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Fenêtres sur le passé

1938

Le beau destin de Camaret par François Ménez

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Source : La Dépêche de Brest 3 septembre 1938

 

J'aime à me figurer Camaret, tel qu'il devait être, il y a quelque cinquante années, 

avant qu'y débarquât Richon Brunet.

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Richon Brunet

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La Bretonne de Camaret

Richon Brunet

 

Il se réduisait à peu de chose :

Le Sillon, avec la chapelle et le fort Vauban, le port, qui n'avait pas encore poussé ses maisons neuves, toutes du même gabarit, à l'assaut de la montagne.

Les rues ne portaient pas les beaux noms qu'on leur a donnés depuis lors ; elles s'appelaient, tout bonnement,

« la rue de devant » et « la rue de derrière », étroites, comme elles le sont demeurées, et sans prétention,

« la rue de derrière » se souvenant d'avoir été, avant le quai rapporté, « la rue de devant » dont les escaliers extérieurs servaient de cales d'accostage et dont les portes laissaient passer par une fente, aménagée au-dessus du linteau, les pelles des avirons.

 

Les Camarétois péchaient la sardine, à la limite des eaux jusqu'où remontait le poisson, sur des barques non pontées à deux mâts égaux, différentes de celles des Douarnenistes.

Mais c'étaient déjà des hommes fiers, ayant un quant-à-soi marqué, et qui tenaient à se distinguer des paysans des villages avoisinants, aux maisons couleur de bouse, qui mangeaient du pain de seigle et parlaient breton.

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Jim Sévellec

Pareils en cela aux Concarnois, les Camarétois mettaient leur honneur à ne parler que français.

Cela ne tenait sans doute pas à la proximité de Brest, moins français, au point de vue de la langue, que breton.

Cela venait plutôt, au dire de Camarétois avertis, de ce que leur rade était depuis longtemps « assurée ».

Ainsi, en cas de coups de chien, assez fréquents en ces parages où la mer est généralement agitée, les navires en danger, au lieu de risquer la traversée périlleuse du goulet, cherchaient plus volontiers refuge à Camaret.

 

Camaret devait à ce privilège d'avoir donné asile à des matelots de toutes les côtes de France et du monde.

Et à ce contact, il avait élargi ses horizons.

Et sur ces bords disputés, qui commandent les grandes routes maritimes, ç'avait été longtemps aussi une sorte de port guerrier.

Français, Anglais, Hollandais, Espagnols s'y étaient souvent combattus.

Les noms des roches et des grèves y rappellent un vieux passé de lutte, mais surtout contre l'Anglais :

le Lamp-Saoz, la Mort anglaise, le Trez-Rouz dont les sables ne sont si rouges que d'avoir été colorés du sang des équipages et de l'or des galions anglais qui y sombrèrent sous les coups des Camarétois.

 

Il arriva à Camaret ce qui est arrivé à bien d'autres ports bretons :

La population autochtone s'y est mêlée d'apports étrangers.

Et le caractère exubérant et gai de notre ami Jimmy Sévellec, l'infant prodigue de Camaret et Camarétois cent pour cent, s'il en est un, m'a toujours fait penser qu'il circulait dans les veines des Sévellec quelques gouttes de sang espagnol, ou tout au moins gascon.

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Jim Sévellec

Comment expliquer, autrement que par quelque intervention méridionale, en des temps indéterminés, l’existence, en pleine terre bretonne, de la chapelle de Rocamadour, dont la couleur d'ocre et le nom débordent de soleil aquitain ?

 

Camaret vivait donc, il y a un demi-siècle, le temps des guerres à l'Anglais heureusement révolu, du seul produit de sa pêche, entre la chapelle, le fort Vauban et le canot de sauvetage qui figuraient, aux yeux des Camarétois, épris de symboles :

La Foi, l'Espérance et la Charité.

Entre la chapelle et le fort, sur une butte gazonnée, — le fortin des Boulets rouges — quatre vieux canons, peu redoutables et qui se chargeaient par la gueule, maintenaient au Sillon un petit air guerrier.

Sur la colline, des moulins à vent montaient la garde, dont seul subsiste celui de Kermeur.

 

Tout autour, dans l'abri des promontoires, les grèves du Corréjou, de Pen-Hat et du Veryach,

entre les points de Lamp-Saoz et de Penhir, étaient désertes comme aux premiers matins du monde.

 

C'est ainsi que les connut Richon-Brunet, qui fut le premier touriste à débarquer à Camaret,

venant par le courrier de Brest.

Il n'y avait guère d'autre moyen, en ce temps-là, d'accéder à cette pointe perdue de la presqu'île, séparée de Châteaulin ou du Faou par des lieues et des lieues de très mauvais chemins.

Ainsi Camaret ne recevait la visite que d'assez rares Brestois qui ne craignaient point le mal de mer.

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Charles Cottet (1863-1925)

Lamentation des femmes de Camaret autour de la chapelle brûlée de Rocamadour,

1911, huile sur toile, 137 x 178 cm,

© musée des beaux-arts de Quimper

Ce port plut à Richon-Brunet et celui-ci prit pension à l'hôtel de la Marine, le seul qui existât à cette époque, chez la bonne Mme Dorso, hôtesse maternelle, qui était pour tout le monde, clients de passage et Camarétois, tante Rosalie.

 

Richon-Brunet fut bientôt suivi par Gustave Toudouze, le romancier de Péri en mer, qui ne tarda pas à y attirer les peintres Charles Cottet et Sauvaige.

 

Puis ce fut au tour d'Antoine, le prochain créateur du Théâtre libre, demeuré jusqu'à présent fidèle à Camaret, et de Georges Ancey, le dramaturge, de Wolf, Descaves, Bernstein et Ajalbert.

 

Entre temps, Saint-Pol Roux y avait débarqué lui-même.

C'était au beau temps du symbolisme et de la Dame à la Faulx.

Le Magnifique y était venu, fuyant le Paris désert et brûlant des premières semaines d'été, sur l'oracle formulé par une voyante bretonne, découverte au pardon des Batignolles.

Il avait pris le train à Montparnasse pour le Pen-ar-bed inconnu, puis au port de commerce de Brest le vapeur de Camaret, ignorant sans doute, dès l'abord, qu'il s'était laissé guider par l'étoile de son destin.

Il n'était venu à Camaret que pour un week-end d'une époque où les néologismes anglais ne faisaient pas encore, comme de notre temps, fureur, et où les lois sociales n'étaient pas votées.

Il y est encore aujourd'hui.

 

C'est qu'il avait trouvé dans la solitude du Toulinguet, hantée des goélands, le cadre de sa vie spirituelle.

Et dans les pêcheurs de sardines et de soles, lui, le pêcheur d'images à la barbe d'apôtre, guetteur de symboles, il avait trouvé des frères de la côte, rudes et francs, faits pour le comprendre et l'aimer.

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C'est à cette même époque qu'au Salon des Artistes français, le tableau de Charles Cottet, l'Heure rose représentant Camaret dans l'enchantement du soleil tombant, offrant ses pierres et ses eaux aux mille caresses de la lumière mourante, connut les honneurs de la cimaise.

 

Voilà comment le petit port breton, inconnu la veille, perdu aux bords éventés du monde, devint du jour au lendemain célèbre dans le monde entier, aimé des poètes et des artistes séduits par sa couleur.

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