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Fenêtres sur le passé
1932
Marie Paule Salonne par Pierre Avez
Source : La Dépêche de Brest 26 octobre 1932
La vie et l’œuvre de Marie Paule Salonne (*).
L’une et l’autre sont inséparables.
Marie-Paule Salonne, écrivain personnel, est trop sincère, trop naturelle et trop inspirée, pour rien exprimer qu'elle n'ait, au préalable, profondément vécu et senti.
L'artifice n'entre pour rien dans son art, ou si peu !
(*) Marie-Paule Salonne est née le 12 février 1902 à Morlaix.
C'est à peine si — parfois — elle montrait, à notre goût, une recherche excessive, des préciosités à la Rostand.
Vite, elle s'est dégagée de cette facture redondante et boursouflée, si chère aux bons bourgeois de 1910.
Et son style, excorié de toutes les fâcheuses influences de la jeunesse, rappelle en moins définitif (parce qu'elle a moins vécu) et aux verdeurs près — celui de la grande Colette.
Le style, c'est la femme même, mais aussi la vie de la femme ;
car la grande littérature — celle qui s'évade des fades polygraphies — est un sport dangereux où, pour briller d'un vif éclat, il faut aimer le risque... et le courir.
Marie Paule Salonne avec sa mère
Il n'entre point dans mon propos de retracer ici la biographie de Marie-Paule Salonne.
Aussi bien ignoré-je à peu près tout d'elle, sinon qu'elle naquit aux premières années du siècle.
Jusqu'à douze ans, rien ne se passe.
Ou tout.
L'enfant prodige, aux prises avec l'univers, va de découvertes en découvertes, éblouie par la beauté formelle, les couleurs, les sons, le mouvement.
Le monde étroit où hésitent ses premiers pas, est une vaste boîte de Nuremberg, docile à ses rêves et à ses caprices.
La Luceile de L'âge de perle, celle qui, plus tard, aura cette trouvaille :
— Les p'tits poissons... y tirent leurs arêtes pour faire dodo, dis maman ?
Puis Marie-Paule a l'âge de raison, c'est-à-dire l'âge où l'on emmaillote l'esprit enfantin dans les langes des connaissances exactes et des abstractions scolaires.
Pourtant, je me plais à imaginer que, déjà, elle s'évadait des niaiseries dont on a coutume d'amuser et d'abuser les tout-petits.
Ayant vite fait le tour des choses tangibles, des choses qui ont du poids, de la résistance et font souffrir quand on les heurte, elle déplorait ingénument de ne pouvoir pénétrer l'envers du réel, le monde chimérique des reflets et des ombres, qui se refusent dès qu'on les approche et s'évanouissent sitôt qu'on les touche.
Mirages de l'enfance.
L'âme de l'enfant-poète s'épanouissait dans le désir de l'impossible et confiait ses étranges déconvenues aux fleurs de la tapisserie de sa chambre.
C'était le bon temps, le temps que tous les hommes regrettent et évoquent quand, vraiment, la vie leur est trop cruelle.
Mais voici l'adolescence : fini de rire !
Il faut apprendre dans les livres, apprendre que rien n'existe de ce qu'on a rêvé, amonceler des notions, des définitions, expliquer des mots par des mots et — sous cette aride phraséologie. — découvrir, un matin, l'atroce nudité du néant.
Un champ qui, jusqu'alors, représentait — aux yeux de l'enfant — un monde en miniature, un monde à sa taille, une réalité poétique et dramatique, devient une mesure de surface, ensemencée de froment et le laboureur n'y figure pour illustrer la technique de l’agriculture et l'idée morale du travail et de la solidarité sociale.
Un tel enseignement — qui ne tient aucun compte de la sensibilité enfantine — est proprement ahurissant et il est heureux pour Marie-Paule Salonne qu'elle ait eu pour préceptrice une mère aimante et avisée.
Rien ne vaut, pour l'éclosion d'un tempérament poétique, la serre chaude familiale, à condition de prendre régulièrement l'air du dehors, le contact des réalités brutales.
La vie s'en charge assez tôt.
Quel adolescent un peu sensible et imaginatif, gonflé de sève printanière et de lyrisme emprunté, n'eut point de nuits troublées par les taquineries de la Muse ?
Acné poétique, diagnostiquerait la Faculté.
Mais ces vers puérils, promus à l'admiration béate des familles, combien mériteraient mieux qu'une fessée, si un Code rigoureux veillait au seuil du temple sacré de la Poésie.
Les tout premiers vers de Marie-Paule Salonne, ceux qui figurent dans L'École des Papillons, ne relevaient pas de cette fausse littérature de mirlitons.
Et si l'on y trouve — bien sûr — des maladresses, des niaiseries, des imitations, soudain — Lucie Delarue-Mardrus l'a dit excellemment — ce sont « de grands beaux vers pathétiques, évoquant on ne sait quel timbre de mezzo ».
