top of page

Fenêtres sur le passé

1935

Crimes et pénalités au temps de nos aïeux
par Ludovic Naudeau

 

Crimes et pénalités.jpg
Naudeau Ludovic color.jpg

​

Source : La Dépêche de Brest 2 février 1935

 

La plupart des jeunes gens de notre époque ignorent ou ont oublié l'histoire de France, ils n'ont lu aucun mémoire.

Ainsi est-il facile de leur faire croire que notre vie publique est monstrueuse et que le bon vieux temps était celui de l'idéal et de la candeur.

On les étonne quand on leur dit qu'au début du règne de Louis XIV Paris était un coupe-gorge. Boileau, toujours désireux cependant de flatter le roi, écrit en 1660 :

 

Car sitôt que du soir les ombres pacifiques

D'un double cadenas ont fermé les boutiques.

Que, retiré chez lui, le paisible marchand

Va revoir ses billets et compter son argent ;

Que dans le Marché Neuf tout est calme et tranquille,

Les voleurs, à l'instant, s'emparent de la ville.

 

Le bois le plus funeste et le moins fréquenté

Est, au prix de Paris, un lieu de sûreté.

Malheur donc à celui qu'une affaire imprévue

Engage un peu trop tard au détour d'une rue !

Bientôt quatre bandits lui serrant les côtés.

La bourse !... II faut se rendre; ou bien non, résistez

Afin que votre mort, de tragique mémoire,

Des massacres fameux aille grossir l'histoire.

 

Pour moi, fermant ma porte et cédant au sommeil,

Tous les jours je me couche avec que le soleil ;

Mais, en ma chambre à peine ai-je éteint la lumière

Qu'il ne m'est plus permis de fermer la paupière.

Les filous effrontés, d'un coup de pistolet,

Ébranlent ma fenêtre et percent mon volet ;

J'entends crier partout : Au meurtre - On m'assassine !

​

Ludovic NAUDEAU 3 1915.jpg

​

Correspondance de Ludovic Naudeau

1915

​

​

Nos bons jeunes gens n'ont pas connaissance des terribles empoisonnements du XVIIe siècle.

Ils ignorent les crimes effrayants de la Brinvilliers et de la Voisin.

Lors du procès de la Brinvilliers, le bruit courut que des complices cherchaient à sauver l'empoisonneuse.

Louis XIV lui-même écrivait à Colbert, le 28 juin 1676 :

« On prétend qu'il y a de fortes sollicitations et beaucoup d'argent répandu ». (Comme aujourd'hui !)

 

Nos jeunes gens ne savent pas que le dauphin, qu'Adélaïde de Savoie, que le duc de Bourgogne, qu'Henriette, épouse de Philippe d'Orléans, moururent soudain dans des conditions qui autorisèrent tous les soupçons.

Paris était alors rempli d'histoires abominables sur les moyens qu'employaient les bandits pour détruire des familles entières.

Nos jeunes gens ne savent pas que le roi et le lieutenant général de police, d'Argenson, prirent sur eux, au nom de la raison d'État, d'interrompre certaines procédures, de les étouffer (comme aujourd'hui !), le scandale menaçant de retentir trop haut et trop fort.

 

Des femmes extrêmement raffinées et sensibles, comme Mme de Sévigné, décrivaient avec le plus parfait sang-froid les supplices effrayants infligés alors aux meurtriers.

On leur rompait les os, on les brûlait vifs.

Cela paraissait naturel.

Nos arrières grands-parents étaient décidément très durs envers les criminels.

J'ai déjà parlé précédemment de ce grand médecin parisien, Gui Patin, dont la correspondance nous semble aujourd'hui si curieuse.

Gui Patin écrivait le 13 juin 1654 :

On pendit hier à cinq heures à la porte de Paris, un chimiste qui se disait gentilhomme provençal, pour fausse monnaie.

Il était d'Avignon.

Il fut pris en flagrant délit et a été exalté au bout d'une bûche.

​

Ludovic Naudeau en mineur », Le Journal, 30 novembre 1901.jpg

​

Ludovic Naudeau en mineur

Le Journal, 30 novembre 1901

​

​

Le 16 mars 1665 :

Un apothicaire de Troyes a donné du poison à un de ses voisins pour lequel crime dont il est convaincu, il a été condamné d'être pendu et étranglé, il en a appelé à Paris.

Je pense qu'il viendra ici se faire brancher à la Grève.

