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Fenêtres sur le passé

1935

Cambriolage de l'appartement du Docteur Quéïnnec
à Morlaix
et tentative d'évasion du Bouguen

 

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Source : La Dépêche de Brest 22 novembre 1935

 

Nos lecteurs ont encore à la mémoire l'audacieux cambriolage qui fut commis, en plein jour, le 27 juin 1932, chez M. le docteur Quéïnnec, demeurant alors à Morlaix, quai de Léon, et établi aujourd'hui à Malestroit (Morbihan).

Les appartements dont il va être question ci-dessous sont occupés, actuellement, par M. Godeau, greffier en chef du tribunal civil.

 

Donc, le 27 juin 1932, se déroulaient à Langolvas, les courses de Morlaix.

Ces manifestations hippiques sont suivies, on le sait, par toute notre population ;

aussi notre ville était-elle, ce jour-là, fort déserte.

 

M. le docteur Quéïnnec s'était rendu, lui aussi, avec les siens, vers 14 heures, à l'hippodrome.

 

Or, vers 19 h. 45, quand il rentra chez lui, il constata que sa demeure avait reçu la visite d'un cambrioleur qui avait emporté entre 21.000 et 23.000 francs d'argent liquide et environ 25.000 francs de bijoux.

Les conditions dans lesquelles avait agi le malfaiteur indiquaient qu'il connaissait les habitudes de la maison ou qu'il avait eu des indicateurs pour le renseigner.

 

M Debré, commissaire de police, ouvrit une enquête ;

la brigade mobile de Rennes fut alertée.

Des empreintes digitales furent relevées sur les meubles cambriolés.

 

Ce vol causa un vif émoi à Morlaix et plusieurs pistes furent suivies.

Elles n'aboutirent à aucun résultat méritant d'être retenu.

 

Peu à peu, l'affaire fut oubliée.

Les pièces du dossier furent déposées au greffe du tribunal pour être reprises au cas où surviendraient de nouvelles charges.

 

Le parquet de Morlaix, cependant, ne négligeait aucune des informations qui pouvaient lui parvenir au sujet de cette grave affaire.

 

Ce fut ainsi qu'hier, au démit de l'après-midi, des faits troublants lui étaient communiqués.

On était sui la piste certaine du coupable et peut-être, de ses complices.

L'affaire allait rebondir.

 

Avant d'entrer dans de nouveaux détails, rappelons comment opéra le malfaiteur.

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Comment fut commis le cambriolage.jpg

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M. Quéïnnec fournit à M. Debré, commissaire de police, des renseignements qui permirent d'établir avec assez de précision le chemin suivi par le cambrioleur.

Ce dernier s'était introduit dans l'immeuble du quai de Léon par le porche de l'entresol.

Il passa par l'appartement de M. Bellec, ouvrier carrossier, dont les portes n'étaient pas fermées à clef.

Il se trouva alors dans un escalier de service qui aboutissait dans la salle à manger de M. le docteur Quéïnnec dont la porte, de ce côté n'était pas, non plus, fermée à clef.

Le voleur, on le voit, était bien renseigné pour s'introduire ainsi, avec tant d'audace et sans plus de difficulté dans la place.

Le cambrioleur passa dans le cabinet de travail du docteur et inspecta un secrétaire, qu'il ouvrit facilement, la clef se trouvant sur le meuble.

Là, il s'empara d'une somme d'environ 23 000 francs en billets de banque.

Il y trouva aussi des titres auxquels il ne toucha pas et la clef de l'armoire de Mme Queïnnec dans laquelle se trouvaient de nombreux bijoux.

 

Dans cette armoire, le voleur fit main-basse sur une bague de valeur, en platine ;

sur deux bracelets anciens, l'un en or massif et uni, l'autre également en or, genre gourmette ;

sur une bague avec brillant monté sur platine, valant 6500 francs ;

sur une barrette en platine avec brillants, évaluée entre 12.000 et 15.000 francs ;

sur une bague en or d'une valeur de 400 à 500 francs ;

deux médailles en or avec chaînettes, et enfin sur une épingle en platine avec brillant valant 1.000 francs.

 

Une fois son forfait accompli, le cambrioleur disparut discrètement, en laissant cependant de nombreuses empreintes digitales qui vont prendre aujourd'hui une importance capitale.

Ces empreintes en effet, vont permettre de confondre le malfaiteur.

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Quel est le cambrioleur.jpg

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L'identité du cambrioleur est aujourd'hui à peu près connue.

Mais, comme nous l'avons dit plus haut, il a sans doute eu des complices.

 

On comprendra aisément que, pour ne pas gêner la bonne marche de l'enquête, nous ne puissions pas, aujourd'hui, donner plus de précision à ce sujet.

 

Il se pourrait, bien entendu, que le coupable fit d'importantes révélations.

 

Après trois années de silence cette affaire, rebondissant, peut donc réserver de très prochaines surprises.

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Source : La Dépêche de Brest 23 novembre 1935

 

Le cambriolage des appartements de M. le docteur Quéïnnec, quai de Léon, commis il y a trois ans, qui paraissait oublie à jamais, fait encore, depuis hier, l’objet de toutes les conversations.

Le coupable qui, pensait-on ne serait jamais découvert, va-t-il tomber enfin aux mains de la justice ?

 

Le malfaiteur a-t-il eu des complices et, si oui, consentira-t-il à les dénoncer ?

Autant de questions auxquelles on ne peut encore donner de réponses précises, du moins pour l'instant.

 

En tout cas, l'annonce de la reprise éventuelle de l'information dans cette vieille affaire a provoqué une certaine émotion en ville.

 

C'est par une lettre adressée au parquet de Morlaix qu'un individu, actuellement, détenu à la prison centrale de Fontevrault (Maine-et-Loire), s'est déclaré l'auteur du cambriolage du 27 juin 1932.

 

Dans cette lettre, certaines précisions seraient assez troublantes, aussi M. Rosec, juge d'instruction, a-t-il décidé de faire vérifier les affirmations du coupable présumé.

À cet effet, il a adressé une commission rogatoire au juge d’instruction de Saumur, qui entendra le détenu.

 

Si les déclarations verbales de cet individu confirment celles qu'il a faites par écrit, il sera transféré à Brest et l'information suivra activement son cours.

