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1932 - Meurtre au Quinquis à Plouguin

Brest le 8 novembre 1932 - La Dépêche de Brest

Un homme est retrouvé mort dans son lit,

la tête fracassée d’un coup de fusil.

L’assassin est arrêté.

La petite commune de Plouguin, située à 5 km

de Ploudalmézeau, a été mise en émoi, hier

par la découverte d’un crime dont l’auteur n’est pas

resté longtemps impuni, ainsi qu’on va le lire.

A 500 mètres environ du bourg de Plouguin,

au milieu des champs, un petit hameau 

de quelques fermes.

C’est le hameau de Quinquis.

Dans un chemin creux et que la pluie a rendu

presque impraticable, une ferme plus importante

que les autres a pour voisine une maisonnette 

composée de deux pièces et d’un grenier

et qui était habitée par François Jacob,

âgé de 30 ans, né à Plouguin et ancien navigateur.

Jacob, après avoir bourlingué pendant quelques années

sur toutes les mers, était revenu au pays

et avait pendant quelques temps travaillé

à l’exploitation de la ferme située en face de la maison

actuelle et qui appartenait à sa famille.

 

Puis à la mort de ses parents il avait retiré sa part de l’héritage et avait construit dans une parcelle de terrain de l’autre côté du chemin, la maisonnette où il devait finir tragiquement.

De l’héritage, il avait touché 90.000 francs.

Il se crut millionnaire et organisa tout de suite sa vie comme un rentier.

Cultivant le petit bout de terrain attenant à sa maison et chassant pour se distraire,

le reste du temps il était employé à faire la noce pour dissiper le plus vite possible les liasses de billets.

Mais Jacob n’était pas égoïste et sa maison était le rendez-vous d’un certain nombre de camarades plus ou moins recommandables, braconniers pour la plus part et assez susceptibles de faire un mauvais coup à l’occasion.

Jacob les accueillait à bras ouverts.

Il régalait volontiers, ayant toujours des réserves de victuailles et de boisson, que ses visiteurs ne se faisaient pas faute d’engloutir avec enthousiasme.

Quant à l’argent, il en passait peut-être un peu à ceux qui venaient lui en demander, mais il cachait la plus grosse somme pour ne pas être dévalisé.

Le pensionnaire

Depuis trois semaines environ, Jacob donnait une hospitalité entière à un ancien camarade de navigation connu dans le pays sous le nom de Jim et qui ne paraissait pas très occupé car il passait tout son temps à entretenir

avec plus ou moins de courage le jardin de son hôte et à casser du bois.

Jim naturellement était bien nourri, bien abreuvé et partageait le lit de Jacob  qui le faisait aussi bénéficier

de ses orgies assez fréquentes.

Jim se nommait en réalité Benjamin Calvarin.

Il avait été, il y a deux ans, ouvrier chez M. Trébaol, marchand de machines agricoles à Plouguin

et cousin germain de Jacob, mais d’un caractère sournoiset noceur, Jim n’avait pas tardé à être congédié

et on savait qu’il avait travaillé par la suite comme tailleur de pierres à Plouider.

Au mois de juillet dernier, Jim revint à Plouguin et M. Trébaol le trouva en train de lier conversation

avec ses ouvriers.

Il offrit ses services pour entrer de nouveau chez le patron qui l’avait congédié, mais M. Trébaol le pria

de ne plus mettre les pieds chez lui et il partit.

On devait le retrouver chez Jacob au commencement d’octobre.

La découverte du crime

Dimanche matin, deux chasseurs passant devant la maison de Jacob voulurent inviter celui-ci.

Ils frappèrent à la porte.

Personne ne répondit.

Un peu surpris de ce silence, car ils savaient que l’ancien navigateur ne s’était pas absenté,

ils revinrent vers 13 heures et appelèrent de nouveau.

La demi-sœur de Jacob, Mme Guénneguès qui habite une ferme voisine était sur le bord du chemin,

ils lui firent part de leurs inquiétudes.

    -  Est-il mort ? dit l’un des visiteurs

    -  Peut-être, répondit Mme Guéneuguès qui ne croyait pas dire la vérité.

Les visiteurs s’en allèrent.

Mais vers le soir, Mme Guénneguès fit part de ses soupçons à sa sœur Mme Provost 

et à une voisine, Mlle Thépaut.

Les trois femmes à tour de rôle se hissèrent sur une boite à sel qu’elles avaient apportée le long

de la fenêtre de Jacob.

