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Fenêtres sur le passé

1935

L'assassin de l'île Quéménès

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Source : La Dépêche de Brest 3 avril 1935

 

Grave affaire que cet assassinat de l'île Quéménès, qui vient aujourd'hui devant les jurés du Finistère.

Cependant, elle n'avait attiré qu'un public assez restreint, peut-être en raison de la nature peu palpitante

de ce crime de l'alcool, commis sans témoins dans la petite île désolée, entre Ouessant et Le Conquet.

 

L'accusé est assis entre deux gendarmes, petit, trapu, l'air sournois que plusieurs témoins viendront lui reconnaître tout à l'heure à la barre.

Il est tel que nous l'avons présenté l'autre jour sur notre photographie.

 

Il répondra par monosyllabes aux questions du président et sa défense sera nulle.

 

C'est avec la plus grande indifférence qu'il assistera à ce redoutable interrogatoire et, à le voir si calme,

on se demande vraiment s'il se rend compte que sa tête est en jeu.

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Sur l'îlot de Quéménès à mi-chemin entre Ouessant et la côte du Finistère, la veuve Floch emploie

une vingtaine d'hommes à des travaux de culture et à la récolte du goémon.

 

Ne buvant que de l'eau pendant toute la semaine, chaque travailleur reçoit deux litres de vin le dimanche,

jour de repos.

 

Le dimanche 20 Janvier 1935, Bossard aurait eu, prétend-il, une querelle avec son camarade Lamour.

Il aurait eu le dessous et, vexé, en aurait conçu un certain ressentiment. 

Le dimanche 27 Janvier, dans la matinée, il aurait eu, sans témoins, une discussion avec Lamour,

lequel l'aurait traité de « fainéant » et de « propre à rien ».

 

Le même jour, vers 13 h. 30, se trouvant dans le dortoir commun Bossard, qui avait largement entamé sa ration de vin et paraissait excité, avait déclaré à deux camarades, Marchadour et Allançon, qu'avant la nuit il aurait tué Lamour.

 

Vers 15 heures, il descendit au rez-de-chaussée, servant de grange et d'atelier,

et y trouva Lamour travaillant sur un établi. 

Bossard injuria Lamour qui répondit par d'autres injures. 

De plus en plus excité, Bossard s'empara alors d'une pioche et s'approcha de Lamour qui lui tournait  le dos,

penché sur l'établi, et lui asséna sur la nuque un violent coup de son outil.

 

L'homme s'effondra sans un cri.

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Tranquillement, Bossard regagna le dortoir pour y achever sa ration de vin.

 

Lamour, atteint au bulbe rachidien, mourut au bout de quelques minutes sans avoir repris connaissance.

 

Bossard reconnaît avoir tué volontairement Lamour.

Après avoir avoué la préméditation de son crime, il a prétendu que, malgré ses menaces de mort,

il n'avait d'abord voulu que se battre avec Lamour, afin de l'avoir à sa merci.

 

Lamour, âgé de 60 ans, était depuis 13 ans au service de la veuve Floch,

qui le considérait comme un très bon ouvrier, honnête et consciencieux.

 

Bossard, âgé de 53 ans, est célibataire.

Condamné, à l'âge de 17 ans, à six mois de prison avec sursis pour avoir cambriolé une maison isolée,

il a encouru en 1923 une nouvelle condamnation à deux mois de prison pour vol et recel de métaux.

Il est réputé sournois, vindicatif et peu travailleur.

 

En conséquence, est accusé Bossard (Gabriel) d'avoir, à l'île Quéménès en Le Conquet, le 27 janvier 1935, volontairement donné la mort à Lamour (Jacques), et ce, avec préméditation.

Crime prévu et puni par les articles 295, 296, 297 et 302 du Code pénal.

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Le président. — Vous n'avez fait qu'un an de service. Pourquoi ?

— Mon frère était aussi au service.

 

Le président. — Vous êtes venu travailler chez Quéré comme « picoulier »,

puis vous vous êtes engagé dans l'infanterie de marine ?

— Oui.

 

— Vous avez considérablement changé après ?

— …

 

— Le 3 novembre 1908, vous avez rengagé au 3e colonial, puis au 9e.

