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Fenêtres sur le passé
1938
Pour une anthologie de Brest
par François Ménez
Source : La Dépêche de Brest 13 novembre 1938
La conférence de notre ami et collaborateur M. Delourmel, faite l'autre soir au Cercle Universitaire de Brest, eut,
outre le don de charmer un nombreux public, qui se plaît aux évocations d'un passé tragique ou pittoresque,
celui de suggérer l'idée, au chroniqueur littéraire de notre journal, d'une Anthologie brestoise,
réunissant les plus belles pages inspirées, à travers les siècles, par le grand port de guerre de l'Occident.
À vrai dire, cette suggestion avait été déjà exprimée par Auguste Dupouy, dans son beau livre :
« Face au Couchant ».
Parlant de l'âme de Brest, « à laquelle Michelet croyait peu, et Flaubert encore moins », Auguste Dupouy évoquait
la fortune littéraire de notre port et indiquait rapidement les éléments d'une magnifique anthologie
qui ne tardera désormais plus, espérons-le, tout au moins, à voir le jour.
Peu de villes maritimes ont eu cette fortune d'inspirer aussi diversement d'aussi nombreux écrivains.
Le Cercle Universitaire de Brest, qui est, en effet, plus en mesure que tout autre groupement de notre ville d'enrichir et d'éditer cette anthologie, n'aurait point de peine à réunir deux centaines de pages, choisies parmi les plus belles, les plus émouvantes que Brest ait inspirées.
Peut-être conviendrait-il d'y faire une place au fragment du poème épique
En seize chants d'Honoré Dumont, et aux extraits de la revue brestoise :
« les Fiançailles de la Rade », évocateurs du vieux Brest dont se perd de plus
en plus le souvenir et qui plurent si fort, paraît-il, aux auditeurs de M. Delourmel.
II serait intéressant d'y faire figurer de même quelques extraits de ces instructions de Vauban, dont le style, tout administratif qu'il soit,
rappelle celui des ordonnances de Colbert, dont les préambules ont la dignité d'une porte triomphale.
C'est à peu près tout ce qui nous reste, au point de vue littéraire, pour,
ce qui concerne la vie de Brest, d'une époque où les officiers de marine,
moins souvent dans les ports qu'à la mer, sur les vaisseaux du Roi, n'avaient point accoutumé de transcrire leurs impressions ni de livrer au public leurs confidences.
Et c'était un temps où les terriens ne voyageaient guère et ne connaissaient rien de la vie maritime.
Mais avec le romantisme, combien Brest est à l'honneur !
Chateaubriand, garde-marine, promène aux bords de la Penfeld ses nostalgies de découvreur de mondes,
l'oreille tendue « aux coups de marteau du calfat » ou au son du canon « d'un vaisseau qui mettait à la voile ».
Puis c'est Michelet, en son « Tour de France », se penchant sur l'estuaire aux rives surchargées de bâtisses,
étouffant dans ce port dont il lui semblait que les masses allaient se heurter.
Puis Flaubert, qui comprit assez peu la poésie de Brest, mal faite pour toucher son esprit normand.
Et avec quel dédain il parle de « toutes ces piles de canons, de boulets, d'ancres, du prolongement indéfini de ces quais qui contiennent une mer sans mouvement et sans accident, une mer assujettie qui semble aux galères »,
de « tout ce mécanisme sombre, impitoyable, forcé », de « cet entassement de défiances organisées »,
qui « bien vite lasse la vue et vous encombre l'âme d'ennui ».
Pierre Loti
Combien Pierre Loti a jugé différemment ce port des brumes dont il subit l'envoûtement ;
avec quelle amitié il s'est penché sur ces quartiers brestois, héroïques dans leur décrépitude,
de Keravel et de la Grand'Rue. sur ces longues rues grises de granit et de brume,
dont il a retracé la vie avec un réalisme mêlé de poésie !
Et c'est, plus près de nous, le Chevrillon des « Derniers reflets à l'Occident »,
déçu au spectacle d'un Brest transformé par l'esprit moderne, où il recherche en vain
la poésie du passé, l'esprit « vieille France » de ses jeunes années.
