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Fenêtres sur le passé

1938

Le drame de Landevennec

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Source : La Dépêche de Brest 3 novembre 1938

 

Le chemin, avant de choir vers Landévennec, court sur une arête, d'où l'on domine, par échappées, l'arrière rade.

À droite et à gauche, garennes et champs ont laissé place à quelques maigres bouquets de pins que le vent malmène.

 

Dans tout le pays, il n'est question que du double drame qui ensanglanta la soirée de mardi.

On l'évoque gravement dans les maisonnettes qui s'isolent au long des routes,

on en parle au hasard des rencontres et partout on déplore le si tragique événement.

 

Voici la maison où se déroulaient, hier, les faits que nous avons signalés dans notre dernier numéro.

Basse sur ses murs blanchis, elle se prolonge d'une étable et s'ouvre sur un horizon que le Menez-Hom

surplombe de toute sa masse.

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Face à la porte, de l'autre côté du chemin, de larges flaques de sang

se diluent sous la pluie.

C'est là, qu'après son geste de désespoir,

s'écroula le sergent Miossec.

 

Dans la maison, les traces du drame sont plus impressionnantes.

Sur un couloir s'ouvrent, face à face, deux portes: à droite,

la chambre-cuisine; à gauche, le débit.

 

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Ici, derrière le comptoir des boissons, le plâtre du mur est tout éclaboussé de sang.

Les bouteilles, rangées sut- l'étagère portent les mêmes tâches.

 

Dans la chambre, une bougie brûle dans un chandelier de cuivre devant un des lits recouvert

d'une couverture blanche, sous laquelle proéminent les formes d'un corps.

 

Mme Boussard, le crâne emporté, repose là.

 

Dans une autre maison, située sur le même chemin, un kilomètre plus loin,

le corps du sergent Miossec est veillé par sa mère.

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Mme Pierre Boussard, dont le mari est cultivateur, est née à Treuzilon, en Argol.

Agée de 52 ans, elle était mère de trois enfants :

Marie, 14 ans ; Pierre, 12 ans ; Jeanne, 11 ans.

 

En 1932, la famille vint habiter Ty-Rouz, en Landévennec, et Mme Boussard ouvrit un commerce de boissons,

épicerie et mercerie.

 

M. Louis Miossec, 32 ans, l'acteur du drame, sergent au 14e régiment d'infanterie coloniale,

en garnison aux Sables-d'Olonne. était depuis huit jours en permission chez sa mère,

demeurant à un kilomètre de la maison Boussard.

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Le crâne enlevé, le visage déchiqueté, la pauvre femme s'écroula sur des sabots rangés derrière le comptoir.

 

Le drame avait été si brusque que le détail des gestes qui l'avaient précédé avait échappé aux consommateurs.

On juge de l'affolement qui en résulta.

Bouleversé, le sergent sortit le fusil à la main, sans que nul n'y prît garde.

 

Directement il traversa le chemin et, au pied de la haie qui le borde à cet endroit,

il enleva la cartouche meurtrière la remplaça par une nouvelle et, le canon sous le menton, se fit sauter la cervelle.

 

On le retrouva étendu sur le dos, le crâne troué, défiguré, le fusil sur les jambes.

 

La brigade de gendarmerie d'Argol, immédiatement avisée par téléphone, se rendait aussitôt sur les lieux,

où arrivaient ensuite MM. le capitaine de gendarmerie et l'adjudant Petitgirard. 

M. le docteur Le Du, d'Argol, également appelé, ne put que constater les deux décès.

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Mardi soir, deux clients consommaient dans le débit, vers 18 h. 15,

quand arrivèrent trois chasseurs :

Les quartiers-maîtres Jean Camus, de La Forêt ;

Yves Le Stum de Kergonan, et le sergent Louis Miossec.

 

Ce dernier, heureux d’avoir passé une bonne journée,

fit son entrée en chantant.

Puis, tous trois, paisiblement, s’assirent sur un banc placé devant le comptoir.

D’après les témoignages, ils ne paraissaient nullement avoir bu.

 

Tandis Mme Boussard s'apprêtait à les servir, M. Louis Miossec,

qui portait son arme à la bretelle, voulut, soit la poser à terre, soit la décharger, car elle contenait encore une cartouche.

Ce faisant, le canon se trouva braqué vers l'aubergiste et le coup partit.

 

La charge, à un mètre cinquante tout au plus de distance,

atteignit Mme Boussard en pleine tête.

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Dans la maisonnette de Ty-Rouz, la soeur de Mme Boussard nous retrace le drame en pleurant.

Mais elle le fait avec réserve.

— « Je ne me trouvais pas là à ce moment, dit-elle, j'étais avec mon beau-frère dans l'étable où nous nous occupions des bêtes.

« Lorsque nous fûmes attirés par les cris, je vis partout du sang puis ma pauvre sœur étendue derrière le comptoir,

la tête fracassée, morte. » 

« Cela s'est produit si rapidement que personne ne peut rien expliquer.

Seul, mon neveu a vu tuer sa mère. »

 

Le jeune Pierre Boussard, en effet, se trouvait dans le couloir de la maison quand les chasseurs entrèrent.

Puis il vint curieusement s'appuyer à la porte intérieure du débit pour écouter les arrivants.

 

Lui. non plus, ne nous dira pas grand'chose.

Il est bien trop ému. 

— « Il était là sur le bout du banc, à côté des deux autres.

Il a enlevé son fusil de l'épaule et j'ai vu le canon dirigé vers ma mère.

Aussitôt le coup est parti... »

 

Drame affreux, qui fait trois orphelins pleurant devant un corps sans visage que l'on a dû recouvrir complètement.

Et qui aussi provoqua le désespoir d'une mère, à qui l'on rapportait le cadavre d'un fils qu'elle chérissait.

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