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Fenêtres sur le passé

1935

Le mal-logement
à Brest et dans les environs

 

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Source : La Dépêche de Brest 10 janvier 1935

 

À Brest et dans les environs, et aussi un peu partout du reste, existent bon nombre d'immeubles plus que séculaires, se courbant, s'affaissant sous le poids des ans et, de ce fait, d'une stabilité plus que douteuse, ce qui, entre parenthèses, n'est guère très rassurant pour leurs occupants.

 

Dans ces conditions, comment s'étonner d'avoir à enregistrer, à intervalles périodiques, soit l'écroulement de quelques masures, soit encore l'effondrement subit de planchers ou de poutres.

 

Le contraire ne serait-il pas plutôt surprenant ?

 

Ainsi, le 20 novembre, en plein centre de Brest même, 2e venelle Kéravel, une maison s'est écroulée à 6 h. 45 du matin, avec un fracas formidable.

Par un heureux hasard, le plancher de l'appartement de Mme veuve Tirilly resta suspendu dans le vide, et la pauvre femme, surprise en plein sommeil, put se sauver par les escaliers, tandis que les gens du voisinage l'aidaient à descendre et à sauver ses cinq jeunes enfants.

 

À propos de ce sinistre, il convient de signaler que les locataires du dit immeuble avaient reçu ordre de l'évacuer à la date du 1er octobre au plus tard.

Alors, pourquoi, dira-t-on, se sont-ils obstinés a y demeurer ?

Tout simplement par suite de l'acuité de la crise des logements, crise se traduisant par des taux de loyers exorbitants et hors de toute proportion avec les ressources des familles sinistrées.

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​À la même date, à l'île d'Ouessant, le petit Bernard, âgé de 22 mois, est pris sous une toiture en chaume qui s'effondre sur lui.

Une poutre en bois lui étant tombée sur la tête, le malheureux enfant expira quelques heures après, dans d'atroces souffrances.

 

Il y a environ deux mois, dans la rue M..., à Lambézellec, l'effondrement d'un plancher entraîna dans sa chute un fourneau de cuisine, sur lequel se trouvait un récipient d'eau bouillant.

La jeune mère de famille put fort heureusement s'agripper â temps au manteau de la cheminée, et éviter ainsi de suivre son fourneau dans la cave, au risque d'être complètement ébouillantée.

Mis au courant de la situation, le propriétaire, absent de Brest, a promis de dédommager sa locataire, heureux sans doute dans son for intérieur d'en être lui-même quitte à si bon compte.

Peu rassuré, il s'est empresse de mettre sa maison en vente.

Trouvera-t-elle seulement acquéreur ?

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Obligée de se borner, la chambre syndicale se voit contrainte de passer sous silence divers autres faits suggestifs, témoignant tous de l'extrême vétusté de trop d'immeubles.

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Ce fâcheux état de choses n'est pas particulier à la région brestoise, ainsi que le témoigne de façon humoristique certaine relation insérée au « Bulletin officiel de novembre de la Fédération des locataires et commerçants du Centre », relation pouvant se résumer ainsi :

 

Au cours de leur première nuit de noce, deux tout jeunes locataires, l'un et l'autre tout feu, tout flamme, comme il sied en pareille circonstance, et ce dont nul ne saurait leur en faire grief, viennent d'être victimes d'une aventure tragi-comique, dont le souvenir... rocambolesque demeurera sans doute — et pour cause — à tout jamais gravé dans leur mémoire.

Qu'on en juge :

Par suite de l'effondrement du plancher de leur chambre nuptiale, nos deux nouveaux mariés dégringolèrent dans le lit même du locataire en dessous.

 

On devine aisément l'émoi, et aussi la frayeur de M. et Mme Charp..., lorsque, en tenue plus que sommaire, ils sentirent soudainement leur lit vaciller, puis finalement le plancher s'écrouler.

Leur lit, resté accroché aux poutres du plancher, ils tombèrent tout désorientés, tout ahuris — on le serait à moins, il faut l'avouer — sur le lit du locataire qui, à l'étage inférieur, tel un bienheureux, ronflait à poings fermes.

 

Quel désarroi et quel tintamarre !

 

On se représente sans peine cette... sarabande échevelée, se déroulant au milieu des ténèbres.

 

De cette peu banale aventure se dégage un enseignement à l'adresse de ceux qui, toujours fort nombreux, aspirent à goûter les douceurs de l'hyménée !

Avant de s'engager dans cette voie, et aussi en présence du grand nombre d'immeubles plus ou moins branlants, ne serait-il pas de la plus élémentaire prudence de s'assurer, au préalable, du bon état de conservation du plancher et aussi des poutres de l'appartement qu'on se propose d'occuper ?

 

C'est peut-être encore le plus sûr moyen de ne point s'exposer à se trouver dans une situation aussi critique et aussi burlesque que celle... de nos deux infortunés tourtereaux !

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Source : La Dépêche de Brest 11 janvier 1935

 

Point n'est besoin d'être grand observateur pour constater que dans divers quartiers de la ville et de la banlieue, relativement nombreuses sont les rues formées d'immeubles à bout de souffle, si l'on peut dire, dignes tout au plus de la pioche du démolisseur.

 

Encore quelques décades, et la plupart de ces immeubles s'écrouleront d'eux-mêmes, risquant, d'ensevelir sous leurs décombres les infortunés locataires contraints d'y séjourner, en raison même de l'acuité de la crise des logements, et aussi de l'excessive cherté des loyers.

