retro29.fr
Le site Retro29.fr est arrivé à une taille critique.
La suite des articles se trouve sur le site de L'ANNEXE de Retro29.
Fenêtres sur le passé
1935
Le feu à la prison de Pontaniou
Source : La Dépêche de Brest 19 juillet 1935
L'entreprise de couvertures Merdy, 1 rue Suffren, procédait depuis quelques jours à la réfection complète
de la toiture en ardoises de la prison de Pontaniou.
Les travaux avançaient et devaient être entièrement terminés samedi prochain.
Une équipe de couvreurs avaient travaillé hier matin et, en quittant à midi le chantier pour aller déjeuner,
n'avaient rien remarqué d'anormal.
À 13 heures, les ouvriers revenaient ; l'un d'eux, M. Émile Le Bot, en passant dans les combles,
dans une pièce servant de dépôt d'étoupe, vit de la fumée qui s'en échappait et donna aussitôt l'alarme.
Les surveillants militaires de la prison accoururent.
À l'aide d'extincteurs, ils tentèrent de combattre l'incendie.
Avec le concours des ouvriers de l'entreprise Merdy, ils déroulèrent les manches à incendie de l'établissement, pendant que le maître principal Gallais, surveillant-chef de la prison, s'empressait de prévenir, par téléphone,
la majorité générale, qui alertait les pompiers et les services d'incendie.
Il était alors 1 h. 10.
Les premiers sauveteurs durent reculer devant la fumée intense emplissant les combles.
Il était temps, des flammes hautes de quatre à cinq mètres jaillirent subitement du toit.
Comme une traînée de poudre, la nouvelle « le feu à la prison ! »
se répandit dans le quartier populeux de Pontaniou.
Une foule de curieux, composée en majorité de femmes
et d'enfants, envahit les rues de Pontaniou et Pierre Ozanne.
M. Le Duc, conseiller municipal, habitant le quartier,
était un des premiers sur les lieux.
La prison de Pontaniou
Collection Patrick Milan
Aidé d'agents et de gendarmes accourus, il refoula cette foule, dont les rangs grossissaient sans cesse,
pour livrer passage aux pompiers, dont on entendait, au loin, le sinistre appel des trompes.
Par la rue de Pontaniou arrivaient, à 1 h. 20, trois autos-pompes de la Marine, la grande échelle de 30 mètres
et une camionnette de matériel, sous le commandement de l'officier des équipages en chef Russaff.
La grande échelle allait se placer rue Pierre Ozanne, devant le mur de la prison.
C'était, en effet, à l'angle gauche arrière du bâtiment eue les flammes jaillissaient avec le plus d'intensité.
Deux autos-pompes branchaient quatre tuyaux sur la bouche d'incendie de la rue de Pontaniou et bientôt,
du haut de la grande échelle, rapidement déployée, des pompiers aspergèrent le toit.
Malheureusement, la pression n'était pas assez puissante.
La troisième auto-pompe fut branchée dans l'arsenal, près de la porte du Carpont, devant l'atelier de modelage.
Pendant ce temps, les secours s'organisaient.
Des détachements de marins du 2e dépôt, des piquets d'incendie des bâtiments dans l'arsenal,
une section en armes du 2e R.I.C., tous les gendarmes disponibles de la section maritime
furent bientôt sur les lieux du sinistre.
Les autorités accouraient :
Le contre-amiral Brohan, major général ;
les capitaines de vaisseau Homburger, directeur du port,
et Franquet, commandant le 2e dépôt ;
les capitaines de frégate Deuve, sous-directeur du port,
et Houette, chef du service d'ordre ;
les officiers des équipages Merlin et Chatton
et des sections de marins de la direction du port ;
le capitaine de la section de gendarmerie maritime Le Guillou, de nombreux officiers de marine et ingénieurs de travaux, etc.
Étaient également sur les lieux :
MM. Le Guénédal et Jamais, adjoints ;
Le Cléac'h et Le Duc, conseillers municipaux ;
MM. Durand, substitut du procureur de la République ;
Darey, commissaire central ;
Chalmel, chef de la sûreté ;
Mérot et Carlo, commissaires de police, etc.
La violence du feu augmentait, une fumée épaisse et âcre se dégageait de l'étoupe en ignition.
Par les fenêtres des mansardes, on précipitait, dans les cours de la prison des matelas, des hamacs,
les sacs des prisonniers, des draps, des couvertures, du linge, des brosses.
Des fenêtres des logements occupés à cet étage par les deux surveillants Le Goff et Marzin et leurs familles, on jetait des ballots de linge et tout ce qu'on pouvait sauver, au milieu de l'intense fumée qui avait envahi ces logements.
À l'entrée des bassins de Pontaniou, les deux canonnières de la direction du port Dolmen et Aber-Benoit
avaient mis en action leurs pompes, aspirant l'eau de la Penfeld, ce qui permit, malgré la hauteur et la distance, grâce au puissant matériel d'incendie de l’Aber-Benoit, d'alimenter des lances sur le toit de la prison.