Elles  virent le lit de celui-ci sur lequel était étendu le camarade Jim.

La moitié du lit était recouverte d’un ciré et d’une quantité de journaux sous lesquels

on devinait la forme d’un corps.

Comme Jim respirait largement les femmes pensèrent que les deux camarades sommeillaient.

Mais après s’être concertées et craignant quelque chose de tragique, elles placèrent devant la porte un bâton

et une brouette pour voir le lendemain matin si les deux hommes étaient sortis.

Le cadavre

Lundi matin, dès 7 heures, Mme Guénneguès et Mme Provost purent se rendre compte de la fuite de Jim

qui en sortant avait rejeté le bâton posé devant la porte.

Alors personne ne bougeant plus dans la maison, elles firent prévenir M. Berthou, maire de Plouguin qui arriva

peu de temps après, accompagné de M. Conq adjoint au maire et oncle de Jacob

et de M. Le Dreff, garde-champêtre.

On pénétra alors dans la maison dont la clef avait été laissée sur le pas de la porte par le fugitif.

A l’intérieur, on trouva, d’abord dans la pièce servant de salle à manger une table abondamment pourvue de vaisselle et de victuailles.

Dans la pièce voisine, servant de chambre à coucher, Jacob était étendu sur son lit, les jambes repliées.

Il était vêtu d’un pantalon de toile bleue, d’un pull-over beige et d’un veston.

L’homme avait la tête en sang et du sang après avoir coulé abondamment sur les draps du lit avait formé

une mare sur le plancher.

La figure du mort portait un trou à la hauteur de l’œil gauche qui avait complètement disparu.

La face sur tout le côté gauche était noircie par la poudre d’un coup de feu qui avait dû être tiré à bout portant.

L’homme avait été surpris au lit pendant qu’il était en train de lire.

Entre ses doigts ramenés sur la poitrine, se trouvait en effet

un roman de notre concitoyen François Menez intitulé « Pays Perdu ».

 

Sur le lit également des feuillets d’une revue policière qui avait servi

par la suite à recouvrir son cadavre.

Dans la pièce, il y avait certes le désordre d’une maison mal tenue

et où l’on fait la noce presque quotidiennement, mais aucun indice

qu’il y eu lutte entre les deux hommes.

L’arrivée des magistrats

L’autopsie

Après avoir fait ces tragiques constatations, M le maire de Plouguin

fait prévenir les gendarmes de Ploudalmézeau.

Peu après arrivaient à Plouguin le maréchal des logis chef Sylvestre

et le gendarme Quimerch ; le docteur Le Meur, de Ploudalmézeau

les suivit de près.

Après avoir fait des constatations rapides, le chef de brigade fit prévenir

à Brest le capitaine de gendarmerie Lang.

Vers 16 heures, alors que les représentants de la presse piétinaient

dans la boue du chemin, M. Le Meur juge d’instruction,

accompagné de M. Laclautre, substitut du procureur

de la République ; Lang, capitaine de la gendarmerie de Brest ;

le docteur Mignard, médecin légiste et le greffier d’instruction

arrivaient sur les lieux du crime.

Après avoir visité la maison et examiné le cadavre, le docteur Mignard fit transporter le corps dans une grange d’une ferme voisine où il pratiqua l’autopsie, tandis que M. Le Meur dans une pièce de la ferme, procédait

à l’audition de Mmes Guéneuguès et Provost, qui avaient découvert le cadavre.

Le docteur Mignard constata que le crâne ainsi que les os de la face avaient été littéralement fracassés.

L’œil gauche était arraché et la cervelle en bouillie.

Tout de suite il fut évident que l’horrible blessure dont était mort Jacob n’avait pu être faite par un revolver.

 

En effet, en fouillant l’intérieur de cette tête écrasée, le médecin légiste ne tarda pas à recueillir une dizaine de grain de plomb de calibre 5 et une douille de 16 m/m.

Jacob avait donc été tué d’un coup de fusil tiré de gauche à droite et de bas en haut.

 

La mort, instantanée avait dû suivre de très près le repas de la victime, car l’estomac contenant encore

des aliments non digérés.

L’autopsie terminée, le corps fut placé dans le cercueil en attendant les obsèques.

Puis les magistrats reprirent le chemin de Brest.

L’arrestation de l’assassin.