Vous avez été aux colonies ?

— Oui, à Hanoï ; deux ans et demi au Tonkin.

 

— Vous vous êtes rengagé pour le Maroc en 1913, puis vous avez fait la campagne,

avez été blessé à Beaumont-sur-Marne et perdu le dextre gauche ? 

— Puis, vous avez été engagé aux usines Girard et à nouveau, vous êtes parti au front en 1916 ;

enfin, envoyé à Salonique comme convoyeur et libéré, le 27 mai 1919, dans les Bouches-du-Rhône,

où vous êtes resté six mois faire les vendanges. 

« Vous avez une pension de guerre de 25 %, réduite à 10 %. 

« Interrogés, vos employeurs ont déclaré que vous étiez bon travailleur, mais que vous vous adonniez à la boisson.

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Vous viviez en concubinage avec une femme Podeur, dont vous avez eu un enfant reconnu.

 

« Vous avez été, en 1929, inculpé d'avoir soustrait 29 kilogs de cuivre provenant du centre d'aviation de Brest,

dans un hangar non fermé.

Vous habitiez à 500 mètres du hangar au pigeonnier, ancien hangar des Américains.

Vous avez été condamné à deux mois de prison et avez quitté Brest à la mort de votre concubine

 

« Vous êtes retourné à l'île Béniguet et vous avez été occupé par la veuve Monot et chez Mme Pors,

ensuite chez Mme Floch, à l'île Quéménès, occupé au travail du goémon.

 

« En 1933, vous avez été employé par François Lostic, en Ploumoguer, et viviez en très bons termes

avec son domestique Lansonneur.

 

« Lorsque vous touchiez votre pension, vous tiriez une bordée et payiez à boire à toute le monde ?

— Trois ou quatre jours.

 

— Votre camarade Le Berre a été étonné d'apprendre que vous aviez commis un crime ;

il ne vous croyait pas capable de cela.

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« Vous touchiez votre pension au Conquet.

Mme Petton, commerçante au Conquet, dit que lorsque vous descendiez à terre toucher votre pension,

vous payiez à boire à tout le monde et ne repartiez que lorsque l'argent était épuisé.

 

« L'archipel molénais est situé entre Ouessant et la terre.

Dans l'ile Quéménès, à huit kilomètres du Conquet, se trouve l'exploitation de Mme veuve Floch,

qui s'occupe de récolte de goémon pour extraction d'iode à l'usine Teissier.

 

« Que faisiez-vous dans l'île ?

— Ramasser du goémon.

 

— Où couchiez-vous ?

— Dans une grange neuve.

 

— Combien étiez-vous dans ce dortoir ?

— Nous étions sept ?

 

— Lamour couchait-il dans le même dortoir ?

— Non.

 

— Il y avait deux bonnes à vous servir ?

— Non, une et la patronne.

 

— Qu'aviez-vous à boire en semaine ?

— De l'eau.

 

— Et le dimanche ?

— Deux litres de vin.

 

— Lamour, votre victime, travaillait dans l'ile depuis dix ans ?

— Nous n'étions pas de la même équipe.

 

— Vous avez déclaré que Lamour n'avait pas de sympathie pour vous ?

— Il m'engueulait quand il était saoûl.

 

— C'est Lamour qui vous commandait ?

— Non, c'était Jean Maguat.

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— Lamour prétendait que vous n'étiez bon à rien et vous faisait des reproches lorsque vous étiez seul avec lui.

Vous avez fini, à la longue, par nourrir une animosité contre lui.

 

« Le dimanche avant le crime, vous en êtes venu aux mains avec Lamour et celui-ci a eu le dessus.

Vous avez dit au juge d'instruction que « vous vouliez prendre votre revanche » ?

— Je voulais me battre avec lui

 

— Huit jours après, dans la matinée, vous avez eu une dispute avec lui.

Il vous aurait traité de fainéant et de propre à rien, puis vous auriez bu une bonne partie de votre vin

et vous avez déclaré être bien décidé à vous venger de lui.

 

« Deux témoins ont déclaré que vous auriez dit :

« Avant que la nuit n'arrive, j'aurai tué Lamour ».