Pendant ce temps, vers 13 h. 30, les pompiers de la ville étaient arrivés.
Ils s'étaient mis en route, dès que l'ordre de prêter leur concours leur eut été donné.
Sous les ordres des lieutenants Carquin et Gilliaux, assistés de l'adjudant Crenn, ils branchèrent leur auto-pompe
sur une bouche d'incendie de la rue de Saint-Malo, déroulèrent rapidement 200 mètres de tuyaux et,
avec une pression de 8 kilos, obligeant trois hommes, montés sur le toit par une échelle — empruntée à l'entreprise Corre et Fouchard, toute proche — à tenir une lance pour inonder le côté gauche de la toiture de la prison,
donnant sur la rue Ozanne.
Sous la force de ce jet d'eau, qui arrachait les ardoises,
et les efforts conjugués de tous les hardis sauveteurs,
pompiers de la marine et de la ville, également courageux,
vinrent à bout des flammes et, emporté par le vent vers l'arsenal, seul un épais nuage de fumée était maintenant visible de l'extérieur.
Sous les torrents d'eau, jaillissant de toutes les lances dirigées
par les pompiers juchés sur le toit, peu à peu, la fumée s'atténua.
De temps à autre, un foyer se rallumait, rapidement circonscrit et,
à 15 h. 30, tout danger était écarté.
Les pompiers n'en continuèrent pas moins à arroser les charpentes calcinées, au fur et à mesure que les ardoises qui les recouvraient étaient arrachées et jetées dans la cour de la prison.
À 16 heures, les pompiers de la ville et le service d'ordre s'en allaient.
À 16 h 15, une partie du matériel des pompiers de la marine regagnait l'arsenal.
Une auto-pompe et du personnel restaient sur les lieux
pour parer à toute éventualité.
Quand, à 13 heures et quelques minutes, l'alarme fut donnée, ainsi que nous l'avons dit, par M. Le Bot,
les prisonniers, au nombre de 51, venaient d'entrer dans les trois ateliers pour la reprise du travail
auquel ils sont astreints de 8 à 11 heures et de 13 à 17 heures.
Ce travail consiste, pour les uns, à carder de l'étoupe, pour les autres, à faire des brosses et à repailler
et vernir des chaises.
Dès l'alarme, tous les prisonniers furent conduits dans un local situé
dans la cour, devant la prison où, gardés par des surveillants et des marins,
ils attendirent, calmes et sages, que le sinistre fût conjuré.
Avant le 1er avril dernier, on n'incarcérait, à la prison de Pontaniou,
que les condamnés ayant à subir une peine de deux mois au maximum
et les punis disciplinairement.
Les condamnés de deux mois à un an subissaient leur peine à la prison
de Cherbourg.
Depuis le 1er avril, Pontaniou est redevenu une « prison de plein exercice ».
Les condamnés subissant une peine jusqu'à un an de prison
y sont incarcérés.
À partir de un an et un jour, ils sont envoyés dans les maisons centrales généralement à Clairvaux.
Les marins ne purgeant qu'une peine disciplinaire — les plus nombreux,
une trentaine — furent conduits dans les prisons et salles de police
de la caserne du 2e dépôt.
Quand on se fut rendu maître de l'incendie, les condamnés
par le Conseil de guerre réintégrèrent les geôles du rez-de-chaussée
et du premier étage, qui n'ont pas eu à souffrir du feu et pas beaucoup
de l'eau, celle-ci s'étant surtout écoulée par l'escalier de pierre.
La prison de Pontaniou
Collection Étienne Valois
La prison de Pontaniou a trois étages, entièrement traversés chacun sur toute leur longueur par un couloir.
Au rez-de-chaussée, solidement voûté, sur la façade donnant sur l'arsenal, on trouve, à droite en entrant, la cuisine,
ne servant plus guère qu'à faire le café, les prisonniers recevant leurs repas du 2e dépôt.
Plus loin se trouve le logement du maître principal Gallais, surveillant chef ;
à gauche, son bureau et le bureau des entrées.
Une porte donne sur un couloir où s'ouvrent les cellules pour les isolés.
Au premier étage se trouvent deux logements de gardiens et, sur l'arrière, une rangée de geôles
pour les prévenus et les condamnés.
Au deuxième étage, deux autres surveillants sont logés.
Sur le devant de la prison se trouve la salle où on travaille l'étoupe, sur l'arrière deux autres ateliers.
Au troisième étage, sous le toit maintenant détruit, se trouvaient les logements des surveillants Marzin et Le Goff
et trois chambres d'officiers, dont l'une était occupée par Lydia Oswald la seule prisonnière
qui depuis bien des années ait trouvé asile dans cette prison militaire.
Donnant sur la façade de la rue Pierre Ozanne, la bibliothèque ;
la chapelle, où un aumônier ou un vicaire de l'église Saint-Sauveur venaient, chaque dimanche, dire la messe.
Au-dessus de cet étage mansardé, dans les greniers non plafonnés étaient placés les sacs de vêtements
des prisonniers, le magasin aux hamacs et couvertures et le dépôt d'étoupe où le feu a pris naissance.