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Il n'y a pas prescription.jpg

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Contrairement à ce que certaines personnes pourraient croire, cette affaire n'est pas couverte par la prescription, qui est de trois ans pour un vol simple et de dix ans pour une affaire criminelle.

 

Le cambriolage ayant été commis avec effraction est un crime et rien ne peut par conséquent entraver l'action de la justice si les déclarations du détenu de Fontevrault sont reconnues exactes.

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Source : La Dépêche de Brest 7 décembre 1935

 

Nos lecteurs se souviennent que le 21 novembre dernier, le parquet de Morlaix recevait une lettre par laquelle un individu, détenu à la prison centrale de Fontevrault (Maine-et-Loire) s'accusait d'être l'auteur du cambriolage commis le 27 juin 1932, encre 14 heures et 19 h. 45, chez M. le docteur Quéïnnec, quai de Léon.

 

Les précisions qu'il donnait sur les circonstances du vol et sur les bijoux qui avaient disparu étaient vraiment troublantes.

À propos d'une bague indiquée comme étant en platine et qu'il ne put vendre qu'au taux de l'argent, il précisait, non sans quelque ironie :

« J'ai sans doute été volé. »

 

Il apparaissait, dès lors, que le détenu de Fontevrault était bien le coupable ou qu'il connaissait parfaitement l'auteur du cambriolage.

 

Dans ces conditions M. Rosec, juge d'instruction, décida de faire vérifier ses affirmations.

 

Il adressa, à cet effet, une commission rogatoire au juge d'instruction de Saumur qui fut chargé d'entendre le présumé coupable.

 

Les choses en étaient là — et déjà notre population qui suit de près cette affaire, s'impatientait — quand, hier matin, le parquet de Morlaix fut informé du résultat de l'interrogatoire du détenu de Fontevrault.

Ce dernier, aurait, croyons-nous, renouvelé les déclarations qu'il avait faites dans sa lettre, sans toutefois donner de nouvelles précisions.

Le prisonnier sera, par conséquent, transféré à Morlaix incessamment, et il sera interrogé par M. Rosec.

 

Fera-t-il des révélations ?

Il est difficile de le dire, quant à présent.

A-t-.il quelque compte à régler, avec son ou ses complices éventuels et serait-il disposé à les dénoncer pour se venger d'un certain manque de reconnaissance à son égard ?

Ou bien, déjà condamné à une peine importante, ne se dénoncerait-il pas avec l'intention d'effectuer un petit voyage en Bretagne ?

 

Sans doute saurons-nous bientôt toute la vérité sur cette grave affaire, encore bien ténébreuse.

 

*

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Source : La Dépêche de Brest 22 décembre 1935

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Source : La Dépêche de Brest 16 janvier 1936

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Source : La Dépêche de Brest 1 février 1936

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Source : La Dépêche de Brest 2 février 1936

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Source : La Dépêche de Brest 16 février 1936

 

Les nommés Lacombe, dit Joë, et Pierre Guilleminot, ont été interrogés nier par M. Rosec, juge d'instruction, qui les a ensuite confrontés.

Rappelons comment M. Rosec a été appelé à s'occuper de ces deux dangereux repris de justice.

 

Guilleminot, qui était détenu à la maison centrale de Fontrevault, ayant écrit à M. Rosec pour lui dire qu'il s'accusait d'être l'auteur du cambriolage des appartements du docteur Quéïnnec, le juge d'instruction de Morlaix le fit transférer à Brest.

 

Entendu une première fois, Guilleminot raconta comment il avait opéré, avec un luxe de détails assez surprenant, et désigna un nommé Lacombe, également détenu à Fontevrault, comme son complice.

 

Ce Lacombe, à son tour, fut transféré à Brest et, il y a 15 jours, il fut conduit devant M. le juge d'instruction de Morlaix.

Il déclara alors qu'il ne parlerait qu'en présence d'un avocat.

 

Or, à ce moment, M. Rosec venait de recevoir une lettre d'un nommé René Anchisi, pensionnaire, lui aussi, de Fontevrault qui prétendait avoir pris part au cambriolage du quai de Léon et qui affirmait pouvoir fournir d'utiles renseignements sur l'un des receleurs de bijoux volés.

 

Avant de pousser plus loin cette affaire, M. Rosec résolut d'interroger et Lacombe et Guilleminot puis de les confronter.

 

Ainsi que la Dépêche l'avait annoncé, les deux prisonniers arrivaient donc hier matin, à Morlaix, à 10 heures, venant de Brest.

Comme à chacun de leur voyage, dans notre ville, Lacombe et Guilleminot provoquèrent un certain mouvement de curiosité.

Leur passage, certes, ne pouvait rester inaperçu.

Dûment enchaînés, ils étaient encadrée chacun par quatre gendarmes, deux Brestois et deux Morlaisiens.

Les gendarmes de Morlaix étaient allés à la rencontre de leurs collègues brestois et des deux prisonniers à la gare de l'État.

 

Vêtus de la tenue de bure cachou et chaussés de lourds sabots, Lacombe et Guilleminot ne pouvaient guère tenter de s'évader, ce dont ils seraient peut-être fort capables, sans la vigilance de leurs gardiens.

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Le nommé Lacombe, dit Joë, âgé de 27 ans, qui a été condamné aux travaux forcés à perpétuité par les assises du Morbihan, était assisté, lors de son interrogatoire, hier matin, par son défenseur, Me Mallégol, avocat au barreau de Morlaix.

 

Il a déclaré, que se trouvant à Paris en 1932, il avait reçu d'un de ses « lieutenants », nommé Palavitchini, marquis italien, chimiste à Paris, qui avait fait un séjour à Morlaix, des renseignements concernant les appartements du docteur Quéïnnec.

 

Cet individu lui disait notamment qu'il était plus facile d'opérer à Morlaix, le jour des courses, le docteur Quéïnnec, étant alors absent de chez lui.

 

Lacombe aurait rencontré Guilleminot à Paris, au « Rat Mort ».

Comme Guilleminot se trouvait sans argent, il lui proposa de venir avec lui en Bretagne pour participer à une « affaire », sans lui donner d'autres précisions.

