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Fenêtres sur le passé
1938
Le crime de Kérouil en Primelin
Source : La Dépêche de Brest 5 juillet 1938
La 3e session des assises du Finistère s'est ouverte hier lundi, à 13 h. 30, sous la présidence de M. Papin-Beaufond, conseiller à la Cour de Rennes, assisté de MM. Le Bourdeles et Le Zant, juges au siège.
M. Magnan de Bornier, substitut, occupe le siège du ministère public ;
Me Le Helloco, du barreau de Quimper, est au banc de la défense.
Greffier : M. Canévet ; huissier : Me Forget ; interprète : M. Goulaouic.
Après le tirage au sort des jurés, M. Canévet, greffier, donne lecture de l'acte d'accusation suivant :
Le 24 janvier, vers 15 h. 30, Daniel-Jean-Guillaume André, âgé de 24 ans, domestique de ferme à Kérouil, en Primelin entra au débit Masson, sis au même lieu, et, en compagnie de divers individus, y prit plusieurs consommations.
Comme il commençait à être énervé par la boisson, la dame Masson refusait de continuer à le servir.
Irrité par ce refus, André brisa son verre.
Au bout d'un instant, il quitta le débit, et, en sortant, rencontra Mlle Masson, qui causait sur la route, près de la porte, avec deux jeunes filles.
Elle lui reprocha d'avoir cassé le verre, dont elle tenait les morceaux dans la main.
André prit mal cette observation et, quittant ses sabots, poursuivit un moment les trois femmes qui,
prises de peur, s'enfuyaient.
Ensuite, il se rendit dans un autre débit, y prit encore une consommation et se décida, enfin,
à rentrer à la ferme de son patron.
Mais en passant devant le débit Masson, il eut, dit-il, l'idée de payer le verre qu'il avait cassé.
Il frappa à la porte qui était fermée ; puis, comme on ne lui répondait pas, il frappa aux volets de la cuisine,
sans plus de succès.
Ceux-ci ayant simplement été tirés, il les ouvrit et cria qu'il ne paierait pas le verre cassé.
M. Masson, qui dînait alors avec sa femme et sa fille,
ouvrit la fenêtre et engagea André à rentrer chez son patron.
Au lieu de suivre ce conseil, André saisit M. Masson par les épaules et,
le fit basculer par la fenêtre.
Les deux hommes se tenant à bras le corps, atteignirent la chaussée.
À ce moment, André se mit à frapper sa victime à la tête
avec son couteau ouvert.
M. Masson tomba, se releva aussitôt, et poursuivi par André qui continuait
à le frapper, se dirigea vers le pignon de sa maison où il tomba de nouveau
en disant : « Je suis tué ! ».
Cependant, il réussit, encore à se relever et revint vers la fenêtre de la cuisine, par laquelle sa fille essaya de l'attirer à l'intérieur de l'habitation.
Mais elle fut repoussée et même légèrement blessée par André qui continuait
à frapper sa victime.
M. Masson se dirigea alors vers la porte de sa maison.
Il ne put l'ouvrir et revint en trébuchant vers la fenêtre, mais, avant d'y arriver, perdant son sang en abondance,
il tomba pour ne plus, se relever.
Le malheureux avait succombé à une hémorragie provoquée par la section de la carotide.
André s'en alla vers la ferme de Kérouil en disant :
« Je l'ai tué, je l'ai tué ».
Il cacha son couteau sous son matelas, se coucha et s'endormit.
Il a reconnu les faits sans difficulté, prétendant seulement que Masson
lui avait porté un coup de poing.
Bien qu'il n'ait jamais été condamné, les renseignements fournis sur l'accusé
ne sont pas favorables.
Il est travailleur, mais s'adonne à la boisson, et lorsqu'il est en état d'ivresse,
il devient méchant et menace facilement de son couteau.
André a été soumis à un examen mental.
En raison d'une crise d'épilepsie qu'il aurait eue au cours de son service militaire et à la suite de laquelle il a été réformé, le médecin aliéniste qui l'a examiné
a estimé que, sans être supprimée, sa responsabilité était cependant atténuée.
