Penestro, en Guipavas, poussait le portillon de la stalle, y pénétrait et jetait dans deux pots de lait, l'un d'une contenance de 17 litres,

l'autre de 6 litres, du crottin de cheval et des étiquettes gommées portant en lettres rouges « lait écrémé ».

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M. Ménez pria tous les manifestants, se déclarant d'ailleurs solidaires, de le suivre au commissariat de la rue Kléber, où il les Interrogea.

 

Il commença par M. Le Lann.

 

— J'ai agi par ordre du Syndicat, dit-Il.

II a été recommandé à tous les adhérents d'empêcher, par tous moyens, Mme Tygréat de vendre son lait

à un prix au-dessous de celui fixé par le Syndicat.

 

— Vous avait-on prescrit de jeter du crottin dans le lait ?

— Non, J'ai pris seul l'initiative d'agir ainsi.

J'ai ramassé le crottin près des halles et l'ai jeté dans deux bidons de lait.

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Au cours d'une réunion tenue vendredi, salle Tervinoz,

à Lambézellec, il avait été décidé que tous les revendeurs,

sans exception, devaient vendre le lait 1 fr. 60 le litre.

 

Ce matin, vers 6 h. 30, J'ai rencontré aux halles M. Le Hir, président du Syndicat, et une dizaine de camarades du Syndicat.

Il avait été décidé d'aller attendre, place de la Liberté, le car S.A.T. pour vider les bidons de lait envoyés à Mme Tygréat par M. Gouriou.

 

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Nous vîmes des agents.

Nous revînmes alors aux halles et je jetai du crottin dans les bidons.

Le Syndicat n'avait pas indiqué les moyens d'action.

J'ai choisi celui-là, mais Je crois que, comme moi, le Syndicat doit en prendre sa responsabilité.

 

M. Ménez entend ensuite M. Jean Kerleroux. de Gouesnou, qui n'a pas vu Le Lann jeter du crottin,

mais estime qu'il a agi seul, tout en se conformant aux instructions données par MM. Paul Le Bloas, de Bohars, président de la Fédération, et Le Hir, président du Syndicat, qui, à la réunion du 24 juin, à laquelle assistaient

300 personnes environ, avait prescrit d'obliger par tous les moyens Mme Tygréat à se conformer au tarif syndical.

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Le frère du président de la Fédération comparaît ensuite :

 

— Mon frère Paul, dit-il, m'avait invité à venir aux halles à 6 h. 30.

J'y ai rencontré mes camarades Claude Morvan, de Keruscun, en Lambézellec ;

Félix Hautin, de Kerléguer ; nous étions une dizaine en tout.

N'ayant pu mettre à exécution notre projet de renverser à son arrivée place de la Liberté le lait de M. Gouriou,

nous revînmes aux halles.

 

J'ai été témoin du geste de Le Lann accompli d'accord avec les camarades.

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Je l'approuve entièrement et je le referai s'il est besoin.

Nous avons réussi à empêcher Mme Tygréat de vendre le contenu de deux bidons.

Nous ferons mieux la prochaine fois si elle ne se conforme pas

au tarif syndical.

 

MM. Claude Morvan et Félix Hautin n'ont pas vu l'incident,

étant arrivés en retard, mais Félix Hautin a dit qu'il aurait employé

à défaut de crottin, tout autre moyen pour empêcher Mme Tygréat de vendre son lait.

 

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Après avoir reçu ces déclarations. M. Ménez a adressé son procès-verbal à M. le procureur de la République,

qui chargera aujourd'hui un juge d'instruction d'ouvrir une information sur cette regrettable affaire.

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