Vous avez dit ça à 13 heures.

Répondez, c'est très grave. »

 

Le président s'adresse aux jurés et leur explique que le crime prémédité est passible de la peine de mort.

 

— Pourquoi avez-vous dit cela ?

— Je ne sais pas comment j'ai dit ça !

 

— Vous avez déclaré que vous n'aviez que l'intention de vous battre avec Lamour ?

Est-ce vrai ?

Qu'est-ce que vous répondez ?

 

— Il est 14 h. 30.

Toutes ces scènes se passent dans le grenier.

Au rez-de-chaussée est un atelier avec un établi.

 

« Vous avez pris cette pioche (la pioche emballée est devant le président) et avez frappé par derrière ?

— Il m'avait menacé d'un râteau qui était derrière lui.

 

— Dans sa chute, Lamour est tombé sur l'établi et s'est fait, de ce fait, des blessures légères.

 

Me Le Coz, le défenseur, fait remarquer au président que Bossard ne répond pas

et qu'il ne faut pas tenir compte de son silence comme d'un acquiescement.

 

Le président — Je vais prendre encore plus de précautions dans l'interrogatoire.

 

Me Le Coz — J'en viens à me demander si les déclarations de Bossard correspondent à la réalité.

 

— En présence de l'évidence, vous avez avoué le Crime ?

— Oui, j'ai dit ça !

 

— Avez-vous quelque chose à ajouter ?

— Rien.

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Le premier témoin, Yves Le Marchadour, âgé de 60 ans, ne parlant pas français,

M. Goulaouis prête serment de l'interpréter.

 

Le Marchadour. — Il avait dit :

« Avant la nuit, il sera tué par moi. »

Le jour du crime, vers 15 heures, j'entendis une discussion entre Lamour et l'accusé.

Je descendis au rez-de-chaussée et j'étais à trois mètres de l'accusé lorsque je l'ai vu porter le coup de pioche.

Lamour avait le dos tourné à Bossard.

Il n'y aurait pas eu de paroles échangées.

« Sitôt le coup porté, Bossard a laissé tomber sa pioche et est remonté.

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— N'a-t-il pas rencontré Allançon ?

— Je ne sais pas, je suis resté estomaqué, ne pouvant presque pas parler.

 

— Bossard était-il pris de boisson ?

— Ni l'un ni l'autre n'étaient ivres.

Ils avaient bu un coup, mais je ne puis dire même qu'ils étaient « chauds ».

Ils n'étaient même pas éméchés.

 

— Était-il « badouët » ?

— Je ne peux pas le dire.

 

— Avez-vous remarqué que Bossard fut en état d'ébriété ?

— Je ne l'ai pas remarqué.

L'avocat. — Le témoin n'était pas en état de le remarquer (!).

 

Le témoin. — J'ai levé la main, je ne voudrais pas mentir ; huit jours avant je les avais séparés.

 

Le président (à Bossard). — Vous avez entendu la déposition du témoin ?

Bossard. — Lamour ne m'a rien dit devant lui.

 

L'avocat. — Je voudrais demander au témoin si, au moment où il a descendu l'escalier,

la chicane existait toujours entre Bossard et Lamour ?

Le témoin. — Je n'ai pas entendu un mot.

 

L'avocat. — Quelle était la position de Lamour lorsqu'il reçut le coup ?

Le témoin. — Lamour était à toucher l'établi, qui est tombé lorsque le coup a été porté.

 

Allançon, ouvrier agricole, arrive ensuite devant la barre.

 

Il dit qu'au moment du crime il était dans son lit.

Il a entendu Bossard dire :

« Lamour sera tué avant ce soir ».

 

Il entendit la dispute, puis un bruit sourd — l'établi qui tombait — et il descendit aussitôt

et vit Lamour à terre dans le sang.

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Le président. — Bossard était-il saoul ?

Le témoin. — Non ; il avait bu un coup mais n'était pas ivre.

 

Le président. — Avez-vous fait cas de ses menaces

« avant ce soir Lamour sera tué » ?

Le témoin. — Je suis allé prévenir le patron.