Mais pendant ces diverses opérations, les gendarmes des communes voisines

de Plouguin et de Ploudalmézeau, battaient la campagne pour mettre

la main au collet de l’assassin qui n’avait pas eu le temps de faire un long voyage.

 

En effet, vers 8 heures, dans les environs de la maison du crime, Benjamin Calvarin,

dit Jim forgeron de son métier, était arrêté par le gendarme Le Bihan,

de la brigade de Ploudalmézeau, qui conduisait aussitôt son prisonnier

à la gendarmerie où il fut interrogé séance tenante.

Calvarin ne tarda pas à entrer dans la voie des aveux.

Il déclara qu’une discussion s’était élevée entre lui et Jacob à propos d’une somme

d’argent dont son compagnon avait constaté la disparition.

Jacob ayant qualifié de voleur son locataire, celui-ci avait pris un fusil chargé

qui se trouvait dans un coin de la pièce où reposait Jacob.

Calvarin lui avait tiré un coup de fusil à bout portant.

Calvarin raconte qu’après le crime accompli il voulut se suicider.

Il alla, pour se faire, chercher le revolver que l’on retrouva sur la table au moment

de l’enquête et que l’on crut un moment être l’arme du crime.

Calvarin aurait alors tenté de se brûler la cervelle avec cette arme, mais le revolver

un browning de 7 m/m 7 s’enraya et le désespéré n’eut d’autre ressource que la fuite.

Calvarin sera amené aujourd’hui à Brest et mis à la disposition de M. Le Meur,

juge d’instruction chargé de l’enquête.

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La Dépêche de Brest - 

AUX ASSISES 
Audience du 11 janvier 


LE CRIME DU QUINQUIS, EN PLOUGUIN


Benjamin Calvarin, dit «Jim», meurtrier de François Jacob, 

ancien marin du commerce, est condamné à dix ans de travaux forcés 

et vingt ans d'interdiction de séjour .


Les débats sont présidés par M Le Marchand, conseiller à la Cour d'appel 

de Rennes assisté de M. Cavellat juge et de M. Durand, juge suppléant. 

M. Genicon, procureur de la République, occupe le siège du ministère public. 
M. Chicard, celui de greffier Me de Kerangal est au banc 'de la défense. 


L'acte d'accusation 


Le 19 octobre 1932, le nommé Benjamin Calvarin, ouvrier forgeron,

sans travail se rendit chez le sieur Francis Jacob, ancien marin de commerce,

retiré à Plouguin, qu'il connaissait et avec lequel il entretenait les meilleurs rapports de camaraderie depuis 1918.


Ce dernier lui donna l'hospitalité et ils vécurent ensemble pendant 3 semaines.
Calvarin étant à la charge entière de son ami. 


Le 3 novembre 1932, Jacob passa la soirée et coucha chez un sieur Bizien au Prat, commune de Plouguin.

Il rentra au Quinquis, où Calvarin était demeuré seul depuis la veille.

Vers neuf heures, les dames Marie Jaouen, épouse Provost, et Joséphine .Jaouen, épouse Guennéguès,

demi-sœurs de Jacob, virent leur frère porteur d'un fusil se diriger vers le bourg de Plouguin,

en compagnie de son hôte.

Dans l'après-midi, à quatorze heures, un sieur Boulic les aperçut de nouveau dans le jardin attenant

à l’habitation de Jacob. 
Depuis lors, Jacob et Calvarin ne furent plus aperçus, ni dans la journée du 5 ni dans la matinée du 6 novembre. 


Dans l'après-midi du dimanche 6 novembre, vers 15 heures, la dame Jaouen, épouse Provost, s'inquiéta

de ne pas voir apparaître son frère.

Elle s'approcha de la fenêtre de la maison et monta sur une vieille salière pour se rendre compte

de ce qui se passait à l'intérieur de la chambre.

Elle aperçut alors Calvarin couché sur le lit

à côté de Jacob, ce dernier étendu sur le dos

et complètement recouvert de son imperméable. 
Elle tenta alors vainement d'ouvrir la fenêtre,

puis la porte.

Elle revint aussitôt chez elle a 100 mètres environ,

et fit part de ce qu'elle avait vu a sa sœur,

la dame Guennéguès, qui à son tour mit

au courant de ces faits une demoiselle

Catherine Thépaut.

Puis toutes les trois purent successivement voir,

toujours par le même moyen, les deux corps

dans la même position sur le lit.