 

Le 26 juin 1932, Lacombe, Guilleminot et un autre complice, le nommé René Anchisi — celui-là même qui s'est accusé d'avoir pris part au cambriolage — partirent pour Morlaix dans une C. 6 Citroën volée à une comtesse.

 

Les trois hommes passèrent la nuit dans leur voiture, un peu au-delà de Rennes.

 

Ils arrivèrent à Morlaix le 27 juin 1932, vers 11 heures.

Ils déjeunèrent dans un grand hôtel de la ville, puis Lacombe se serait rendu dans un café de la place Thiers, où il avait rendez-vous avec son indicateur, le nommé Palavitchini.

Lacombe, après s'être entretenu pendant quelques minutes avec ce dernier, le quitta pour rejoindre Guilleminot et Anchisi.

Après s'être rendus à l'hippodrome de Langolvas, les malfaiteurs revinrent en ville.

Ils avaient arrêté leur auto près du petit square de la place Cornic.

Ils y prirent leur attirail de cambrioleur : pinces monseigneur, fausses clefs, etc..

 

Lacombe et ses complices forcèrent la porte des appartements du docteur Quéinnec sans hésiter un instant, Lacombe étant sûr qu'il n'y avait personne dans la maison.

 

Lacombe aurait pris un escalier à l'intérieur de l'appartement et aurait visité les meubles du premier et du deuxième étage.

Guilleminot faisant le guet sur le palier du premier.

Il se serait ainsi emparé des bijoux et d'une somme de 24.000 francs, cette somme se trouvant dans un coffre qu'il avait forcé.

 

Les cambrioleurs s'en allèrent alors et Guilleminot reçut pour sa part une somme de 10.000 francs, ainsi qu'une broche de laquelle Lacombe avait enlevé deux diamants d'un carat chacun environ Lacombe monta lui-même ces diamants, par la suite sur des bijoux qu’il tenait de sa famille.

 

L’un de ces bijoux, une bague, fut saisi sur lui au moment de son arrestation en septembre 1933 , à Paris, et serait déposé au greffe du tribunal de la Seine, où, a ajouté Lacombe , M. Quéïnnec pourra retrouver les diamants dérobés.

 

Lacombe et ses complices, aussitôt après le cambriolage, quittèrent Morlaix et regagnèrent Paris par Lorient, Vannes, Nantes, Angers, etc..

 

Lacombe retrouva son indicateur quelque temps après à Paris.

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Quand Lacombe quitta le cabinet de M. Rosec, juge d'instruction, il était près de midi.

Il fut conduit sous bonne escorte au commissariat de police, où il déjeuna de fort bon appétit, tandis que Guilleminot prenait son repas à la gendarmerie.

Il fallait, en effet, tenir les deux hommes séparés l'un de l'autre pour qu'ils ne puissent communiquer avant la confrontation de l'après-midi.

 

À 15 heures, M. Rosec interrogea Guilleminot, 24 ans, originaire de Meyrin (Suisse), qui était assisté de son avocat, Me Le Febvre, du barreau de Morlaix.

Guilleminot renouvela les déclarations qu'il avait faites le 3 janvier dernier.

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Lacombe et Guilleminot sont en contradiction sur quelques points de détail.

Ils ne dépeignent pas de la même façon le restaurant dans lequel ils ont déjeuné.

Guilleminot prétendait, en effet, avoir mangé dans un petit restaurant de la place Cornic, tandis que Lacombe affirme avoir pris son repas dans un hôtel où le service était fait par des garçons.

 

Aucun des soi-disant cambrioleurs n'a paru remarquer le viaduc, masse pourtant imposante pour quiconque visite notre ville pour la première fois, même en toute hâte.

 

Lacombe, parlant de la rivière de Morlaix, ne semble pas se rendre très bien compte des dimensions du bassin du côté du quai de Léon.

 

Guilleminot, d'autre part, a déclaré qu'avant de s'introduire dans les appartements du docteur Quéïnnec, il avait sonné.

Lacombe, lui, affirme qu'il a forcé la porte sans prendre cette précaution, superflue à son sens, puisqu'il savait la maison déserte.

 

Lacombe et Guilleminot, enfin, ont insisté, à diverses reprises, pour être autorisés à mettre leurs propres vêtements et non pas ceux de la prison.

N'est-ce pas dans le but de tenter une évasion ?

 

Lacombe et Guilleminot sont, à part cela, entièrement d'accord sur les circonstances générales de l'affaire et sur le plan des lieux.

Un plan fait par Lacombe est même d'une précision étonnante.

 

La suite de l'information révélera si leurs déclarations sont sincères ou fondées de toutes pièces.

Les malfaiteurs n'auraient-ils pas assez de netteté soit par la presse, soit par les confidences d'un codétenu ?...

 

L'affirmation de Lacombe, en ce qui concerne les bijoux saisis à Paris, lors de son arrestation, va être vérifiée et elle permettra de juger de sa sincérité.

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Dès que Lacombe désigna comme son indicateur ce fameux marquis italien Palavitchini, M. Rosec fit faire des recherches sur le registre des étrangers se trouvant au commissariat de police.

On ne trouva nulle trace du séjour à Morlaix de cet individu.

 

Voici le signalement que Lacombe a donné de Palavitchini :

brun, moustaches à l'américaine, yeux noirs, taille 1 m. 70 environ, mince, nez aquilin, portant beau et distingué.

Il aurait une cicatrice sur une joue.

 

Les personnes susceptibles de fournir des renseignements sur Palavitchini sont invitées à aviser la justice.

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Si, bien entendu, les vérifications faites sont négatives, Guilleminot et Lacombe seront renvoyés à Fontevrault, où ils ne semblent pas pressés de retourner.

Les deux repris de justice ne cachent pas que la vie est très dure dans cette maison centrale et qu'à juste titre — c'est nous qui ajoutons cette réflexion — on ne se montre pas tendre envers les indésirables qui s'y trouvent.

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Guilleminot et Lacombe étant rentrés à Brest par le train de 16 h. 40, il a été matériellement impossible de faire procéder à la reconstitution du cambriolage du quai de Léon.

Il est probable qu'elle aura lieu prochainement et qu'elle pourra fournir d'utiles éclaircissements sur cette affaire.