 

Le ministère public. — Vous avez dit que vous aviez eu

le pressentiment d'un malheur ?

Vous êtes même descendu sans vous chausser ?

Le témoin. — Oui, parce que j'ai entendu du bruit.

 

Olivier Floch, fils de Mme Floch, employeur de Bossard,

dit qu'il a trouvé Lamour râlant.

 

Le président. — Lamour et Bossard faisaient bien partie

de la même équipe ?

Le témoin. — Oui.

 

Le président. — Avez-vous eu le sentiment que Lamour et Bossard

ne s'entendaient pas ?

Le témoin. — Non, il y avait des petites discussions,

mais ils s'entendaient assez bien.

 

Le ministère public (au témoin). — Que pensez-vous de Bossard ?

Le témoin. — Un peu sournois.

 

L'avocat. — Pourquoi le témoin dit-il sournois ?

Le témoin. — Parce qu'il ne parlait pas beaucoup.

 

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Mme veuve Floch n'a entendu la chicane entre Lamour et Bossard que ce jour-là seulement

 

Le président. — Quels renseignements pouvez-vous fournir sur Bossard ?

Le témoin. — Un peu sournois, ne pariant pas beaucoup.

 

Le président. — Vous avez ajouté vindicatif ?

Le témoin. — Je ne peux pas dire.

 

Enfin le maréchal des logis Yvon Le Dé raconte comment il lut appelé à constater le crime.

 

Le président. — Le corps avait-il été déplacé lorsque vous êtes arrivé ?

 

M. Le Dé. — Par la chute du corps, l'établi a été déplacé à 45°.

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M. Genicon, procureur de la République, a la parole.

Il montre le drame de la vengeance.

Il montre la nécessité de sanctionner ce crime atroce, si froidement prémédité.

Il décrit la rude vie des goémoniers des îles, où les passions bonnes ou mauvaises sont souvent portées

au paroxysme.

Buvant de l'eau toute la semaine, il indique reflet de la boisson distribuée le dimanche.

Ensuite, il décrit Bossard, sournois, irritable à l'excès, se mettant en colère pour des motifs futiles et dont la probité de plus n'est pas à l'abri de toute critique.

Après avoir décrit la vie militaire de Bossard, blessé à Beaumont et amputé de l'index de !a main gauche,

son séjour à Brest comme docker et sa condamnation pour vol de cuivre

 

Il en arrive à la matinée du 27 janvier.

Pourquoi Bossard a-t-il frappé ?

Il faut adopter la thèse de Bossard : Lamour le traitait de « propre à rien » et voulait le commander.

Des querelles éclataient entre eux, de telle sorte que pas un dimanche ne se passait sans qu'une altercation

ne s'élevât entre eux.

Le 20 janvier, il y eut bataille et Bossard ayant eu le dessous, aurait juré de se venger.

À 13 heures, il dit à qui veut l'entendre qu'avant que la nuit ne soit venue Lamour aura été tué.

Peu après, Bossard prend une pioche et en assène un coup formidable sur la nuque de Lamour.

Cette scène ne passa pas inaperçue de Marchadour et Allançon qui, ayant pressenti un malheur, arrivèrent,

ce dernier sans même prendre la peine de se chausser.

 

Aux gendarmes, Bossard déclara d'abord être étranger au crime, puis entra dans la voix des aveux.

Quelles excuses manifeste-t-il ?

Aucune.

Nous attendons son repentir.

L'ivresse ?

Il a reconnu être pris de boisson mais ne rendait compte de ce qu'il faisait.

 

Qui a voulu cette scène ?

J'entends bien qu'il y a eu des querelles antérieures.

 

Lamour, qui commandait l'équipe, n’avait-il pas le droit de faire des observations à Bossard qui travaillait peu ?

 

Où est-elle l'excuse qu'il invoque ?

Il dira qu'il a été menacé d'un râteau.

Mais le râteau n'a pas bougé de place, et quel danger courait Bossard puisqu'au moment où Lamour a été frappé,

il bricolait à l'établi.

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La vengeance !

Je dis que cet homme a voulu assouvir sa rancune, et la trace de la préméditation, je la trouve dans ses déclarations,

le lendemain, aux gendarmes et surtout dans ses propos « avant que la nuit ne sera venue, Lamour sera tué ».

