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Fenêtres sur le passé
1934
Caïn devant ses juges à Ouessant
Source : La Dépêche de Brest 1 juin 1934
Ce n'est pas une histoire biblique, loin de là.
Le Caïn dont il s'agit a pour prénoms... Marie-Anne et sévit au village de Keradennec, en Ouessant.
Cinquante-quatre ans ; une forte fille que le rapport des autorités signale comme étant
« nerveuse et méchante, surtout sous l'empire de la boisson ».
Marie-Anne Caïn se présente, d'ailleurs devant le président Halléguen avec une assurance magnifique qui,
à elle seule, pourrait expliquer l'inculpation de coups et blessures et de bris de clôture dont elle est l'objet.
Voici les faits :
Le 5 mai, Marie-Anne Caïn, à la nuit close, vint rôder autour de la maison qu'habite son voisin, M. Sébastien Kerliviou.
Puis, telle une furie antique, cheveux au vent, elle se rua sur la porte qui bientôt fut mise à mal.
Caïn possède de respectables biceps.
M. Kerliviou dormait paisiblement au côté de son épouse.
Il se leva en hâte et, dans... « le simple appareil d'une jeune beauté qu'on arrache au sommeil »,
se précipita... sur les lieux du sinistre.
Il consolida la porte, arrivée à la limite de la résistance passive, puis enfin l'ouvrit toute grande.
Avec le vent du large, entra aussi Marie-Anne Caïn qui, pleine d'ardeur guerrière, sauta sur Sébastien.
Ce fut épique.
M. Kerliviou. — Elle me martyrisait mes pieds nus avec ses sabots !
Finalement, le couple roule à terre et Mme Kerliviou arrive à point pour empêcher Caïn (Marie-Anne)
de tuer son « frère » (Sébastien)... en lui enfonçant une longue épingle dans la tempe.
Et voici le démon expulsé.
La porte se referme sur son dos.
Cependant, la rage de Caïn ne fait que croître et, en quelques instants, 12 carreaux et plusieurs châssis de fenêtres sont pulvérisés par des projectiles lancés d'une main experte.
Au jour, ce fut une véritable désolation.
On eût dit qu'Attila était passé à Keradennec !
Quand M. Kerliviou a fini de déposer, on entend Caïn (Marie-Anne) dire d'une voix grave :
— Il rêve. Il a rêvé. Je n'ai pas même quitté ma maison ce soir-là !
Le tribunal, cependant, n'est pas de cet avis.
Il inflige à Marie-Anne quinze jours de prison avec sursis et 16 francs d'amende.
L'œil du ministère public demeurait impassible ...et regardait Caïn.