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Fenêtres sur le passé

1931

Les îles de l'épouvante par François Ménez
- Article 1 sur 3 -

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Source : La Dépêche de Brest 4 avril 1931

 

« Une petite pochade marine des enfers ouessantins », voilà comment Charles Le Goffic me présente

le dernier ouvrage que, sous ce beau titre : Les Pierres Vertes, il vient de faire paraître chez l'éditeur Lemerre.

 

Ouessant et les îlots qui lui font cortège :

Molène, Bannec, Bannalec, Lédénès, Béniguet, Quéménès, Trielen, Morgol et Litiry,

ont de tout temps frappé l'imagination des hommes.

Ils sont, à l'extrême limite du vieux monde, face à l'Océan dont ils supportent, depuis des millénaires,

l'assaut sans cesse renouvelé, une terre de mystère et d'épouvante.

Nulle région maritime n'a vu plus de naufrages, nulle n'est plus environnée d'une atmosphère de légendes.

« Qui voit Ouessant voit son sang », assure le vieux dicton marin.

Les tempêtes ont une violence extraordinaire et s'y prolongent parfois pendant des semaines.

C'était jadis « la terre sainte de la piraterie », terre des naufrageurs et des pigouliers dont les feux,

dans la brume, ont des halos sinistres.

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Phare du Stiff

Photographie : Duclos, Jules (1824-1879).

 

Nul pays, non plus, n'a davantage retenu, en Bretagne, l'attention des poètes et des romanciers.

Ouessant, Molène, la Helle, Fromveur, ont inspiré toute une littérature, autant bretonne que française ou étrangère.

 

Michelet ne vit Ouessant que de loin, de la côte du Conquet, « sinistre et formidable »,

et il en garda une profonde impression.

 

Anatole Le Braz, à qui rien de la Bretagne ne demeura étranger, eut le mérite de décrire, le premier,

l'île de l'Épouvante, Heussa, et d'en faire le cadre d'une œuvre captivante : Le Sang de la Sirène.

Et il l'évoque à sa façon, harmonieuse et toute poétique, les yeux obstinément clos sur tout réalisme et toute laideur.

 

Il eut d'ailleurs la chance de connaître Ouessant en un temps qui fut son âge d'or, où les plaies du continent

ne l'avaient point même effleurée, où elle baignait, pauvre et pure, dans l'azur conjugué du ciel et des eaux.

Ses filles, d'une simplicité idéale, reflétaient alors, dans leur sombre regard,

« le morne orgueil d'une race à demi-disparue ».

 

Il n'en va point de même d'André Savignon qui, dans le meilleur de ses livres celui qui lui valut la notoriété :

Les Filles de la Pluie, nous a donné à son tour ses impressions d’Ouessant, où il a séjourné assez longuement,

étudiant les mœurs de l'île, mais avec l'évident parti-pris de ne trouver, parmi les Iliennes,

que des femmes impudiques et dévergondées.

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Pointe de Pern.JPEG

La pointe de Pern

Photographie : Duclos, Jules (1824-1879).

 

Jadis, reconnaît-il, les mœurs de l'île furent d'une pureté presque patriarcale.

Faute d'hommes en nombre suffisant, beaucoup d'Ouessantines étaient condamnées à ne jamais se marier.

« C'est pour cela qu'au moment de Pâques, on voyait tant d'amoureuses déposer des œufs dans les paniers

qu'on plaçait à l'église, de chaque côté de la grille de communion », et qu'elles portaient leur offrande au bank an ed,

« le banc du blé, un coffre dans lequel elles jetaient une mesure de blé, en demandant à Dieu la réalisation d'un vœu

ou des consolations à des peines de cœur ».

Et, si Dieu ne les exauçait point, ce qui ne pouvait arriver à toutes, dans cette île sans hommes,

les filles qui ne se mariaient point demeuraient sages, et les hommes non mariés vivaient entièrement séparés

des femmes.

Celui qui séduisait une jeune fille sans l'épouser était déshonoré.

 

Ce qui aurait modifié tout cela, c'est l'envoi, dans l'île, d'un contingent de soldats coloniaux qui,

lâchés au milieu de femmes naïves et sans défense, corrompant et avilissant les natives, auraient abâtardi la race

« par l'exemple d'une dépravation détestable, par l'alcool et pire ».

 

Voilà comme Savignon n'aurait rencontré, à Ouessant, que des créatures débauchées et sensuelles,

toujours prêtes pour l'orgie, livrées à leurs instincts et promptes à pousser dehors les amants

dont elles n'ont plus désir, comme les femmes à chasser hors de leurs foyers leurs maris,

lorsqu'ils ne sont plus que des mâles vieillis.

 

C'est là une peinture bien pessimiste des mœurs de l'île, et contre laquelle des protestations vigoureuses

furent élevées, lors de la publication du volume.

Que les mœurs se soient relâchées à Ouessant, comme partout ailleurs, on le croit sans peine,

mais les Salomé Thorinn, les Marie de Loqueltas, les Barba la Conteuse n'en demeurent pas moins,

dans l'île, des exceptions très rares.

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Rochers Ouessant

Photographie : Duclos, Jules (1824-1879).

 

Cependant, les « Filles de la Pluie » sont un des plus beaux ouvrages qui aient été consacrés à cet archipel si curieux d'Ouessant et de Molène, que l'Océan secoue dans ses fureurs d'équinoxe.

Il renferme des pages d'un pathétique puissant et terrible, et rien, comme la mort, sur l'îlot de Trielen,

de Kergrésan et de six enfants, tordus par le choléra, ne montre combien est tragique et solitaire la vie dans ces îles auxquelles, de loin en loin, quelque barque d'Ouessant ou de la côte apporte des nouvelles du monde.

La nuit seule les arrache, à leur solitude, en faisant surgir autour d'elles les lueurs mouvantes des phares :

le Creac'h, le Stiff, Saint-Mathieu, le Four, les Pierres Noires.

 

Savignon sait aussi bien montrer qu'à Ouessant tout n'est pas épouvante.

Le printemps y est un des plus doux du monde.

Il est d'un charme ;

étonnant dans « ce pays sans feuilles où les prairies demeurent toujours vertes », quand la mer,

très calme balance dans les baies ses ondulations rythmées et douces, étalant la dentelle de ses vagues sur les galets « avec un bruit de soie froissée comme une danseuse, avec la tiédeur parfumée d’un beau corps ».

 

Et les nuits aussi sont d’une beauté très douce, quand elles sont calmes et que, répondant aux palpitations des autres phares de la côte, « la gerbe à double éclat du Créac’h et le Stiff moins visible, avec sa lumière en veilleuse,

rouge et blanche », annoncent aux navigateurs océaniques « l’extrémité de la ceinture brillante qui enserre

la côte rocheuse du Finistère ».

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