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Source : La Dépêche de Brest 3 avril 1936

 

Nos lecteurs savent dans quelles circonstances le nommé Pierre Guilleminot, condamné à 20 ans de travaux forcés et détenu à la maison centrale de Fontevrault, s'accusa, par lettre, d'être l'auteur du cambriolage commis en juin 1932 dans les appartements du docteur Quéïnnec, quai de Léon.

 

Transféré à la maison d'arrêt du Bouguen à Brest, Guilleminot fut interrogé par M. Rosec, juge d'instruction à Morlaix.

Il raconta avec un luxe de détails assez surprenant, comment il avait opéré le cambriolage avec la complicité d'un nommé Lacombe, dit Joë, également détenu à la maison centrale de Fontevrault et condamné aux travaux forcés à perpétuité.

 

Lacombe, à son tour, fut transféré au Bouguen, à Brest.

Il fut interrogé par M. Rosec, juge d'instruction, à qui il fit le récit, à sa façon, du cambriolage.

Il se dit le chef d'une bande organisée, à laquelle appartenait Pierre Guilleminot, qu'il avait rencontré dans la misère à Paris, et un certain René Anchini, détenu à Fontevrault et qui, lui aussi, avait écrit au parquet de Morlaix pour s'accuser d'avoir pris part au cambriolage.

 

Lacombe et Guilleminot furent confrontés dans le cabinet de M. Rosec.

On releva dans leurs déclarations certains rapports, mais aussi certaines contradictions.

Toutefois, tous deux paraissaient assez bien renseignés sur la façon dont le cambriolage avait été commis.

 

Lacombe déclara que des bijoux volés chez le docteur Quéïnnec avaient été saisis sur lui lors de son arrestation à Paris et avaient été déposés au greffe du tribunal de la Seine.

 

Il signala, d'autre part, qu'il avait eu un indicateur à Morlaix, un marquis italien, nommé PaIavitchini.

 

Lacombe et Guilleminot furent reconduits au Bouguen à Brest, en attendant que leurs déclarations soient contrôlées.

 

Or, le parquet de Morlaix vient d'être informé que les bijoux saisis sur Lacombe et déposés au greffe du tribunal de la Seine ne correspondent pas du tout avec ceux qui furent dérobés chez le docteur Quéïnnec.

 

D'autre part le nommé Palavitchino et non Palavitchini, comme l'avait dit Lacombe, s'est suicidé en 1931 pour échapper à la police qui le traquait et avec laquelle il avait des comptes à régler.

L'enquête faite à Paris n'a pas permis de retrouver de trace du départ de Palavitchino pour Morlaix, pas plus que l'enquête faite à Morlaix n'a permis d'établir le séjour dans notre ville de cet individu.

 

Il est dès lors logique de supposer que Lacombe et Guilleminot ont imaginé de toutes pièces l'histoire du cambriolage, parce que n'ayant rien à perdre, en se déclarant coupables, ils avaient la possibilité de tenter une évasion.

Ils faisaient, en tout cas, un petit voyage en Bretagne et échappaient à un séjour plutôt pénible à la maison centrale de Fontevrault.

 

Il se pourrait encore que le vrai coupable détenu à Fontevrault pour quelques années, leur ait raconté les circonstances exactes du cambriolage, avec la faculté pour eux de s'en servir, à la condition expresse qu’ils ne le dénonceraient pas.

Si cela était, Lacombe et Guilleminot auraient intérêt à parler, car, sinon, ils iront rejoindre d'ici peu Fontevrault, avant d'être expédiés pour la Guyane.

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Source : La Dépêche de Brest 13 avril 1936

 

Un détenu particulièrement dangereux, condamné aux travaux forcés à la suite d'une longue série de méfaits, notamment de vols qualifiés et de cambriolages, a tenté, hier matin, de s'évader de la prison du Bouguen.

Cette tentative, d'ailleurs avortée, a été marquée d'incidents dramatiques, au cours desquels un gardien, M. Jean Brincin, 43 ans, a été blessé dans des circonstances que nous expliquerons plus loin.

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La prison est la « maison du silence ».

Les gardiens, les surveillants font leurs rondes en chaussons.

Et c'est là une mesure de prudence qui s'impose.

Cependant, l'affaire qui faillit coûter la vie à M. Brincin — au courage duquel il faut rendre un particulier hommage — montre bien que les précautions prises sont encore insuffisantes.

Le personnel est-il d'ailleurs assez nombreux et peut-il assumer sa lourde tâche dans des conditions satisfaisantes ?...

 

Le silence qui règne la nuit dans un établissement pénitentiaire favorise parfois les entreprises audacieuses d'un mauvais garçon décidé à conquérir sa liberté.

Une planche « craque » dans le couloir ?

C'est le surveillant qui fait sa ronde.

Il faut alors, aussi vite que possible, se remettre au lit et faire semblant de dormir, car le petit judas de la porte va s'ouvrir, sinon la porte elle-même.

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Joë Lacombe était depuis plusieurs semaines l'hôte de la prison du Bouguen et sa conduite l'avait fait placer, cellule 21, sous une surveillance spéciale, à un régime assez sévère.

 

Condamné, comme nous l'avons dit, aux travaux forcés à perpétuité, il avait été transféré de la prison centrale de Fontevrault à celle du Bouguen, après s'être accusé — sans doute à tort — d'un cambriolage retentissant commis à Morlaix en juin 1932, chez M. le docteur Quéïnnec, cela peut-être dans l'intention de retarder un départ redouté vers la Guyane.

 

Et Lacombe dressa un plan d'évasion, qui, d'ailleurs, ne fut pas loin de porter ses fruits.

Il inspecta le matériel de sa cellule et jeta son dévolu sur un fer en T, comme on en emploie pour la consolidation des murs.

Ce fer mesurait 45 centimètres et pesait 1 k. 800.

Il réussit, hier, à desceller la pièce et, aussitôt, se mit au travail.

 

Ainsi armé, il entreprit de percer la cloison de sa cellule pour s'ouvrir un chemin vers la liberté.

Il s'attaqua à la maçonnerie un peu au-dessus du plancher et à gauche de la porte.

 

Il lui était évidemment nécessaire d'agir avec la plus grande prudence et de travailler sans faire le moindre bruit.

À chaque ronde, il fallait aussi qu'il masque en hâte son petit chantier et qu'il prenne dans son lit l'attitude d'un homme qui dort profondément.