 

Vous vous trouvez en présence d'un meurtre avec préméditation, et je vous demande de sanctionner ces faits.

 

Le ministère public indique que Bossard est passible de la peine de mort, mais trouve dans ses états de services

et surtout dans, cet atmosphère qui règne aux îles de Quéménès une circonstance atténuante.

Alors, dit-il aux jurés, la loi descend depuis cinq ans de travaux forcés à celle de travaux forcés à perpétuité.

Il termine :

« Ou bien par des sanctions dérisoires il faut encourager les passions et c'est le retour à la barbarie,

ou par un verdict humain défendre la Société contre ceux qui, pour une injure, peut-être justifiée,

n'hésitent cependant pas à s'arroger le droit de mort ! »

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Me Le Coz, avocat au barreau de Quimper, défend Bossard, dont il dépeint la jeunesse difficile,

la première condamnation en 1899 ; décrit la dure vie de goémonier dans l'ile de Quéménès,

où le contrat de travail octroie aux « picouliers » deux litres de vin à 10 degrés le dimanche.

 

D'ailleurs, dans ce milieu austère et pénible ne vivent que des célibataires ou divorcés,

en quelque sorte les « rebuts du continent », qui, trois fois par ans seulement,

viennent sur la terre ferme et dépensent en boisson ; le produit de leurs gains ou de leurs pensions.

 

Me Le Coz montre Bossard peu intelligent et répondant par monosyllabes, souvent ne répondant même pas.

 

Aussi l'avocat ne retient pas la préméditation, car le 27 janvier, il avait échangé une vieille paire de chaussures

contre un litre de vin, ce qui portait à trois litres sa dose dominicale.

 

Sous l'influence de l'alcool, il songe à se venger et lâche ses paroles contre Lamour.

Avait-il l'intention de mettra ces menaces de mort à exécution ?

 

— Je ne le pense pas, dit l'avocat.

Ces menaces de mort sont fréquentes d'ailleurs, ni Marchadour, ni Allençon n'y ont pas attaché d'importance.

C'est donc à un sentiment de vengeance dû à l'ivresse que Bossard a agi.

D'ailleurs, s'il avait réellement voulu le tuer, il n'y aurait pas eu discussion entre les deux hommes.

 

« Je vous demande d'écarter la préméditation, non pas au point de vue de la peine, mais parce qu'elle n'existe pas ;

la volonté de tuer n'existe pas.

En tous les cas, il existerait un doute qui doit profiter à l'accusé.

D'ailleurs, il y eut des torts des deux côtés dans la querelle qui divisait les deux hommes. »

 

L'avocat se demande ensuite s'il n'y eut pas de provocation de la part de Lamour.

D'ailleurs, n'est-il pas possible que Lamour, en se baissant, ne cherchait pas à saisir le râteau pour en frapper Bossard ?

De plus, Lamour, n'ayant pas d'outil à la main, ne devait pas être occupé à bricoler.

 

— On vous a demandé de prononcer une peine sévère, exemplaire :

Travaux forcés à perpétuité, à temps, ou réclusion de cinq à dix ans.

 

Il demande la réclusion.

Bossard est déjà vieux ;

il demande l'indulgence pour le colonial qui a fait son devoir, mais, un dimanche qu'il avait bu,

eut un geste qui a dépassé le sentiment de vengeance qu'il nourrissait contre Lamour.

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On pose aux jurés les deux questions :

1° Bossard est-il coupable, à l'Ile Quéménès, le 27 janvier dernier,

d'avoir volontairement donné la mort à Jacques Lamour ?

 

2° L'homicide volontaire a-t-il été commis avec préméditation ?

 

Le jury se retire pour délibérer et rapporte les réponses suivantes :

À la première question : oui.

À la deuxième : non.

 

À la majorité, il y a des circonstances atténuantes en faveur de Bossard.

 

Après intervention de l'avocat qui demande de descendre jusqu'à la réclusion,

la cour et le jury se retirent pour décider de la peine, qu'ils rapportent peu après :

Bossard est condamné à dix ans de travaux forcés.

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