Il ne fut pas répondu aux divers appels

qu'elles firent. 


Vers 5 heures, les sœurs Jaouen, accompagnées

des demoiselles Victoire Thépault

et Louise Thépaut, regardèrent à nouveau

par la fenêtre, et constatèrent que seul Jacob, 

toujours sur le dos, et recouvert de son imperméable était sur le lit.

Elles surveillèrent les issues de la maison jusqu'à 19 heures environ, puis se retirèrent, après avoir placé devant la porte, 2 bâtons debout et une brouette en travers. 


Le lendemain 7 novembre, vers 6 heures et demie, la dame Joséphine Jaouen, épouse Guennéguès,

étant allée de nouveau à la maison de son frère, remarqua que les bâtons et la brouette avaient été déplacés 

et que la clef avait été déposée sur le seuil de la porte.

N'osant ouvrir elle s'en alla chercher sa sœur, Victoire Thépaut, Robert Boulic et divers voisins.

Victoire Thépaut ouvrit la porte.

Tous pénétrèrent dans la chambre où ils trouvèrent le cadavre de Jacob, recouvert de son imperméable,

tel qu'il avait été vu la veille.

Il était complètement rigide et portait une blessure faite par une arme à feu à l'œil gauche ;

 ses vêtements étalent en ordre et aucune trace de lutte n'apparaissait. 
Les bras étaient repliés sur le thorax, les mains légèrement écartées et un livre gisait ouvert 

sur le creux de l'estomac.

Calvarin avait disparu, mais il n'apparaissait pas que le vol eut été le mobile du crime. 


Il résulta de l'autopsie pratiquée le 7 novembre 1932 par le médecin légiste, que la mort de Jacob remontait

à 2 ou 3 jours, qu'elle avait eu lieu après la prise d'un repas, avait été instantanée et était due à un coup de feu tiré à bout portant à l'aide d'un fusil de chasse, et qu'enfin la victime ne s'était pas défendue contre son agresseur. 


Calvarin était manifestement l'auteur de ce crime.

Il fut arrêté le 7 novembre au bourg de Plouguin.

Il entra spontanément dans la voie des aveux et y a persisté depuis. 


L'accusé a reconnu avoir donné la mort à, son camarade, le vendredi 4 novembre 1932, 

peu après la fin du déjeuner, terminé par d'assez copieuses libations, vers 13 heures. 


Une discussion serait intervenue entre eux au cours de laquelle Jacob aurait adressé à Calvarin des reproches sous une forme injurieuse.

Calvarin saisit a ce moment un fusil de chasse chargé et armé, appuyé contre la cloison de la chambre,

entre la porte et le lit, contourna le lit, se plaça en face de Jacob et près de lui épaula en portant le canon du fusil

â 15 ou 20 centimètres de la tête de Jacob, pressa la détente gauche et fit partir le coup qui atteignit

la victime à l'œil gauche.

Celle-ci, foudroyée, ne poussa aucun cri et ne fit aucun geste.

Son crime accompli, l'accusé recouvrit avec des journaux les taches de sang qui maculaient le lit et le plancher. 


Il dissimula également sous les journaux auxquels il ajouta un imperméable, le cadavre de Jacob.

Calvarin demeura dans la maison jusqu'au lundi 7 novembre, à 2 heures du matin, y mangeant, couchant

et venant même par moment s'étendre sur le lit a côté du corps de sa victime. 


Calvarin prétend avoir commis son crime dans une sorte de réflexe.

Il se serait cru menacé par Jacob qui aurait, au cours de la discussion, fait le geste de prendre un pistolet automatique qu'il plaçait généralement sous son oreiller.

Cette version est invraisemblable.

De l'aveu de Calvarin, le pistolet était sur une table dans l'autre pièce de la maison et hors d'état de fonctionner 

à la suite d'un enrayage.

D'autre part, si Jacob n'avait été absorbé par sa lecture ou assoupi dans une demi-ivresse, il n'aurait pas manqué d'accomplir un geste de défense au cours duquel le livre serait tombé sur le lit on sur le parquet.

La position du cadavre et les détails fournis par Calvarin lui-même sur les modalités d’exécution son crime constituent le démenti le plus formel de ses allégations sur ce point. 


Il est infiniment plus vraisemblable qu’au cours de la discussion, Jacob, auquel la présence de Calvarin devenait insupportable,  lui aura signifié d'avoir à quitter sa maison ? 