 

Le 21 juin 1665 :

Aujourd'hui a été rompu dans la rue Saint-Martin un nommé Prévôt qui avait tué sa femme il y a environ six semaines.

Il était âgé d'environ quarante ans.

Le Châtelet l'avait condamné d'être rompu tout vif et avoir auparavant le poing coupé.

 

Le 24 avril 1657 :

Le 18 avril, pour vol, un valet âgé de vingt ans a été condamné à être pendu et étranglé au Châtelet.

Comme la sentence de mort lui a été prononcée par le greffier, en présence du lieutenant criminel, il en a été tellement étonné qu'il en est tombé sur le champ en apoplexie.

Aujourd'hui il vivait encore...

Messieurs du Châtelet m'ont fait prier de l'aller voir, mais je n'ai pu m'y résoudre tant la prison me fait horreur.

J'en ai été une fois dégoûté pour trois mois et n'ai point le cœur d'y retourner.

 

Le 5 octobre 1667 :

On pendit hier, à la porte de Paris, un homme de soixante ans qui était un des exempts de la prévôté de l'île nommé Brête.

C'était un méchant larron; il avait un sien neveu tabletier et remetteur de dents d'ivoire qui sachant que son oncle était condamné se pendit en sa chambre ; il a été traîné à la voirie.

 

Le 15 août 1659 :

Je menai notre écolier à la porte de Paris voir l'exécution criminelle d'un voleur qui y fut roué ; on nous donna une chambre de la fenêtre de laquelle notre écolier vit toute la cérémonie...

Il y a ici quantité de prisonniers : on ne fait que pendre et rompre.

 

Le 2 décembre 1659 :

On va faire mourir en Grève un grand garçon d'Anjou, laquais qui a blessé son maître en le voulant tuer, parce qu'il lui avait donné un soufflet.

Le laquais sera rompu.

 

Le 12 décembre 1659 :

Hier fut pendue à la Grève une fille de vingt et un ans.

Elle était grand larronnesse et grande receleuse ;

elle avait eu l'an passé le fouet et la fleur de lys au fer rouge sur le dos.

 

Le 2 mai 1660 :

Le prêtre assassin de Saint-Eustache a été exécuté aujourd'hui, à 6 heures du soir, devant Saint-Eustache.

Il a eu le poing coupé et a été pendu et brûlé.

 

Le 22 juin 1660, le grand médecin parisien mentionne un fait qui nous révèle combien est ancien en réalité le mal qui a sapé la puissance de notre pays.

Il écrit :

« Les vicaires généraux et les pénitenciers se sont allés plaindre à M. le premier président que, depuis un an, six cents femmes, de compte fait, se sont confessées d'avoir tué et étouffé leur fruit.

Ils y ont particulièrement pris garde sur l'avis qu'on leur avait donné. »

​

Ludovic NAUDEAU 2.jpg

​

Je pourrais continuer longtemps ces citations.

Celles-là suffisent.

Elles nous confirment dans l'idée qu'au milieu du XVIIe siècle, il n'y a pas trois cents ans (*), à une époque où existaient plusieurs de nos plus grands génies littéraires, l'élite intellectuelle française se montrait à l'égard des criminels, impitoyable.

Et il s'agissait parfois d'individus qui, de nos jours, s'en tireraient avec quelques mois de prison, à moins que l'excuse du crime passionnel ne les exonérât totalement.

Mais, le plus curieux, c'est que l'extrême rigueur du XVIIe siècle et l'extrême indulgence du XXe ont fini par aboutir à des résultats similaires.

​

(*) Rappel : Article de 1935

​

Il y avait sous Louis XIV, en dépit de toutes les tortures et de tous les bûchers, beaucoup de sacripants et aujourd'hui, bien que nous soyons bons pour leurs successeurs, il ne semble pas que l'armée du crime soit devenue plus petite.

Alors que faut-il donc faire ?

 

Vers 1660 la civilisation était beaucoup moins sensitive qu'elle n'est maintenant et d'ailleurs, en chirurgie, l'anesthésie était entièrement inconnue.

Des supplices, dont les récits nous effraient, paraissaient alors normaux et n'intimidaient pas toujours des criminels endurcis.

Mais, en notre temps de plus grande mollesse, supposez qu'à la demi-impunité accordée, dans bien des cas, aux malfaiteurs, nous fassions succéder des peines terribles.

Se commettrait-il toujours autant de crimes ?

Je pose la question.

​

bottom of page