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Fenêtres sur le passé

1938

À bord de nos vapeurs sur les côtes finistériennes
par Charles Léger

 

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Source : La Dépêche de Brest 22 juillet 1938

 

Entre la bousculade des nuages emplis de forces mauvaises et le hérissement haineux des vagues chaotiques, la tempête a passé.

 

Des gestes généreux, des actes sublimes furent accomplis.

On en relatait dimanche, tandis que l'on inaugurait les deux canots à moteurs dont la Société centrale de sauvetage des naufragés a doté les stations d'Ouessant.

Devant l'accord intime des éléments déchaînés, les hommes, que divisent si profondément les petitesses de la vie courante, se sont unis fraternellement jusqu'au suprême sacrifice.

 

Deuils qu'on s'efforce de rendre moins douloureux, misères qu'on tente de soulager..., la tempête a passé.

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Le soleil flamboie au coin d'un ciel d'azur.

Il joue sur les plissements qu'un souffle tiède fait courir à la surface infiniment bleue de l'Océan.

Les beaux jours sont revenus.

 

Fils déférents d'une nature ingrate, les hommes sont accourus à son premier sourire pour lui faire fête.

Ils se montrent empressés précisément pour cette mer qui, hier, semblait vouloir les anéantir.

 

Des voiles blanches, brunes bleues, se déploient au long des mâts ;

des vapeurs sifflent, des sirènes chantent, des étraves tracent un sillon fugitif..., le soleil est revenu.

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Notre rade ce matin, paraît enchâssée un immense miroir dans l'infinie variété de ses caps de ses anses, de ses ports.

La mer, en effet, comme aplanie avec un soin méticuleux reflète un ciel pur que les images de tout ce qui la borde ou la domine.

 

Brusquement, une étrave a surgi rompant le charme.

Comme un diamant, elle court sur la surface polie ;

comme un soc elle s'y enfonce abandonnant à l'avant du navire gracieusement incurvé le soin de rejeter en volutes écumantes l'eau qu'elle propulse avec rapidité.

L’Enez Eussa fonce vers le large.

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L'Enez Eussa assure le service de l'archipel d'Ouessant.

Il emmène aussi certains dimanches ses passagers vers l'île de Sein.

 

Il nous était venu voici bientôt quinze ans sous le nom de Celuta.

Évidemment, pareille appellation ne répondait ici à rien.

 

Ancien yacht d'archiduc autrichien.

Il avait été construit en Ecosse en 1906 et chauffait au mazout.

Comme il ravi taillait pendant la guerre les sous-marins ennemis, il fut saisi puis transformé en patrouilleur.

 

Lors de la liquidation de la flotte d'Etat on le vendit à une compagnie de Granville qui assurait un service régulier avec Jersey.

Il reliait le port de la Manche avec les îles Chausey, quand notre département l'acquit.

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Sous le soleil n'est-elle pas plus belle terre cette Bretagne que l'on s'obstine à voir voilée de grisaille et nimbée de tristesse !

 

Même par les mauvais jours, le ciel, sombre, la lande rase est-elle plus affligeante que le terrain vague sous le ciel de suie ?

Les ajoncs et la mousse qui tapissent ce pays accidenté sont-ils plus mélancoliques que de vagues végétations se desséchant sur d'uniformes plaines ?

 

Sont-ils plus moroses que les interminables forêts de pins, ces bois où se mêlent toutes les essences ?

Sont-ils moins heureux que d'autres, ces panoramas parsemés de bosquets dissimulant des villages, mais d'où s'élancent des flèches de clochers divinement ajourées ?

 

Et quelle fraîcheur se dégage de ces innombrables rivières et quelles teintes marquent la bordure ouvragée des côtes !

 

Sombre cette Bretagne dont les fils marquent leur amour des couleurs en s'en vêtant de pied en cap !

 

La tristesse émane-t-elle des tabliers chatoyants, des vestes brodées, des coiffes de dentelles ou de cervelles incurablement neurasthéniques ?

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Puissants, des sifflets vibrent, jetant par l'air calme l'émoi des départs.

On court au bord du quai.

Des retardataires.

On court toujours ainsi.

 

Les hélices battent, les navires s'ébranlent.

Ils pointent vers la sortie du port.

C'est le Plougastel, le Crozon, le Camaret, la vedette Quélern.

 

Avec l’Enez Eussa, ils s'en vont suivre les divers axes de la boussole.

Landerneau, Trégarvan, Le Fret, Lauberlach, Quélern, Camaret, Sein, Molène, Ouessant...,

diversité infinie de la terre finistérienne vers quoi l'on s'empresse toujours sans jamais se lasser.

 

Il n'est point meilleure preuve que le nombre des passagers transportés, 200.000 pour les vapeurs brestois et 14.100 pour l’Enez Eussa l’an dernier !

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© 2018 Patrick Milan. Créé avec Wix.com
 

Dernière mise à jour - Mars 2022
 

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