Dans l'esprit de celui-ci sera alors née une idée de vengeance qu'il aura sur le champ sournoisement exécutée.


Calvarin n'a pas d'antécédents judiciaires. 


Les renseignements recueillis sur lui représentent comme d'un caractère sournois, comme buveur d'occasion,

et devenant brutal et violent sous l'influence de la boisson.

En conséquence, Benjamin-Yves-Marie Calvarin est accusé d'avoir, à Plouguin, le 4 novembre 1932,

volontairement donné la mort au sieur François Jacob. 


Crime prévu et réprimé par les articles 295 et 304 du Code pénal. 


Interrogatoire de l'accusé 


A première vue, Calvarin ne donne pas mauvaise impression.

Il répond posément et clairement aux questions du président. 
Rien ne choque dans son altitude. 


Il a été élevé à Landéda.

Sa mère est morte d'un cancer alors qu'il était encore enfant.

Son père, commissionnaire, est mort d'une hernie voilà 6 ans.

L'accusé a deux frères et trois sœurs.

Ces dernières habitent Landéda.

Un de ses frères est à Toulon, dans la marine. 
Il appartient à une famille très honorablement connue et très estimée dans le Pays.


A l'école communale, il eut pour maître M. Fily actuellement en retraite à Brest et qui le considère

comme un élève intelligent mais un peu sournois, d’un caractère renfermé. 


Certains de ses condisciples, interrogés au moment de l'enquête, estiment que Calvarin était un bon camarade.

On retrouve sur les livres de l’école des notes assez, élogieuses le concernant. 
Il quitte les bancs de l’école avec son certificat d'études et s'embauche comme apprenti forgeron, en 1910,

chez M. Trébaol, à Plouguin. 


Là, j'en ai vu de dures, dit-il.

J’étais maltraité par les ouvriers, qui me bourraient

de coups de pied et de gifles. *


Le président.

— Vraiment! on voulait donc dresser le mousse...

 
En 1922, Calvarin est exempté du service

pour perte de deux doigts de la main droite,

conséquence d'un accident du travail. 


Il quitte la maison Trébaol, en 1928, pour s'embarquer

au commerce en compagnie de François Jacob. 


Le président.

— Vous vous connaissiez donc déjà? 
— Oui, nous fîmes alors ensemble un voyage à la Martinique,

qui dura trois ou quatre mois. 


Le président.

— Et quelle fonction remplissiez-vous à bord? 
—J'étais soutier. 


Le président.

— Je voudrais connaître exactement vos rapports

avec Jacob, dès ce moment ? 
— On se connaissait comme ça,

sans se fréquenter beaucoup. 


Deux ans plus tard, en 1930, M. Trébaol congédie Calvarin

qui était revenu à son service. 


Le président.

— Pourquoi cela ? 
— Il n'y avait plus beaucoup de travail. 
Le président.

— Non pas, c'est que vous aviez beaucoup changé... 
Avant votre départ à la Martinique, il n'y avait aucun reproche à vous faire. 
Vous étiez noté comme bon travailleur, intelligent, sérieux, d'esprit curieux. 
Vous lisiez beaucoup.

Mme Rivoalen, votre maîtresse de pension, précise même que, lorsque vous lisiez, rien n'existait plus autour

de vous, tellement votre esprit était absorbé par votre sujet.

Que lisiez-vous ainsi ?

Des romans? 
 

L'accusé.

— Non, des revues instructives... 
Le président.

— Quoi qu'il en soit, vous voila complètement changé.

Vous ne manifestez plus le même goût au travail.

M. Trébaol dit même que vous passiez pour une brute. 
Il ajoute, détail à retenir pour le fond de ce procès, que vous n'admettiez pas la contradiction et

que vous vous montriez arrogant après avoir bu. 
Vous étiez devenu buveur et paresseux ! 
L'accusé.

— Trébaol ne m'a jamais donné congé ! 
Le président.

— Il le dit... 
L'accusé.

— Ce n'est pas vrai! 


En juillet 1932, Calvarin, qui se trouve au Pigeon Blanc, à Landerneau, écrit à M. Trébaol pour rentrer chez lui.

La lettre demeure sans résultat. 


L'accusé entre alors au service, de l'entreprise Marc, de Lambézellec.

II reprend sa liberté le 18 octobre 1932. 


Le président.

— Pourquoi partir encore ? 


L'accusé.