 

À ce moment, la crise des logements redoublera d'intensité et atteindra son point culminant, contraignant des familles entières à recourir à des abris de fortune, à moins toutefois que le parlement, conscient de ses responsabilités, ne se hâte de pratiquer une large politique de loyers, seule voie de salut.

 

Il ne faudrait pas non plus perdre de vue que ces... trop vénérables immeubles ou taudis, où l'air et la lumière pénètrent avec parcimonie — au compte-gouttes, pourrait-on dire — constituent le plus souvent autant de foyers de tuberculose, et parfois aussi, hélas d'immoralité.

 

Or, on ne saurait trop le répéter, la tuberculose, à elle seule, tue annuellement en France 150.000 personnes, ce qui, pour une période décennale, représente un million et demi de victimes.

Ce sont là chiffres douloureusement impressionnants et qui dispensent de plus amples commentaires.

 

Quant à l'immoralité proprement dite, avilissante et dégradante au suprême degré, elle naît, se développe et se propage tout naturellement dans ces mêmes tandis.

 

Comment n'en serait-il pas ainsi, quand père, mère, garçons, filles... entassés pêle-mêle dans d'étroits et sombres réduits, tels harengs en caque, se voient contraints de vivre dans une perpétuelle promiscuité, si déplorable à tous égards ?

 

Et l'on s'étonne ensuite, si le mari quitte trop souvent son misérable logement pour chercher l'oubli au cabaret, où sa raison finit par vaciller et son gain se fondre, se volatiliser, au grand désespoir de sa pauvre nichée, impuissante.

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Que faire, dira-t-on, pour remédier à un tel fléau social ?

 

En supprimer les causes, ne serait-ce pas encore le plus sûr moyen d'en atténuer, dans une large mesure, les funestes effets.

 

Guerre donc sans trêve aux taudis, tous tueurs de pauvres gens et aussi fauteurs d'immoralité.

 

Tous ces taudis, par quoi et comment les remplacer ?

 

Par la construction de bâtiments à étages multiples pour logements petits et moyens, et où l'air et la lumière, sources vivifiantes de santé, pénétreraient à flots, bâtiments dont, à titre exceptionnel, la construction incomberait à l'État, aux départements et aux communes.

 

Chimère et démagogie !

Ne manqueront pas de s'écrier une fois de plus, et avec un ensemble touchant, tous tes possesseurs de taudis.

De telles affirmations, de telles accusations tendancieuses et intéressées appellent ne mise au point immédiate.

À cet effet, la chambre syndicale est naturellement amenée à exposer brièvement les considérations justifiant les mesures préconisées par les Fédérations des locataires pour mettre fin à la crise des logements, et aussi à cette hideuse plaie sociale des taudis.

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Ces considérations peuvent se résumer ainsi, à savoir :

 

a) À des circonstances exceptionnelles, n'est-ce pas le devoir impérieux de l'État de recourir à des mesures exceptionnelles, sous peine de voir la crise, le malaise s'aggraver de jour en jour ?

 

b) La construction d'immeubles à étages multiples, mesure de salut public, n'est-ce pas en somme l'extension proprement dite de la loi Loucheur aux collectivités ?

 

c) Nul du reste ne saurait-contester que la mission sociale, primordiale même, de l’État, consiste précisément à prendre toutes mesures utiles pour la conservation de la santé morale et physique de la nation, c'est-à-dire du capital humain, capital autrement important, autrement précieux que ces innombrables masures disséminées un peu partout, et dont la laideur n'a d'égal que les effets meurtriers et démoralisateurs.

 

d) L'air, propriété commune, est indispensable à tous.

N'en est-il pas de même des logements salubres ?

Tout esprit sain dans un corps sain, d'accord ;

mais pour qu'il puisse en être ainsi, ne faut-il pas tout d'abord commencer par mettre à la disposition de cet esprit, de ce corps, des logements sains eux-mêmes, exempts de toute souillure, et cela sous peine de s'exposer à les voir l'un et l'autre se gâter, se gangrener et finalement, tomber en pleine décomposition morale et physique ?

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La construction de ces bâtiments à étages multiples présente, d'autre part, des avantages d'un autre ordre méritant d'être mentionnés.

Quand le bâtiment marche, tout va, dit-on avec juste raison.

Or, l'exécution de ces grands travaux, nécessitant une main d'œuvre abondante, n'atténuerait-elle pas, dans de fortes proportions, la crise toujours angoissante du chômage ?

Ces mêmes travaux ne donneraient-ils pas, en outre, un regain d'activité au commerce et à l'industrie, depuis trop longtemps fortement ébranlés ?

 

Et puis le taux de location de ces appartements n'e servirait-il pas, en quelque sorte, de régulateur pour la fixation du prix de tous les logements en général, et, d’autre part, en favorisant, la loi de l'offre et de la demande, la construction de ces bâtiments à étages multiples ne hâterait-elle pas ce fameux retour au droit commun, réclamé à cor et à cri par tant de propriétaires ?

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Puissent toutes ces considérations fixer et retenir l'attention des pouvoirs publics ?

Puissent-elles inciter les parlementaires à sortir enfin de leur torpeur en matière locative — mieux vaut tard que jamais — et les amener dans un avenir prochain, à mettre à la disposition des masses laborieuses des logements simples, mais spacieux et aérés, et où, dans une atmosphère purifiée et toute revivifiante, les enfants se développeront et s'épanouiront à l'abri de toute contagion, de toute contamination, apanages de ces infectes taudis, n’ayant de logement que le nom.

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