Daniel-Jean-Guillaume André est accusé d'avoir à Primelin, le 24 janvier 1938, volontairement donné la mort au sieur Jean-Yves Masson.
Le président Papin-Baufond procède à l'interrogatoire de Daniel André.
Celui-ci sans donner des preuves d'une grande émotion, répond nettement aux questions qui lui sont posées.
Il reconnaît les faits qui lui sont reprochés et exprime de nouveau les regrets qu'il a manifestés à l'instruction.
Ce jeune domestique de ferme, dont la mise est correcte, ne semble pas se rendre absolument compte de la gravité des faits qui l'ont amené devant ses juges.
Le distingué praticien ayant examiné le cadavre du malheureux Masson, a constaté que la carotide
et la veine jugulaire avaient été touchées.
Il a relevé également trois, coups de couteau sur le corps, blessures faites avec un instrument plus piquant
que tranchant.
De plus il a relevé une marque importante de coupure à l'un des bras.
La mort est due à des lésions au cou, ayant entraîné des hémorragies très importantes.
Sur question du président, le docteur Renault déclare que les coups ont été portés avec une extrême violence.
La main droite de Masson tenait, très serré, le morceau de bois qui fermait ses volets,
ce qui prouve qu'il a été surpris par la brusque agression de Daniel André.
Le chef de brigade Antoine dit dans quel état il a trouvé le cadavre de la victime, quand il arriva sur les lieux du crime, peu de temps après le drame.
Il déclare que lorsqu'il arrêta André, couché chez son patron, il était encore en état d'ivresse.
On dut l'aider à s'habiller et, une fois conduit à la gendarmerie, il fut en cours de la nuit,
impossible d'obtenir de lui des explications.
Le lendemain matin, étant presque revenu dans son état normal, André a reconnu les faits et avoué
qu'il avait frappé Masson sans raison.
Les renseignements recueillis sur André sont mauvais, c'est un ivrogne, néanmoins il était assez travailleur.
Par contre les renseignements recueillis sur la victime sont excellents.
Sur question du défenseur, le chef de brigade Antoine dit que le lendemain du crime André a exprimé des regrets.
Mlle Masson, 16 ans, connaissait André qui était un client de la maison
Le soir du drame, comme André était ivre, Mme et Mlle Masson refusèrent de lui servir à boire.
Il cassa un verre.
Mis à la porte il revint quelque temps après l'arrivée de M. Masson à la maison et frappa aux volets de la fenêtre.
M. Masson ouvrit, André se jeta sur lui le fit basculer par la fenêtre et le frappa à coups de couteau.
Mlle Masson, très émue, fait, assise sa déposition à voix basse, mais répond très nettement aux questions
qui lui sont posées par le président ce qui du reste n'est que le résumé des faits consignés dans l'acte d'accusation.
Mlle Masson déclare qu'André buvait beaucoup et avait été plusieurs fois menaçant.
Néanmoins il était en assez bons termes avec M. Masson, qui lui faisait même parfois un peu de crédit.
Mme Masson, née Cadona, est sourde elle a 50 ans, et ne répond pas aux questions qui lui sont posées.
C'est pourquoi Mlle Masson est appelée pour faciliter l'interrogatoire de sa mère, mais devant l'impossibilité
de se faire entendre par le témoin, le ministère public et la défense renoncent à l'audition de Mme Masson.
Francis Claquin, 18 ans, employé chez un marchand de vin d'Audierne, visitait le jour du crime sa cliente,
Mme Masson, quand il fut appelé à boire un verre que lui offrait André ;
voyant dans quel état celui-ci se trouvait, il refusa son invitation et sortit de la maison.
Claquin ne connaît rien du crime ayant quitté le débit Masson deux heures avant le drame.
Mlle Marcelle Jeannic, 16 ans, sans profession, demeurant au village de Keraudiern, en Esquibien, était allée,
le 24 janvier au débit Masson avec une amie.