 

Ainsi les heures passèrent sans que le moindre soupçon puisse naître.

L'homme travaillait avec ruse et l'idée de retrouver la liberté stimulait son ardeur.

 

La pointe du jour approchait déjà.

Il fallait, de toute nécessité, en finir, mais aussi attendre que soit passée la quatrième ronde de nuit.

 

Dans le couloir silencieux, le pas du gardien se fit entendre.

Lacombe était aux aguets.

Encore quelques minutes et tout serait terminé.

Une dernière fois, il se recoucha.

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Le prisonnier, après avoir entendu la porte de la chambre du surveillant se refermer, se mit à l'œuvre pour en terminer Il réussit enfin à pratiquer dans le mur une ouverture de 60 centimètres sur 30.

 

Alors comme un lapin sort de son terrier, il sortit de sa cellule.

 

Joë Lacombe était simplement vêtu de sa chemise, car pour s'évader il ne pouvait songer à porter l'uniforme brun des détenus.

Mais il savait que les prisonniers « à court terme » conservent leurs vêtements civils.

Ceux-ci, chaque soir sont placés dans le couloir, devant les portes des chambres.

C'était pour lui le salut.

 

Errant dans le long couloir du deuxième étage, Lacombe jeta son dévolu sur le pantalon et le veston du détenu Le Stum et s'en revêtit.

 

Tout était endormi et silencieux dans l'établissement.

N'ayant aux pieds que des chaussettes, l'homme monta a la lingerie.

Là, dans une grande armoire, d'ailleurs ouverte, il prit des draps pour s'en faire la corde nécessaire à l'exécution de son projet.

Sans doute avait-il connu la dernière évasion de la prison de la Santé, réussie dans des conditions très difficiles et avec l'aide de complicités certaines...

 

Lacombe s'empara de cinq paires de draps et monta dans les combles.

Là, l'oreille aux aguets, il ouvrit un vasistas et se prépara à « tenter le grand coup».

 

Il noua les draps les uns aux autres, balança le tout dans le vide, après avoir accroché solidement l'extrémité a la toiture

S'étant penché au-dessus du vide il comprit que la « corde » était trop courte.

Il s'en fallait de plus de cinq mètres.

 

Alors il ramena le tout à lui et décida de redescendre à la lingerie pour... chercher du renfort.

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Joë Lacombe mettait son projet à exécution, à tâtons, silencieusement; il allait vers l'armoire où il savait devoir trouver ce qui lui manquait.

 

Il lui fallait passer devant la porte de la chambre du surveillant.

 

Comme il y parvenait, la sonnerie d'un réveil-matin retentit.

Tout était perdu.

Que faire ?

Le prisonnier n'allait bientôt être qu'un homme traqué et sa tentative était vouée à l'échec.

 

Lacombe était là contre la porte derrière laquelle sonnait le réveil...

Il entendit le surveillant qui se préparait i reprendre son service.

Que faire ?

 

C'est alors qu'il adopta la solution dernière.

Il retourna dans sa cellule, y prit la barre de fer dont il s'était servi pour percer le mur et revint se poster près de la porte que le gardien allait bientôt ouvrir.

 

Le bras levé, il attendit la minute décisive.

Quand M. Brincin sortit, il frappa.

 

Une lutte sauvage s'engagea aussitôt, car le gardien fit preuve du plus beau courage.

Atteint à la tête à plusieurs reprises, il tomba à l'intérieur de sa chambre.

Les deux hommes roulèrent sur le plancher.

 

Qui, à cette heure, aurait pu entendre le gardien qui appelait à l'aide.

Bientôt M. Brincin dut abandonner la lutte.

Son agresseur le bâillonna et le ligota avec des serviettes trouvées sur place.

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Il fallait dès lors agir au plus vite, car les minutes étaient comptées.

Toute la prison allait bientôt s'éveiller.

 

Lacombe s'empara du trousseau de clés que portait sa victime, dans l'espoir d'y trouver celle qui lui assurerait la liberté.

 

Le prisonnier parcourut alors les couloirs, cherchant l'issue favorable.

Ce qu'il semble avoir ignoré, c'est que le gardien ne possède sur lui que les clés des portes intérieures et non celles des portes de sortie.

Les surveillants sont eux-mêmes, en service, rigoureusement confinés dans la prison.

 

Lacombe réussit toutefois à ouvrir une porte qui donnait sur une cour.

Mais ceci ne l'avançait guère.

La prison du Bouguen est, en effet, entourée d'une double enceinte de murs et il ne put aller plus loin que le chemin de ronde, placé entre l'enceinte intérieure et l'enceinte extérieure.

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Le fugitif s'empara alors d'un banc assez long et le dressa contre la muraille, dans l'espoir de parvenir au faîte.

Il ne fut pas loin de réussir.

Mais il savait aussi que la prison s'éveillait et que, d'un instant à l'autre, M. Bincin pouvait donner l'alarme en appelant et en sonnant.

 

Désormais la tentative de fuite était vouée à l'échec.

 

En effet, bien que perdant son sang en abondance, M. Bincin ayant repris ses sens, se mit avec patience et ténacité, en devoir de se dégager des liens qui le retenaient.

Puis, s'étant redressé, il partit à la recherche du prisonnier.

Le sang qu'il perdait l'aveuglait, mais il poursuivit sa dangereuse entreprise.

 

Découvrant le chemin parcouru par le fugitif, M. Bincin s'empara d'une bouteille pour être mieux en mesure de se faire obéir.

C'est ainsi qu'il arriva sur les lieux où Lacombe tentait son dernier effort et « jouait sa dernière carte ».

 

Le surveillant, brandissant la bouteille, réussit par son attitude énergique à en imposer à celui dont il venait d'être la victime.

 

Il lui fit ouvrir la porte de la cour et lui donna l'ordre de sonner, après avoir réintégré sa chambre.

 

M. Galenne, surveillant en chef, est en congé.

Quelques minutes plus tard, le personnel de la prison fut alerté.

Il fallait donner d'urgence des soins au blessé et prévenir les magistrats du parquet.

 

Lacombe, en vertu de l'article 614 du code d'instruction criminelle, relatif aux rebellions contre les membres du personnel pénitentiaire, fut mis aux fers.

