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Fenêtres sur le passé

1936

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J'ai fallu pleurer avec sa misère, au vieux

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Source : La Chronique Brestoise novembre 1936

 

Auteur : Marie Kerlo pseudonyme de Marguerite Branellec

 

Y en a qu'ont la misère, quand même !

 

Des qui méritent, des qui méritent pas :

la misère tombe sur le pauvre monde comme la gale sur les matelots, dans les temps, et elle demande pas

si t’es bon ou si t'es mauvais.

 

Celui qu'est né pour être malheureux, « i peut pas être heureux »,

comme j’ai toujours entendu dire avec ma grand’mère.

 

Dieu lui fasse paix, une qui savait des choses de l’ancien temps qui valait toujours mieux que çu-ci, je vous garantis.

 

À ce qu'on dit, du moins, puisque vous pensez bien que si que j’avais été en vie y a cent ans, je serais pas mainant.

 

Allons, n'allez pas me faire causer, vous ; autrement, je saurai jamais débiner mon histoire.

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C'est au Merle-Blanc que c'était, dans l'endroit

qu'y a un petit nescayer aussi pour venir de la ligne en bas,

quand vous allez pour tomber dans l'usine à gaz.

 

Y avait un vieux qui turbinait autour de je savais pas quoi.

 

Je vais pour voir, comme de juste,

et j’avais beau mettre mes yeux à regarder, je comprenais rien.

 

— Alors comme ça, je lui dis, on travaille, vieux père?

— Oui, qu’i dit. Faut bien gagner sa croûte, ma pov' dame.

 

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Qu'est-ce qu'i faisait ?

Jamais vous auriez pensé !

 

Un vieux morceau de tuyau de plomb qu'il avait trouvé, jeté par quéqu'un de la voie, si vous voulez mon avis,

avec une vieille toile noire enroulée par-dessus qu’il était en train de détacher de lui et ça venait pas tout seul, non !

 

— Vous trouverez à vendre ça ? Que je fais à lui.

 

— Bien sûr.

Seulement y a des ficelles dedans et ça c'est pas payé au prix du plomb,

quand même ça donne du turbin à les tirer d'où qu'elles sont.

Peut- être que ç'a a été des fils électriques, regardez.

​

— Combien que vous toucherez, vous croyez ?

 

— Six sous la livre, des fois.

Douze sous c'est le meilleur prix.

Ça dépend du cours.

 

— Alors ce tuyau-là pour vous c'est douze sous, quoi ?

Et vous avez une demi-lieue de route, si c'est pas plus ?

 

— Comme vous dites, ma bonne dame.

Mais j’aurai fini t'à l’heure.

Alors, si l'ai la chance avec la maison qui m'achète,

j'achèterai du pain, et même la charcuterie si y a trop...

Là, je l’ai eu, à la fin.

Quand il est déplumé de son étoffe, y en a pus bien gros, non.

J'aurais pas cru.

Enfin, ça sera moins lourd à porter.

 

Et il avait le courage de rire quand i chargeait son tronçon sur son épaule !

Moi qu'avais envie de pleurer !

 

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— Si ça vous fait rien, que je lui dis, moi j’ai l’tabac à Jean-Louis que je viens de l’acheter, dans ma poche.

Vous fumez ?

Prenez-le, alors.

 

— Vous permettez je le vende ? Qu'i dit mon vieux.

Pasque, vous savez, j’ai pas tous les jours la chance de trouver des choses, comme aujourd'hui.

Alors, y a des jours je mange pas beaucoup.

Et avec vot' tabac ça me ferait de quoi manger, peut-être bien.

 

Nom d'un chien !

Ça m'a retourné tous les sangs !

 

Un homme qu'a son paquet de tabac dans sa main, et qu'a peur de le fumer pasque c'est du pain qu'il a pas ?

​

Je peux pas supporter ça, par exemple!

 

— Tenez, que je lui dis, voilà des allumettes et du papier avec.

Et puis, vous devrez rien à personne.

Et vingt sous par-dessus le marché pour faire la bombe

si vous voulez faire.

J'ai pas beaucoup des sous.

Mais si Jean-Louis i dit quéque chose que je suis t-une dépensière

et une fouet-boutik, je lui parle pus d'ici qu'i s'tait !...

 

Le vieux i m'a regardée, là,

comme si que j'étais le bon Dieu en personne.

 

Changé comme un autre à sa place !

 

— Aujourd'hui c'est un jour !... qu'i dit.

 

Même que j'achèterai une branche de millet pour mon oiseau !

 

Çu-là qui va chanter !

J'avais rien que des vers à lui donner, que je fouillais dans la terre, avec des graines, des fois dans la crotte d'un cheval.

I va faire la nouba, aujourd'hui !

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Je savais bien qu'il avait bon cœur, mon vieux bonhomme : de suite il a pensé à partager !

 

C'est pas bien, ça, vous trouvez ?

 

Ça m'fait plaisir de savoir que vous avez un oiseau.

On n'est pas si tout seul, comme ça.

Mais restez pas causer avec moi.

Lambinez pas pour aller manger un morceau.

 

— Oh ! Celui qui fume pense pas autant à sa faim, faites pas attention.

Y en a qui m'disent d'aller à l’hospice.

Moi je dis la liberté est une belle chose, aussi !

C'est le travail qui me manque, voilà.

Mais on n'aime pas employer les vieux, qu'est-ce que vous voulez !...

 

Je lui ai dit au revoir, vite, pour pas qu'i m'voye pleurer.

 

Mais qu'est-ce que j’vais passer à Jean-Louis quand i va vouloir grignouser !

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