Elle vit André qui venait de casser un verre, et qui se disputait avec Claquin ;
elle le vit aussi sortir du débit et courir après elle et ses amis en les menaçant de son couteau.
M. Clet Heurté 33 ans, cultivateur en Primelin, avait depuis quatre ans chez lui André comme ouvrier agricole
M. Heurté relate les faits qui se sont déroulés le 24 janvier, faits portés dans l'acte d'accusation.
Il vit le soir du drame André rentrer chez lui ivre et ensanglanté, se coucher, puis il assista à son arrestation
par les gendarmes d'Audierne.
M. Heurté déclare qu'André était ivre et qu'il lui dit de suite qu'il avait été menacé par Masson.
Il donne de bons renseignements sur André au point de vue du travail et de l'honnêteté, mais il buvait beaucoup et, affirme le témoin, on lui donnait trop à boire chez les époux Masson, tant qu'il avait de l'argent.
Sur question du défenseur, M. Heurté dit, qu'en état d'ivresse, André était très nerveux, mais pas méchant.
M. Daniel Laouenan, cultivateur en Primelin, a été un des premiers appelé sur les lieux du drame.
Il avertit les gendarmes.
Le témoin déclare qu'il a déjà vu plusieurs fois André, étant ivre, menacer différentes personnes de son couteau.
Les renseignements que donne le témoin sur André sont également bons pour le travail
mais mauvais en ce qui concerne ses excès de boisson qui le mettaient dans un état de nervosité tel,
qu'il menaçait les gens quand ils lui faisaient des observations.
Le docteur Lagriffe, médecin chef de l'asile des aliénés, déclare qu'André est un solide garçon,
mais qui a des origines assez douteuses et qu'il aurait eu quelques crises d'épilepsie ;
sa responsabilité est très peu diminuée.
André, somme toute, est au point de vue physique, normal, d'intelligence moyenne,
et les faits qui lui sont reprochés doivent être attribués à l'ivresse.
M. Magnan de Bornier substitut, fait un émouvant tableau de ce nouveau drame de l'ivresse.
L'éminent magistrat retrace l'enfance lamentable d'André, enfant naturel, vivant dans un milieu où sa mère,
même sa grand-mère, s'adonnaient à la boisson.
À partir de l'âge de 15 ans, il devient domestique de ferme, il est travailleur, mais bientôt il se met à boire
et étant ivre est déjà menaçant, aussi son premier employeur dut, pour cette raison, le congédier.
Son dernier patron donne les mêmes renseignements sur André, qui s'enivrait presque tous les jours et était sournois.
« L'ivresse, dit M. Magnan de Bornier, n'est pas une excuse, c'est la source de trop de drames
ayant eu leur dénouement sur ces bancs des assises...
Les crimes commis sous l'empire de l'ivresse doivent être punis. »
La responsabilité d'André, d'après les déclarations du médecin psychiatre peut être diminuée,
mais dans de très faibles proportions.
C'est pourquoi, André, ayant tué volontairement, doit être sévèrement puni,
car le crime qu'il a commis est grave, accompli avec une sauvagerie inouïe.
Le distingué substitut ne s'oppose pas aux circonstances atténuantes, mais il ne faut pas oublier que le brave
et honnête Masson a laissé une veuve et une jeune fille dont la douleur est grande,
il demande pour André une peine de vingt ans de travaux forcés.
Me Le Helloco, s'étant incliné devant la douleur de Mme et Mlle Masson, se demande si André,
élevé d'une façon déplorable, avait bien l'intention, le 24 janvier, de tuer Masson.
André est un travailleur, mais c'est un malade et c'est pour cela qu'il boit et qu'étant ivre il ne peut être considéré comme responsable de ses actes, c'est un anormal.
Le chaleureux défenseur demande une condamnation humaine, quelques années de réclusion pour son client,
marqué depuis sa naissance, par le malheur.
Après une courte délibération des jurés.
Daniel André est condamné à dix ans de travaux forcés et dix ans d'interdiction de séjour.