 

Peu après, MM. les docteurs Pouliquen et Mignard se trouvaient au chevet du blessé, dont l'état inspirait les plus vives inquiétudes.

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À la première heure, le parquet de Brest, composé de MM. de Lapeyre, juge d'instruction ;

Donnart, substitut du procureur de la République, et Le Gall, greffier, se transportait à la prison du Bouguen.

 

Lacombe fut amené dans le bureau du gardien-chef et longuement interrogé jusqu'à 13 heures.

Il assura que jamais il n'avait eu un projet homicide.

Il ne voulait pas, dit-il, « faire grand mal » à M. Brincin.

Il déclara aussi qu'il n'avait bénéficié d'aucune complicité.

Mais cela ne paraît pas absolument certain pour l'instant, ainsi que nous le verrons plus loin.

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M. Jacques Henry, sous-préfet de Brest, avait été avisé de ce qui venait de se passer à l'intérieur de la prison, et, aussitôt, il se rendit au chevet du blessé, auprès duquel il devait rejoindre les membres du parquet.

 

M. Jacques Henry apporta au blessé les marques de sa sympathie et sut lui donner le réconfort qu'il méritait après une aussi dramatique épreuve.

 

Le sous-préfet de Brest se rendit également 179, rue Jean Jaurès, à Lambézellec, pour saluer les membres de la famille de M. Brincin, victime du devoir.

 

M. Brincin avait, entre temps, été transporté à l'hospice civil par l'ambulance municipale et admis salle Saint-Côme.

Il fut rapidement opéré et, dès 10 heures, il avait retrouvé la possession de ses moyens.

 

Le blessé porte six blessures à la tête, mais elles n'intéressent, fort heureusement, que le cuir chevelu et des points de suture ont été pratiques avec succès.

 

Dans l'après-midi, entre 14 et 15 heures, il fut visité par sa famille éplorée.

 

M Brincin que nous avons vu hier, fait preuve d'une énergie remarquable et pense fermement .que les blessures reçues n'auront pas de suite grave.

La tête entourée de volumineux pansements, il a pu s'entretenir avec les siens et tranquilliser ses enfants.

 

À 15 h. 45, M. de Lapeyre, juge d'instruction, se rendait à son chevet pour lui apporter, comme M. Jacques Henry, l'expression de sa sympathie.

Le blessé ne pouvait d'ailleurs pas être interrogé et ce n'est qu'aujourd'hui sans doute qu'il sera en mesure de fournir à la justice les précisions nécessaires.

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Il est difficile de savoir, dès à présent, si Lacombe a bénéficié de complicités.

Lorsqu'il fut arrêté, un appel général fut opéré, car on pouvait craindre que que d’autres détenus, plus favorisés par la chance, profitent de l’incident pour « s’envoler ».

Il n’en était rien.

 

L’enquête a cependant relevé quelques faits troublants.

C’est ainsi qu’au cours de la reconstitution de tentative d'évasion, a noté que le banc dont s'était servi Lacombe pour tenter de franchir le mur avait été vraisemblablement déplacé peu après l'arrestation du fugitif ; quelques autres indices ont été consignés, qui seront l'objet d'une enquête approfondie.

 

Lacombe se trouve désormais placé dans un cachot spécialement réserve aux prisonniers dangereux et que ceux-ci, dans leur argot particulier, appellent le « mitard ».

Il en sera extrait aujourd'hui pour comparaître devant les magistrats du parquet.

 

Il devenait nécessaire de renforcer le personnel de surveillance.

Les agents Thomas et Tanguy furent d'abord appelés, puis relevés à midi par l'agent Helliès et le sous-brigadier Kermorgant.

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L'enquête, qui ne fait que commencer, possède un autre élément assez curieux et fort classique : une auto mystérieuse.

 

Dans la soirée de samedi, vers 23 heures, une automobile stationna aux environs de la prison.

On entendit nettement la voix d'un enfant placé à l'intérieur du véhicule et qui cria : — Papa !

La réponse : « Tais-toi ! » fut également perçue.

Ce colloque nocturne offre-t-il un rapport avec l'affaire présente ?

Rien ne permet de l'affirmer.

 

Cependant, M. de Lapeyre, désirant ne négliger aucun indice, a chargé M. Sturtzer, commissaire de police, de procéder à une enquête.

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M. Sturtzer se rendit à la prison et procéda sur place à diverses constatations.

Dans la chambre ou se trouvait M. Brincin, la chambre S.2, il releva de nombreuses traces de sang.

L'état de la pièce disait assez combien avait été sévère la lutte qui s'y était déroulée.

Le képi du gardien gisait à terre, non loin de ses souliers.

 

Dans les combles, M. Sturtzer vérifia l'emplacement des draps qui servirent à la tentative d'évasion. Au bord du toit, une gouttière était tordue.

Les éléments de cette enquête seront transmis aujourd'hui au palais.

Notons enfin que, dès hier, M. Donnart, substitut, a adressé un rapport au parquet général.

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Georges Lacombe, dit « Joë », titulaire de près de 20 ans de prison pour vols, ainsi que nous l'avons dit, se trouve aujourd'hui condamné aux travaux forcés à perpétuité.

L'un de ses amis, Guilleminot, est condamné à 20 ans de bagne.

 

La dernière condamnation de Lacombe fut prononcée par les assises du Morbihan.

 

Lacombe et Guilleminot se trouvaient incarcérés à la maison centrale de Fontevrault en attendant leur transfert à la Guyane.

 

C'est alors que Pierre Guilleminot s'accusa, par lettre, d'être l'auteur du cambriolage commis en juin 1922 dans les appartements du docteur Quéïnnec, quai de Léon, à Morlaix.

 

Transféré à la maison d'arrêt du Bouguen, à Brest, Guilleminot fut interrogé par M. Rosec, juge d'instruction à Morlaix.

Il raconta avec un luxe de détails assez surprenant, comment il avait opéré le cambriolage avec la complicité d'un nommé Lacombe, dit Joë, également détenu à la maison centrale de Fontevrault et condamné aux travaux forcés à perpétuité,

 

Lacombe, à son tour, fut transféré au Bouguen, à Brest.

Il fut interrogé par M. Rosec, juge d'instruction à Morlaix, à qui il fit le récit, à sa façon, du cambriolage.

