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Fenêtres sur le passé

1928

Les Ouessantins en ont assez !

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Source : La Dépêche de Brest 24 octobre 1928

 

Au front, quand, par suite de l'insouciance, du mauvais vouloir ou de l'incompétence de quelques anonymes,

nous nous trouvions plongés dans une inextricable pagaille, nous résumions notre sentiment

dans une sentence lapidaire :

« Il y a des coups de pied au c... qui se perdent ! »

 

Cette formule énergique, le service départemental vient de donner aux Ouessantins une magnifique occasion

de la rééditer.

 

Les faits sont simples : 

Le jeudi 11 octobre, on annonçait sans ambages aux Ouessantins que l’Enez-Eussa serait indisponible

jusqu'au 23 au moins (en réalité, c'est jusqu'au 30).

Le bateau a besoin de réparations ; c'est fort bien.

Mais où ça ne va plus, c'est quand on apprend que rien n'a été prévu pour assurer le service pendant la durée

de cette indisponibilité.

Devant les protestations indignées de toute l'île, on envoie le courrier, le samedi suivant,

par le petit remorqueur de rade Blaton.

Celui-ci réussit, on ne sait trop comment, à atteindre Pen-ar-Roc'h ;

mais il s'enfuit aussitôt arrivé, aussi vite que ses moyens le lui permettent.

 

En arrivant à Brest, le Blaton ne veut rien savoir pour remettre ça.

 

Depuis cette date, 13 octobre, jusqu'au dimanche 21, Ouessant est resté sans communications postales

avec le continent, alors qu’à aucun moment le temps n'a empêché le passage.

Et c'est le voilier Céline qui nous a amené le courrier de dimanche soir.

 

Dans tout le port de Brest, les messieurs du service maritime départemental n'ont trouvé que ce bateau

pour remplacer l’Enez-Eussa.

La Céline est évidemment un très bon bateau ;

le patron Lebous et les hommes d'équipage, des Molénais, sont des marins hors de pair.

Mais ce n'est pas là un bateau qui puisse assurer le service des passagers ;

la Céline n'a pas été faite pour cet usage, et on le sait bien à Brest.

Il est vrai que pour les Ouessantins on n'a pas de gants à prendre, et on le leur fait bien voir.

 

Car il est difficile de bafouer un public plus qu'on ne l'a fait,

particulièrement M. Jan, le gros responsable de l'état de choses actuel.

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M. Jan et ses chefs pourraient se souvenir que le service départemental a été créé pour l'île d'Ouessant

et pas pour eux.

Ailleurs, on fait des efforts pour que le public soit satisfait ; ici, une seule directive :

L'avarice, et l'avarice la plus sordide.

Pour économiser quelques centaines de francs, on méprise les notions les plus élémentaires de complaisance

à l'égard des usagers.

Pendant le trajet Brest-Ouessant et retour, la vitesse est réduite le plus possible :

Vitesse économique.

Dans le salon des deuxièmes classes, on a enlevé les coussins de crin recouverts de moleskine ;

le bois nu est bien assez bon pour le derrière de ces s... d'Ouessantins.

L'équipage est mal payé ;

personne ne reste à bord ;

on embarque des mousses autant que possible, parce qu'ils coutent moins cher, etc..

C'est miracle qu'un accident grave ne soit jamais arrivé.

L’Enez-Eussa, à ses premiers voyages, était frais et pimpant comme un yacht.

Maintenant, sale, décoloré, on dirait une épave qu'on vient de renflouer.

On pourrait faire un livre sur les brimades qu'on inflige aux Ouessantins.

On nous dira qu'il existe un service de contrôle, dont est chargé M. Lambert, ingénieur T.P.E. ;

c'est exact, mais la direction s’assied dessus (pas sur M. Lambert, sur le contrôle).

 

La preuve, c'est que le voyage du Blaton a été effectué sans l'approbation de M. Lambert, qui a protesté,

trop tard d'ailleurs.

Dans les circonstances actuelles, on a pu assister à cette effarante comédie :

M. Jan affirmant aux autorités postales de la région que la sortie de Brest était possible mais que l'accostage

à Ouessant ne l’était pas ;

et aussitôt après, répondant aux Ouessantins, qui l'informaient que la cale du Stiff était très abordable,

il expliquait qu'il était impossible de sortir de Brest.

Aux uns ou aux autres, M. Jan a... coloré la vérité.

Le but :

Économiser un voyage ;

rien à perdre, l'Enez-Eussa ayant à peu près le monopole du transport des passagers et marchandises.

 

Une enquête s'impose, qui déterminera les responsabilités et provoquera des sanctions.

Les deux derniers faits que nous avons cités :

mépris du contrôle et non sincérité vis-à-vis des fonctionnaires sont à eux seuls suffisants pour justifier une punition.

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Il y a encore une chose à éclaircir :

Quelles furent les démarches faites par M. Mocaër, courtier maritime, conseiller général d'Ouessant,

pour que le service fût assuré au mieux de l'intérêt de ses électeurs ?

Étant donné les résultats obtenus, on doit conclure ou que M. Mocaër ne s'est pas dérangé, ce qui confirmerait l'opinion de plus en plus répandue qu'il laisse tomber l'île d'Ouessant, ou bien que les démarches faites

n'ont eu aucun succès, ce qui impliquerait chez M. Mocaër une totale impuissance.

Dans les deux cas, c'est assez désagréable pour ceux qui comptent sur lui.

L'action menée par M. Noël, conseiller d'arrondissement, et par M. Stéphan, maire, est au-dessus de toute critique ;

les télégrammes officiels ont succédé aux coups de téléphone sans faire d’effet :

Les types du Service maritime sont blindés contre les engueulades, à force d'en entendre ;

ils s'en f... d'autant plus que ça vient de plus loin, et comme dit à peu près la chanson :

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À 50 kilomètres de distance,

Pas moyen,

Pas moyen de leur mettre la botte dans le train.

 

En résumé, il faut qu'une enquête soit effectuée et qu'on en connaisse les résultats.

Qu'on change certaines dispositions du cahier des charges qui favorisent trop le Service maritime départemental ; qu'à chaque courrier manqué on lui inflige une forte amende, de l'ordre de plusieurs milliers de francs,

au lieu des malheureux cent cinquante francs actuellement prévus ;

qu'on envisage des dommages-intérêts pour tous ceux à qui le Service impose un séjour prolongé à Brest ;

que le contrôle soit doté de pouvoirs plus étendus, s'il est nécessaire ;

qu'on prenne des sanctions contre les fautifs, et nous verrons du changement dans cette Administration

que personne ne nous envie.

 

Elle a assez abusé de notre patience !

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