— Je voulais aller travailler chez M. Martin, à l'Aber-Benoit. 
Le président.

— Rien ne le prouve, car le lendemain, 19 octobre, vous êtes déjà installé chez Jacob, votre future victime. 


L'accusé.

— J'y étais allé de passage. 
Je le connaissais depuis 1918, dès mon arrivée à Plouguin.

Il me retint, désirant m'employer à la construction d'un garage. 
 

Le président.

— N'êtes-vous pas venu à lui plutôt en vous imposant, car toutes les recherches entreprises n'ont jamais révélé

que Jacob voulait faire exécuter cette construction? 
Etant donné vos habitudes de paresse et d’ivrognerie, on peut tout supposer... 


L'accusé.

— La construction fut différée.

En attendant, tu resteras ici pour bricoler le jardin et tu m'accompagneras à la chasse. 


Et cette vie facile dura trois semaines, jusqu'au drame.

Ce jour-là, Calvarin prétend que son hôte avait bu un litre et demi de vin rouge et fait un bon repas. 
Jacob se coucha sur le lit pour lire. 


Une altercation éclata et au cours de laquelle Jim déclare avoir été traité de fainéant,

de propre à rien et de voleur... 


L'accusé.

— Jacob était menaçant.

Il porta la main à son traversin comme pour prendre son revolver.

Je saisis alors le fusil, qui était chargé depuis la veille et à portée de ma main.

Je fis deux pas vers lui et tirai presque à bout portant. 


Le président.

— Pourquoi cela ? Le revolver était sur la table.


L'accusé.

— Je ne l'ai vu qu'après.  J'ai eu peur et me suis défendu. 


Le président.

— Je crois plutôt que vous avez tué Jacob pendant son sommeil ou au cours de sa lecture.

Car le livre a été retrouvé sur sa poitrine et les avant-bras de Jacob étaient restés au repos sur le corps. 


L'accusé.

— Il ne dormait pas. 


Le président,

— Comment ne s'est-il pas défendu ? 


L'accusé.

— Je ne l'ai su qu'après. 


Calvarin voulut alors se suicider.

Il trouva le revolver, dit-il, qu'une serviette dissimulait sur la table et fit le geste.

Mais l'arme était enrayée. 


Le président.

— C'est exact, mais il restait le fusil et vous vous êtes bien gardé d'y avoir recours. 

Et qu'avez-vous fait ensuite ? 


Ce furent, comme on le sait, trois journées passées à l'intérieur de l'habitation.

On ne peut obtenir de l'accusé une explication plausible sur cette vie recluse en compagnie du cadavre. 


Le président.

— En tous cas, on ne peut pas dire que vous ayez tué pour voler car vous saviez

qu'une vingtaine de milliers de francs étaient déposés dans une valise et vous n'y avez pas touché.

On a même retrouvé deux cents et quelques francs dans les poches du défunt et aussi de la menue monnaie. 
« Finalement, vous quittez les lieux le lundi dans la nuit et vous avez encore la présence d'esprit de déclarer

à un habitant, surpris de vous voir si matinal: « Je vais aller à la pêche avec Jacob ». 

 

Les Témoins

 

M. Jean Sylvestre, maréchal des logis de gendarmerie à Ploudalmézeau, a été chargé de l'enquête

et il fait le récit de ses constatations. 


Questionné par le président sur la position du livre, il répond : 
— Les mains soutenaient le livre. 
J'ai l'impression que Jacob a été tué soit pendant son sommeil, soit par surprise... 


Le président.

— Et quels renseignements avez-vous recueillis sur Jacob lui-même ? 


Il passait pour paresseux et ivrogne, mangeant, non ses revenus mais son capital.

Non content de faire construire,  il avait acheté une auto 6 000 francs, menait joyeuse vie

et ne se livrait à aucun travail. 

Le président.

— Est-il à votre connaissance que des disputes, des querelles survenaient habituellement

entre les deux hommes ? 


— Je n'ai rien su de pareil. 


Puis le gendarme François Le Bihan de Ploudalmézeau, raconte comment il arrêta Jim au bourg de Plouguin. 
— J'avais décidé de me constituer prisonnier, dit l'accusé. 


M le docteur Emile Mignard, rue Jean Jaurès à Brest, qui procéda à l'autopsie de la victime,

expose que le crâne était complètement en débris, l'ensemble n'étant retenu que par le cuir chevelu.