Ce timbre de mezzo n'était autre, à mon sens, que le son d'une âme inquiète et cabrée, que rien — déjà — ne satisfaisait des réussites humaines et qui n'avait pas encore réalisé son équilibre dans l'acceptation de son impuissance et de son ignorance.
Elle s'obstinait à vivre dans les profondeurs, où l'air est irrespirable et mortel à notre âme étroite, alors qu'il nous faut rester entre deux eaux, au gré des courants, comme des méduses.
Puis l'Amour apparut.
De l'infini des choses, la curiosité de la poète adolescente se porta sur l'infini des âmes.
L'un et l'autre sont aussi décevants.
Mais si en face des choses nous éprouvons vite le sentiment d’une impossibilité absolue, nous pensons pouvoir atteindre aisément les tréfonds humains.
L'univers se dérobe à notre recherche angoissée.
Eh bien I Retournons-nous vers nos semblables.
Sans doute souffrent-ils du même mal ?
Et si nous ne pouvons nous en guérir mutuellement, quel soulagement — du moins — d'en causer ensemble !
Ces échanges seront notre refuge !
Ouais !
On croit se comprendre ; on croit s'aimer, un soir de printemps, par l'opération romantique d'un nocturne lunaire ou d'une musique chavireuse.
On échange des mots, des mots, des mots... et les mots, qui sont des courroies de transmission des sentiments, produisent un emballement mécanique dont nous ne démêlons pas tout de suite l'artifice.
Le sentiment pur n'en est peut-être pas exclu ; mais il a des ruines verbales et non vitales.
Au fond, chaque être reste seul en sa solitude.
Nous n'avons rien que nous, rien que nos corps, et les autres sont loin de nous, dans leur corps.
Et les mots et les gestes, pauvres S. 0. S. de nos détresses, se perdent dans la distance et l’indifférence.
Chaque être reste seul en son désir d'aimer.
Jusqu'au jour où une illusion plus forte lui fait croire, un instant, à l'éternité des sentiments.
Serments, promesses, accordailles et l'on se trouve projeté violemment dans la condition matrimoniale.
D'aucuns s'en accommodent ;
certains y trouvent même cet état d'insensibilité morale qui tient lieu de bonheur aux neuf-dixièmes de l'humanité.
Pour d'autres !...
Je n'insisterai pas.
Reportez-vous à Ma maison dans la brume et au Fruit de nos entrailles.
Vous y verrez, dessinées, toutes les trames de l'amour naissant, comblé, puis bafoué.
Une confession discrète et transposée sur le plan poétique.
Mais la femme-poète, dégagée de la magie consolatrice des vers, souffre et pleure dans son désarroi.
L'univers lui échappe ; l'amour l'abandonne.
Que lui reste-t-il ?
Elle, mieux qu'elle :
un être qui réalise, à la perfection, son désir éperdu de se retrouver dans une autre chair : sa fille Lucette.
La maman-poète n'est plus seule dans sa solitude ni son désir d'aimer.
Et si elle s'est retirée du monde des réalités et des adultes, c'est pour mieux vivre de la vie chimérique de sa petite-fille et vivre — avec sa petite fille — de la vie élémentaire des choses.
S'ouvre l'âge de perle.
Car cette sauvageonne qui, dans la conversation, se refuse à livrer ses yeux et, dans la vie, se refuse désormais à l'aventure, consent encore à livrer son âme en des livres qui font nos délices.
Miracle de la littérature !
Une femme — sous peine d'étouffer — doit crier sa joie ou sa peine.
Elle ne peut se résigner à l'impassibilité d'un Vigny, encore moins au silence héroïque où — tout jeune — s'emmura Rimbaud.
Et la vie continue.
Marie-Paule Salonne, redevenue toute petite fille, va regrandir avec Lucette ; avec Lucette, elle franchira à nouveau toutes les étapes de l'adolescence.
Elle sera là pour dire à son enfant :
« Prends garde à ces roses : elles cachent des épines.
Derrière ce tournant, dont la déclivité séduit ton goût des courses folles, s'ouvre un précipice »
Mais elle est trop fine pour brimer tout élan sachant qu’il est sage de laisser une marge à l'imprudence humaine.
Un destin sans risques, une vie trop ouatée préparent des âmes incomplètes, insatisfaites et mal défendues.
L'âge de perle n'a qu'un temps et ce temps sera court :
Nous somme au siècle des aciers et du struggle for life.
*
**
Dans tout ce qu’elle écrit, Marie-Paule Salonne se révèle poète.
Cette douce musique de source qui chante en ses vers, rafraîchit aussi sa prose.
C'est le même don des images, la même facilité primesautière, ici comme là :
des trouvailles, des formules frappées en médailles, de sages audaces.
Et son style sans bavures — le miroir de son âme — la montrent bien telle qu’elle est dans sa réalité profonde :
un peu attardée dans le regret de son enfance ;
un peu dressée — dans sa farouche retraite — contre un destin cruel et les vanités du « monde » ;
toute entière vouée, désormais, à ses deux seules amours : maternité et poésie.