Il se dit chef d'une bande organisée, à laquelle appartenait Pierre Guilleminot, qu'il avait rencontré dans la misère à Paris, et un certain René Auchini, détenu à Fontevrault et qui, lui aussi, avait écrit au parquet de Morlaix pour s'accuser d'avoir pris part au cambriolage.

 

Lacombe et Guilleminot furent confrontés dans le cabinet de M. Rosec.

On releva dans leurs déclarations certains rapports, mais aussi certaines contradictions.

Toutefois, tous deux paraissaient assez bien renseignés sur la façon dont le cambriolage avait été commis.

 

Lacombe déclara que des bijoux volés chez le docteur Quéïnnec avaient été saisis sur lui lors de son arrestation à Paris et avaient été déposés au greffe du tribunal de la Seine.

 

Il signala, d'autre part, qu'il avait eu un indicateur à Morlaix, un marquis italien, nommé Palavitchini.

 

Lacombe et Guillemot furent reconduits au Bouguen, à Brest, en attendant que leurs déclarations soient contrôlées.

 

Or, le parquet de Morlaix vient d’être informé que les bijoux saisis sur Lacombe et déposés au greffe du tribunal de la Seine ne correspondent pas du tout avec ceux qui furent dérobés chez le docteur Quéïnnec.

 

D'autre part, le nommé Palavitchino et non Palavitchini, comme l'avait dit Lacombe, s'est suicidé en 1934 pour échapper à la police qui le traquait et avec laquelle il avait des comptes à régler. L'enquête faite à Paris n'a pas permis de retrouver de trace du départ de Palavitchino pour Morlaix, pas plus que l'enquête faite à Morlaix n'a permis d'établir le séjour dans la ville de cet individu.

 

Il est dès lors logique de supposer que Lacombe et Guilleminot ont imaginé de toutes pièces l'histoire du cambriolage, parce que n'ayant rien à perdre, en se déclarant coupables, ils avaient la possibilité de tenter une évasion.

 

Il se pourrait encore que le vrai coupable détenu à Fontevrault pour quelques années, leur ait raconté les circonstances exactes du cambriolage, avec la faculté pour eux de s'en servir, à la condition expresse qu'ils ne le dénonceraient pas.

 

On sait que la prison de Morlaix n'existe plus et cela n'est pas sans rendre plus difficiles certaines instructions.

Chaque fois que Guilleminot et Lacombe se rendent au cabinet du juge d’instruction de Morlaix, ils sont accompagnés chacun par quatre gendarmes.

Ils ne prennent d’ailleurs jamais le même train.

 

La tentative d’évasion faite par Lacombe n’est sans doute pas sans rapport avec son désir de quitter Fontevrault pour le Bouguen.

L’enquête qui commence permettra vraisemblablement d’établir la vérité à cet égard.

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Source : La Dépêche de Brest 14 avril 1936

 

Nous avons dit dans quelles dramatiques conditions un détenu de la prison du Bouguen, Georges Lacombe, condamné aux travaux forcés à perpétuité et en instance de départ pour la Guyane, avait tenté de s'évader, après avoir blessé un surveillant M. Brincin.

 

L'état de santé de M. Brincin qui, nous l'avons indiqué, n'était pas aussi grave qu'on le craignait tout d'abord, est assez satisfaisant.

Dans la journée d'hier le blessé a reçu plusieurs membres de sa famille et aussi des collègues venus aux nouvelles.

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Une conférence réunit hier matin au palais de justice, M. de Lapeyre, juge d'instruction; M. Donnart, substitut du procureur de la République et M. Sturtzer, commissaire de police qui, on le sait, a procédé à diverses constatations à la prison du Bouguen.

 

L'enquête sera reprise dès aujourd'hui de façon active.

Plusieurs personnes seront entendues.

 

M. de Lapeyre se rendra également à l'hospice civil pour y recueillir les déclarations de M. Brincin, dont les blessures seront examinées par M. le docteur Mignard, médecin légiste.

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Ajoutons qu'hier matin est arrivé à Brest M. le directeur de la circonscription pénitentiaire de Rennes.

Ce fonctionnaire s'est rendu à la prison du Bouguen où il a entendu plusieurs personnes.

Il a également visité les lieux de l'agression.

Enfin, il est allé saluer M. Brincin à l'hospice civil.

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Source : La Dépêche 15 avril 1936

 

M. de Lapeyre, juge d'instruction, accompagné de M. Le Gall, greffier, s'est rendu hier matin, à 10 h. 45, à l'hospice civil pour y recueillir la déposition de M. Brincin, qui fut, on le sait, blessé à la tête par le détenu Lacombe, lorsque celui-ci tenta de s'évader de lia prison du Bouguen, dans la nuit de samedi à dimanche.

 

L'état de M. Brincin demeure satisfaisant.

Le blessé est toujours en traitement salle Saint-Côme et M. le docteur Mignard, médecin-légiste, a procédé à l'examen auquel il était commis.

Son rapport sera prochainement déposé entre les mains du juge d'instruction.

 

M. Brincin a fait un récit très détaillé de l'agression dont il avait été l'objet et qui faillit lui coûter la vie.

 

Nous ne reviendrons pas sur la première partie de l'affaire, que nous avons relatée en détail.

On sait comment, descendant des combles pour chercher de nouveaux draps de lit, Lacombe entendit sonner le réveil-matin du gardien.

C'est alors, qu'armé de la pièce de fer dont il s'était servi pour percer le mur de sa cellule, il attendit la sortie de M. Brincin.

Un instant après la lutte dramatique s'engageait entre les deux hommes.

 

Tombé à terre à demi-évanoui, le surveillant fut ligoté par son agresseur.

Celui-ci remonta au grenier et poursuivit sa tentative d'évasion.

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M. Brincin ne perdit complètement à aucun moment le contrôle de ses sens.

Il n'entendit aucun bruit suspect sur le palier.

Or, il semble qu'il aurait saisi le bruit fait par le trousseau de clefs dont s'était emparé Lacombe, si celui-ci avait voulu ouvrir la porte du petit dortoir voisin, dans lequel dormait Guilleminot et cinq autres détenus.

D'ailleurs, immédiatement après l'alerte, la porte de ce dortoir fut retrouvée fermée.

