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Fenêtres sur le passé
1932
La couleuvrine, la Consulaire
Source : Chronique brestoise 12 mars 1932
La couleuvrine, la Consulaire
L'autre matin, le « patron » m'appelle :
— « Jeune homme, dit-il, vous interviewerez la Consulaire ; photographiez-la. »
Comme je rétorquais qu'il m'était assez difficile d'interviewer un Monument, le Premier sourit :
— « Ne vous fâchez pas, dit-il ; je vous demande d'aller voir ce qu'elle a dans le ventre !
Pour le cliché il vous faudra vous débrouiller ; car il est formellement interdit de photographier dans l'arsenal. »
Je savais, de bonne source, que les gendarmes vigilants, postés à la grille Tourville m'arrêteraient
si je me présentais flanqué d'un appareil photographique.
Et l'ordre était strict, formel :
il « lui » fallait un papier et une photo de la Consulaire pour le premier numéro de Chronique.
Un temps idéal.
Par ce bon soleil printanier, toute la nature brestoise, comme sortie d'une longue léthargie, incitait à la promenade !
Je pris mon courage à deux mains, l'appareil de photo et le pied de l'autre,
et je demandais au concierge assermenté de la porte Tourville à visiter la Consulaire.
Le concierge appela son supérieur n'ayant jamais ouï dire
de cette « dame ».
Le supérieur, me regardant en face,
me demanda quel engin je portais ainsi en bandoulière.
— « si vous passez, me dit le consciencieux concierge,
je me verrai contraint de vous mener à Pontaniou.
« Dura lex, sed lex »
La Consulaire est un canon en bronze provenant
des batteries de la Marine d'Alger, érigé dans l'Arsenal
en face des bâtiments de la Direction du Port.
Elle repose sur un piédestal de granit décoré de bas-reliefs
en fonte, entouré d'une grille en fer.
Cette pièce, qu'on appelait autrefois « coulevrine »,
a 7 mètres de long.
Elle pèse 14 tonnes.
Elle pouvait tirer à 5 kilomètres.
« La Consulaire » est un canon célèbre.
Lors du bombardement d'Alger par Duquesne, en 1683,
le Dev fit placer le consul de France, le Père Le Vacher,
de la Congrégation des Lazaristes, devant la bouche du canon
et ordonna de tirer.
Les membres tout chauds, tout palpitants, du Consul de France
et des dix autres victimes, furent projetés jusque sur le pont du bateau amiral.
La légende raconte que le canon creva après ce crime atroce.
Aujourd'hui encore, par clair de lune, on en apercevrait les fentes...
Mais la France prit sa revanche en 1830.
Après 21 jours de combat, les marins français se rendirent maitres de
« La Consulaire » que les Arabes appelaient « Baba Merzoug » : le Père Fortune.
L'amiral Duperré, préfet maritime de Brest et commandant les forces navales devant Alger, écrivit au Ministre de la Marine pour lui demander,
de doter le Port de Brest de ce célèbre canon.
Le Pont de Toulon revendiquait lui aussi l'honneur d'abriter ce modeste
mais glorieux trophée.
Mais le Préfet maritime de Brest
« dont les armements avaient eu une si grande part à la campagne d’Alger » obtint gain de cause.
Le 4 octobre 1830, Sa Majesté Louis Philippe roi des Français,
ordonnait le transfert de « la Consulaire », de Toulon à Brest ;
elle fut embarquée sur le « Duquesne ».
La Consulaire fut érigée le 29 juillet 1833 à l'arsenal.
Abraham Duquesne
C'est tout ce que la Consulaire me confia.
Je vous en prie, n'allez pas montrer ce numéro aux gendarmes de la grille Tourville,
car mon interview me coûterait cher ;
ils me montreraient certainement le chemin de Pontaniou, et, ma foi !...
Lomig.