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Fenêtres sur le passé
1938
Colonie de vacances de la Marine à Camaret

Source : La Dépêche de Brest 6 septembre 1938
Auteur Auguste Dupouy
C’est un des spectacles les plus quotidiens et les plus édifiants du bord de la mer, entre juillet et septembre,
que celui des petits citadins qui s'y s’ébattent en groupes, sous la conduite d'éducateurs assez souvent bénévoles.
Colonies de vacances : le mot, comme la chose, est devenu courant.
D'initiative privée ou publique, l'œuvre est bonne, et il n'est que de fréquenter nos armor pour se rendre compte qu'elle est tout à fait passée dans les mœurs françaises.
Il se peut que l'Allemagne, nation pédagogique par Excellence, fasse mieux.
Mais, dans notre pays individualiste, le résultat obtenu en si peu de temps est en vérité remarquable.
J'ai visité dernièrement, par un beau jour ensoleillé, l'une de ces colonies de vacances, celle de toutes qui mérite,
je pense, d'être la plus chère à des cœurs brestois et bretons, puisqu'elle est organisée par la marine pour la marine, c'est-à-dire pour des enfants de marins ou d'ouvriers des arsenaux, et qu'elle représente, en somme,
un des services du port de Brest.
L'installation se trouve à proximité de Camaret, sur la dune qui monte en pente douce jusqu'au castel
de Saint-Pol-Roux, poétique belvédère sur l'Océan.
À gauche d'un chemin sablonneux, la lande de Lagatjar et ses menhirs, naguère relevés par les soins d'un préhistorien de tragique mémoire ; à droite, les bâtiments de la colonie.
C'étaient, il y a encore peu de temps, des casernes d'artilleurs :
On en a fait des réfectoires et des dortoirs d'enfants, après un certain nombre de transformations et modernisations.
Le confort et l'hygiène y ont gagné.
Mais, pour les yeux, ils restent à peu près ce qu'ils étaient d'abord : de longs rez-de-chaussée tout simples,
ayant pour seule parure leur netteté.
Je les ai parcourus sous la conduite de
M. l'officier d'administration Goarnisson, dont le bureau est,
rue Louis Pasteur, dans un bel hôtel brestois du XVIII' siècle, d'extérieur un peu délabré, siège des œuvres sociales
de la marine, mais qui est, pendant deux mois d'été,
le directeur de la colonie de vacances de Camaret.
En m'expliquant le plus obligeamment du monde
le fonctionnement de la colonie, il m'a fait passer entre des files de petits lits à couverture bleu marine (naturellement),
à l'heure où les enfants se préparaient à s'y étendre pour la sieste quotidienne, qui est de rigueur, fenêtres ouvertes et volets clos.
Dort qui veut ou qui peut :
Mais, une heure durant, tout notre petit monde repose.

Dans un réfectoire, les anciens du Jules Ferry pourraient reconnaître le long buffet en noyer de ses officiers ;
et les assiettes sont celles de la marine, avec l'ancre emblématique et le filin.
Je puis garantir que ce qu'on y sert est hautement louable, excellemment cuisiné, et de suffisante abondance
pour satisfaire de jeunes appétits aiguisés par l'air pur et l'exercice.
L'eau est verdunisée.
Les soins de propreté sont ponctuels ; les têtes, nettoyées à l'alcool camphré dès le jour de l'arrivée,
sont l'objet d'une attention spéciale qui n'a rien à voir avec la mise en plis.
Il y a une infirmerie et deux infirmières, une chambre d'isolement pour éviter les contagions possibles,
un cabinet pour le médecin de la marine qui vient de Brest, tous les lundis, faire sa visite,
suppléé en cas d'urgence par un médecin civil de Camaret.
Mais les enfants ne vont pas là pour être malades ;
ils y vont pour bien se porter, jouer, rire,
prendre des bains de mer et des bains de soleil.
Une admirable plage est toute proche, sous la dune gazonnée
qui semble un tapis de laine, souple au pied,
émaillée d'harmonieuses fleurettes
et fleurant un pharmaceutique parfum d'immortelles.
C'est Pen-Hat, un croissant de sable fin, doré, immaculé,
entre les pointes rugueuses de Pen-Hir et du Toulinguet.
La mer, ce jour-là, y était virginale, toute émeraude et saphir.

Site splendide comme aux premiers jours de la création, et à désespérer tout autre peintre que Saint-Pol-Roux,
qui a chaque jour ce spectacle sous les yeux et dans la tête le plus riche écrin de vocables pour en rendre,
s'il veut, la magnificence.
Mais les enfants de la colonie ne vont pas se baigner là, car il y a danger.
On les mène à la plage plus sûre de Veryhac'h, autre beauté que la civilisation n'a pas trop déflorée encore.
Ils s'y rendent en chantant, ils la quittent en chantant, le chant étant, pour les enfants en groupe
comme pour les soldats, quand on les promène, la plus recommandable des choses.
Pendant un mois, une centaine de fillettes (96, pour être exact), venues de Brest, de Lorient, de Rochefort, etc., mènent là
cette tonique vie d'équipe, réparties, selon l'âge, en trois familles, et surveillées par des « pilotes » dont le mot d'ordre est
de ne pas abuser de leur autorité.
Pendant le mois suivant, une centaine de garçonnets sont soumis (si l'on peut dire) au même régime :
« La force par la joie », dit-on outre-Rhin.
Au lieu de force, disons plus modestement la santé,
et c'est déjà bien beau.
Santé physique et santé morale.

Quel bienfait pour ces petits, quand on veut bien y réfléchir !
Cette colonie de Camaret est, il est vrai, une colonie modèle.
Elle le sera davantage encore quand un peu de verdure (on y pense depuis la visite récente de Mme Campinchi)
viendra adoucir la lumière un peu aveuglante et la sécheresse des sables où s'alignent ses bâtiments.
Et savez-vous ce que paient les heureux parents qui lui confient leur progéniture ?
3 francs par jour.
Les Assurances sociales en ajoutent 7, et c'est avec ces 10 francs quotidiens que la marine,
grâce aux moyens dont elle dispose, nourrit, héberge, soigne chacun de ces jeunes pensionnaires d'un mois.
Le règlement intérieur articule que « chaque enfant doit conserver un excellent souvenir de ses vacances »,
qu' « une discipline particulièrement souple doit laisser aux jeunes colons une impression de liberté, d'espace, de plein air, tout en cherchant à développer en lui le sens social, le désir de servir la collectivité dans laquelle il vit. »
On ne peut mieux dire, et telle est bien la pensée de tout scoutisme, auquel s'apparentent les colonies de vacances.
La solitude est souvent une excellente chose ;
mais nous connaissons trop en France certain individualisme grognon pour ne pas bénir ces groupes joyeux
où la bonne humeur domine, où la joie de l'un apprend
à se multiplier par celle des autres.
Quant à l'impression de plein air, d'espace et de liberté,
où la mieux ressentir, je vous le demande, que sur ces extrêmes pointes de notre vieux continent, lorsqu'on a les yeux frais
de l'enfance et l'Atlantique devant soi ?