Le coup, tiré à dix ou vingt centimètres, avait fait balle dans l'œil gauche.

Dans la cervelle, le praticien retrouva la bourre de la cartouche et des grains de plomb.

La mort fut foudroyante. 


L'estomac était rempli et témoignait d'un repas copieux, mais le docteur n'y trouva pas de traces de vin rouge. 


Questionné également sur la position du livre, M. le docteur Mignard dit qu'il était posé les feuillets en l'air,

les mains reposant sur le creux épigastrique. 


Pour le praticien également, l'explication donnée par Calvarin ne tient pas. 
Jacob n'a pu faire un mouvement de la main vers le traversin, ce qui eût causé un déplacement

du bras et du corps. 


Mmes Provost, née Marie Jaouen, 23 ans. et Guenneguès, née, Joséphine Jaouen 21 ans,

toutes deux ménagères au Quinquis et demi-sœurs de la victime font leurs dépositions. 


A la première, le président demande : 
— Que pensez-vous de Calvarin ? 
— Je ne sais pas. 


Le président.

— N’ayez pas peur. Il ne vous tirera pas un coup de fusil aujourd'hui !  


Tout ce que je sais, c est que François aurait bien voulu s'en débarrasser. 


Le défenseur.

— Est-ce que votre demi-frère n'avait pas coutume de porter son revolver sur lui. 


— Oui, il était peureux. 


Mme Guenneguès précise aussi que Jacob montrait souvent son revolver et menaçait de se servir

de ses armes mais sans en rien faire. 


François Bizien, 50 ans, tailleur de pierres, domicilié au village du Prat, dépose à son tour. 
Il connaît Jacob depuis 16 ans.

Le 3 novembre au soir, il eut sa visite. 
Jacob revenait du bourg.

Il faisait nuit noire et il décida de coucher chez le témoin pour éviter de parcourir la campagne à une heure tardive. 


Le président.

— Pourquoi cela? Il n'était qu'à 500 mètres de chez lui... 


— Il avait peur des feux follets!...

Et déjà il s'était perdu la nuit en rentrant chez lui et avait même eu des contusions au visage.

Le Président

—  Jacob vous a-t-il laissé quelquefois à entendre qu’il avait été menacé ?

Non, jamais. Jacob était un bon garçon.

Il avait la manie de s’amuser avec son revolver, de le montrer au passant et de tirer en l'air.

C'était pour lui un amusement, car il n'était pas méchant mais peureux. 


Catherine Thépaut, 57 ans, et Victoire Thépaut, 51 ans, qui viennent à leur tour devant la Cour n'apporteront

pas de détails nouveaux, pas plus que MM. Corentin Godefroy, gendarme à Lannilis;

Joseph Trébaol, mécanicien à Plouguin; François Berthou, maire,

et Auguste Outin, armurier, 14, rue d'Algésiras, à Brest.

Ce dernier a procédé à l'examen de l'arme.

C'est la cartouche de gauche qui a été tirée, cette charge étant généralement plus forte que celle de droite, 

puisqu'elle constitue d'ordinaire le second coup à tirer. 
Peut-être n'y a-t-il en ce fait qu'un pur hasard, car il ne faut pas oublier que la main droite de l'accusé est mutilée. 


Réquisitoire et plaidoirie 


Pour M. Genicon, procureur de la République, la version du drame donnée par Calvarin est inacceptable.

C'est une menace de renvoi qui a été la cause de cette déplorable affaire et non pas l'attitude soi-disant agressive de Jacob, qui dormait tranquillement lorsque la terrible charge lui broya la tète. 


La tentative de Calvarin n'est pas sérieuse. 


Le ministère public ne s'oppose pas à ce que les circonstances atténuantes soient accordées,

mais il demande un verdict sévère de culpabilité, pour une bonne justice. 


Me de Kerangal, défenseur, fait ressortir que son client n'a pas de casier judiciaire et que les témoins entendus à la barre ont apporté à son sujet de bons renseignements. 


Jacob et Calvarin étalent bons amis quelques heures avant le crime et cette affaire s'est terminée dans le sang,

parce que Calvarin se croyait en état de légitime défense. 


L'avocat demande l'acquittement. 


Le verdict 


Le jury ayant rendu un verdict affirmatif avec circonstances atténuantes,

la Cour condamne l'accusé à 10 ans de travaux forcés et à 20 ans d'interdiction de séjour. 


La session est close. 

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