Si un détenu quelconque en était sorti, il faudrait admettre que Lacombe aurait eu le temps de l’y enfermer, la tentative ayant échouée.

 

Quoi qu'il en soit, M. Brincin n'entendit rien de suspect pendant qu'il s'efforçait de détacher les liens qui le retenaient couché.

 

Aussitôt debout, il descendit sonner l'alarme, puis il remonta à sa chambre pour observer par la fenêtre ce qui se passait dans la cour.

Il vit le banc dont se servit Lacombe pour franchir un mur, mais ce banc se trouvait contre le mur opposé à celui où les enquêteurs le découvrirent.

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M. Brincin, qui perdait d'ailleurs beaucoup de sang, se rendit alors presque à la porte de la détention, où il sonna à nouveau.

Armé d'une bouteille, il attendit dans le couloir.

C'est alors qu'il se retrouva en présence de Lacombe, qui se rendit.

 

M. Brincin, au cours de ses deux allées et venues à travers les corridors et les escaliers, n'entendit et ne vit rien de suspect.

 

Lacombe assure qu'il n'a fait appel à l'aide d'aucun détenu.

Guilleminot et ses « co-locataires » ont aussi déclaré n'avoir rien su.

 

C'est ce point que M. Sturtzer, commissaire de police, va tenter d'éclaircir, sur commission rogatoire.

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Nous avons dit que M. Mallau, directeur de l'arrondissement pénitentiaire de Rennes, se livrait à une enquête administrative.

Il a interrogé le personnel de la prison et inspecté les locaux de détention.

Son enquête étant terminée, M. Mallau a quitté Brest hier après-midi pour Rennes.

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La suppression de la prison de Morlaix avait obligé d'écrouer au Bouguen, à Brest, les redoutables bandits Georges Lacombe, dit « Joë », et Pierre Guilleminot, enfermés à la maison centrale de Fontevrault, à la suite de leurs condamnations aux travaux forcés à perpétuité et à vingt ans de bagne par la Cour d'assises du Morbihan, en septembre 1934, pour vols qualifiés et tentative de meurtre commis à Vannes le 27 août 1933.

 

Après avoir cambriolé la Société générale et volé 30.000 francs, surpris par un gardien, ils avaient pris la fuite.

Les agents de police Le Callonnec, Boscher et Dréon parvinrent à les arrêter, mais, en cours de route, Lacombe et son complice leur échappèrent et tirèrent, sans les atteindre, des coups de revolver sur les agents.

 

Lacombe prit un taxi, se fit conduire à Brest, d'où il gagna Paris, où les assises de la Seine le condamnaient, le 5 février 1934, pour vols à main armée, à vingt ans de travaux forcés, peine prolongée à perpétuité par les assises de Vannes.

Il fut envoyé à Fontevrault en attendant son transfert à l'île de Ré.

 

Lacombe et Guilleminot s'étant accusés d'être les auteurs du cambriolage des appartements du docteur Quéïnnec, commis en juin 1932, il était nécessaire de les entendre, afin de faire vérifier leurs dires.

 

Au parquet de Morlaix, on se méfiait d'une tentative d'évasion de ces dangereux malfaiteurs, qui pouvaient s'être accusés uniquement pour essayer de reprendre leur liberté avant leur départ pour la Guyane.

 

Aussi, chaque fois que Lacombe et Guilleminot étaient conduits de Brest à Morlaix, étaient-ils étroitement surveillés.

Ils voyageaient chacun dans un compartiment particulier, entre deux gendarmes.

 

Quand ils furent confrontés à Morlaix, ils étaient escortés, dans la traversée de notre ville, par huit gendarmes, quatre Brestois et quatre Morlaisiens.

Ils avaient, bien entendu, de solides menottes aux mains.

 

Au cours de leur confrontation à Morlaix, on releva de telles contradictions dans leurs déclarations que, déjà, l'opinion de M. Rosec, juge d'instruction, était faite :

Lacombe et Guilleminot avaient menti pour retarder leur départ au bagne.

 

Lacombe, le plus inquiétant des deux personnages, avait demandé de faire procéder à une reconstitution du cambriolage dans les appartements du docteur Quéïnnec, quai de Léon, occupés aujourd'hui par M. Godeau, greffier en chef du tribunal civil.

 

Cette reconstitution n'eut pas lieu, mais il apparaissait alors clairement que si Lacombe la demandait, c'était pour profiter d'un moment d'inattention de ses gardiens afin de prendre la fuite.

 

Enfin, quand on sut que les bijoux saisis sur Lacombe, lors de son arrestation à Paris, et déposés au greffe du tribunal de la Seine, n'avaient aucun rapport avec ceux qui avaient été volés chez le docteur Quéïnnec, il n'était plus possible de douter de la mauvaise foi et de Lacombe et de Guilleminot.

 

Lacombe savait bien que ses mensonges allaient le confondre et qu'on allait lui faire réintégrer la maison centrale de Fontevrault, où, d'ailleurs, il ne devait pas avoir une conduite exemplaire, puisqu'il y purgeait une punition lorsqu'on le conduisit à Brest.

 

Lacombe et Guilleminot ne cessaient de se plaindre du régime sévère que subissaient les prisonniers à Fontevrault.

 

La tentative d'évasion de Lacombe, au Bouguen, vient de confirmer toutes les suppositions que l'on pouvait faire sur l'esprit des malfaiteurs.

 

Lacombe a voulu utiliser la dernière chance qui lui restait de fuir.

Il n'y a pas réussi et, d'ailleurs, aurait-il pu aller bien loin sans être repris ?

 

Il est probable que l'affaire Quéïnnec se terminera par un non-lieu en ce qui concerne Lacombe et Guilleminot, mais leur départ pour la Guyane va être encore retardé par la nouvelle instruction ouverte contre Lacombe pour sa tentative d'évasion.

 

Ainsi se terminera cette nouvelle phase du cambriolage des appartements du docteur Quéïnnec, qui fit couler tant d'encre, tandis que le véritable coupable reste encore impuni.

 

Dans son cachot, faiblement éclairé par un soupirail, les pieds entravés le jour et des menottes aux poignets la nuit, Lacombe ne peut plus espérer reconquérir sa liberté.

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Source : La Dépêche de Brest 20 avril 1936

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Source : La Dépêche de Brest 16 mai 1936

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