Un Chevrillon qui n'a pas dit son dernier sur ce port plus fidèle qu'il ne l'a cru
à des traditions d'honneur et d'héroïsme qui lui ménagea, dans ses retraits de Penfeld
et de la Villeneuve, où se passèrent ses jours d’enfance, de douces joies qu’il évoquait devant nous, il y a dix ans chez un commun ami quimpérois
C'est encore Mac-Orlan, recherchant à Brest un pittoresque tout différent, celui des bouges sordides
et des boites à matelots.
Et Louis Marsolleau, natif de Recouvrance, et qui traduisit dans un poème admirable,
que bien peu de Brestois connaissent, le charme souffreteux de son quartier natal.
Et Joseph Creac'h, au génie douloureux et véhément, qui fut l’homme d'un seul livre : « Mundez le Léonard »,
mais qui, dans cet ouvrage amoureusement conçu, sut enclore quelques-unes des pages les plus suggestives,
les plus riches de couleur et de passion que contienne la littérature bretonne de ces cinquante dernières années.
Et Auguste Dupouy lui-même, évocateur dans son « Face au Couchant », de cette « cité du vent » aux ruelles lépreuses qu'est Keravel et de sa petite « Suburre » où la débauche se mêle d'ingénuité.
Pierre Mac Orlan
Louis Marsolleau
Et Catherine Beauchamp, la dernière en date des essayistes brestois,
si spontanée, si sincère, peintre à la fois rude et attendri d'un petit peuple
de la mer dont elle est issue, dont elle a partagé les alarmes et les abandons !
Que voilà bien de quoi tenter un anthologiste lui-même épris du pittoresque de sa ville.
Nous imaginons fort bien le lettré délicat, le fin critique littéraire
qu'est M. Edmond Soufflet, président du Cercle Universitaire,
se consacrant à cette tâche pour laquelle il est, plus que tout autre désigné
et qui lui vaudrait la gratitude des innombrables amis de notre vieux port.
Brest, port de la Bretagne et du monde, porte grise,
hublot ouvert sur l'infini de l'Occident...
Et dans l’Introduction qui préluderait à cette anthologie, à quelle subtile analyse ne pourrait-il se livrer des raisons qui ont valu à Brest,
plutôt qu'à Toulon ou à tout autre port, de retenir l'attention des poètes
et des écrivains !
Nous l'imaginons menant à ce propos une enquête préalable auprès
des écrivains maritimes qui, plus que d'autres, sont capables de démêler ces raisons pour avoir connu les deux ports et confronté leurs mérites :
le commandant Rondeleux qui, dans ses « Derniers jours de la marine à voiles »,
a si bien décrit l'exaltation des rentrées de campagne, après des années de navigation, et l'ardeur un peu inquiète des appareillages ;
Claude Farrère, Paul Chack et Louis Guichard, collaborateurs précieux,
à la Revue maritime, du capitaine de frégate de Loys, lui-même si sensible
à la poésie grise de notre port.
Peut-être estimeraient-ils que Brest l'emporte sur Toulon, dans le domaine littéraire, par son décor et son atmosphère si particuliers, par les sujets d'inspiration
qu'y peuvent puiser, sans en tarir la source, les écrivains et les poètes.
On y sent toute proche, derrière le Goulet, la mer, génératrice d'héroïsme,
des sauvages tragédies.
Mais cette mer, marbrée de houle, s'avance, au creux de la Penfeld,
jusqu'au cœur des vieux quartiers.
Édmond Soufflet
Elle va, comme au-devant de l'homme, pour lui chanter, jusque sous son toit, sa vieille chanson d'espoir et d'aventure.
Elle transfigure les ruelles les plus sordides, jette sur les logis lépreux et les haillons qui sèchent aux cartahus
un reflet d'héroïsme et de poésie.
À un peuple qui, quoi qu’elle lui ait fait endurer, lui reste fidèle, elle dit tout un passé de souffrances et joies,
de gloire et de revers.
Et ce que les littérateurs ont de tout temps aimé en Brest, c'est ce poème de la mer qui, nulle part ailleurs,
n'est aussi riche de tendresse ni de douleur humaines.
François MÉNEZ.