Le personnel surveillant se compose :
D’un maître principal, M. Gallais, habitant au rez-de-chaussée ;
d'un maître, M. Le Floch, habitant au 2e étage, et de six surveillants.
Lydia, mercredi après-midi et hier matin, avait été extraite de sa prison et conduite en auto dans l'arsenal, jusqu'au fond du bassin Tourville.
Là on l'avait fait descendre de voiture et, par un dédale de couloirs
et d'escaliers, afin de la soustraire aux yeux des curieux,
on l'avait amenée rue de la Voûte, dans le cabinet de M. Léonard, auquel, avec le sourire, elle avait répondu aux questions qui,
pour la vingtième fois, lui étaient posées.
Elle avait, à 11 h. 30, regagné la chambre d'officier
dont nous avons parlé au troisième étage de la prison,
avait déjeuné de fort bon appétit — les menus du 2° dépôt,
plus confortables que ceux du Bouguen, lui conviennent puisqu'elle a engraissé de quatre kilos — et rêvait sans doute à sa prochaine
et problématique libération, quand sa porte s'ouvrit brusquement
et on l'arracha à son cachot :
« Venez vite, le feu est au-dessus de votre tête, suivez-moi ! »
Docilement, elle obéit, dégringola rapidement l'escalier
et fut conduite dans la buanderie, petit bâtiment situé au pied
d'un escalier dans la cour.
Là, en compagnie des femmes des surveillants,
elle put suivre la lutte entreprise contre l'incendie.
Nu-tête, avec un pull-over brun à rayures, elle souriait et s'inquiétait auprès de M. Huau,
commissaire du gouvernement, de ses vêtements, qu'on ne lui avait pas donné le temps d'emporter
et qui avaient dus être mis à mal là-haut.
On trouva provisoirement pour la nuit un local pour Lydia.
On avisera aujourd’hui pour l'installer encore pour un ou deux mois dans cette prison,
dont le séjour prolongé n'a pas réussi à dissiper son large sourire.
La prison de Pontaniou fut construite sur l'emplacement de la Madeleine ou Refuge royal, où, autrefois,
étaient reléguées les filles et les femmes débauchées.
En entrant à la Madeleine, les femmes étaient, « rasées, châtiées sur-le-champ, par le fouest et le carcan »,
puis mises au travail de la manufacture de toiles à voiles, établie dans ce lieu par Geiguelay, en 1684,
lit-on dans « l'histoire anecdotique de Brest, de Louis Delourmel ».
En 1732, les dames de Saint-Thomas de Villeneuve, qui dirigeaient le Refuge, firent construire sur le terrain,
occupé par la direction et les ateliers des travaux hydrauliques un grand corps de bâtiments à deux étages
donnant sur la rue du Carpont.
Cet établissement était disposé de manière à servir à la fois de maison de correction, de retraite,
d'éducation et de dispensaire.
Il fut entièrement consumé un dimanche gras, le 10 février 1782.
Le feu fut mis par une détenue, la belle Tamisier, bru du tambour de ville.
L'établissement, les meubles, les vêtements de plus de cent pensionnaires furent entièrement détruits.
Sur onze religieuses composant le personnel, quatre périrent dans les flammes.
Vingt-sept femmes ne purent être sauvées.
Plusieurs sauveteurs furent grièvement blessés.
Heureusement l'incendie d'hier a été moins grave.
Le matériel dont nos pompiers disposent est autrement efficace que les rares pompes primitives dont on se servait alors et la part du feu a pu être vivement faite.
Le toit d'ardoises qui venait d'être refait n'existe plus.
La charpente en bois est, dans sa plus grande partie, calcinée.
Les greniers et la plupart des objets qu'ils contenaient sont détruits.
Le troisième étage a subi d'importants dégâts par le feu et l'eau.
Plafonds et planchers sont à refaire.
Les mobiliers des logements occupés par les surveillants Marzin et Le Goff ont beaucoup souffert
et ils n'ont pu sauver que bien peu de choses.
Les autres étages, construits entièrement en pierres, ne semblent pas avoir trop souffert de l'eau.
Quant aux causes, l'enquête ouverte les feront peut-être découvrir.
Il faut se borner, pour l'instant, à ces deux hypothèses :
Ou un ouvrier couvreur imprudent a pu, par mégarde, laisser tomber un bout de cigarette dans le tas d'étoupe où le feu a pris naissance et couvé pendant l'heure du déjeuner, ou l'incendie a été communiqué par les charbons mal éteints du matériel à souder des zingueurs.
Ce ne sont là que des suppositions.
Il appartient aux enquêteurs de chercher à découvrir les causes exactes du sinistre.
Tout le personnel qui a coopéré à le circonscrire mérite de vives félicitations :
Pompiers, gendarmes, marins, soldats, personnel de la prison et de la direction du port se sont acquittés avec zèle et dévouement des rôles qui leur étaient assignés et c'est grâce à la coordination
de leurs efforts que l'on n'a pas eu à déplorer un sinistre plus grand.